La rentrée

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Le bus en provenance de la gare vient de nous déposer. J'arrive devant un lycée, tout beau, tout propre. Un grand ensemble de sept de bâtiments sur trois étages aux crépis pastels reliés par une cour de verdure sans aucune mauvaise herbe. Pas un brin plus haut que l'autre. Pas une fleur dans l'océan vert. Quelques pins fournissent un peu d’ombre sans laisser une seule aiguille au sol. On dirait le décor en carton-pâte d'un film. Ce semblant de perfection m'énerve déjà. C’est trop aseptisé, trop uniforme à mon goût. Tellement artificiel que pas un piaf ne chante. Je sens que je ne vais pas me plaire ici. Je n'ai rien à faire dans cette ville. Je suis une campagnarde.

Je n'ai pas le choix. Je ne suis pas ici de ma propre initiative. On m'a forcé la main. Mes parents ont vécu sous la coupe de Papinou toute leur vie et ils sont partis en voyage dès qu'il est mort, avec l'héritage. Il faut dire que Papinou est, non était, un vieux grincheux. Il les obligeait à bosser, ce qui n'était pas du gout de mes géniteurs. Moi, je l'aime bien mon grand-père. C'est lui qui m'a élevé depuis ma naissance en réalité. C'est mieux ainsi d'ailleurs. Je ne restais probablement plus en vie si l'un des deux s'était occupé de me torcher le cul bébé ou de me cuisiner quelque chose de comestible. La beauté vaniteuse de Mère n'aurait pas survécu à un pied main bouche en commun sur son soi-disant beau visage. Mes parents sont des fainéants rêveurs incapables de se trouver un vrai boulot et de se rendre utile. Ce n'est pas Papinou qui me l'a dit. Je l'ai réalisé toute seule en les observant.

La preuve, s’il en fallait une, c’est qu’ils n’ont même pas daigné nous conduire ici eux-mêmes et nous ont laissé nous démerder seules avec nos valises. Je ne vous dis pas le périple depuis ma campagne profonde où un seul bus passe par jour. Ne pas le rater, arriver dans un plus gros village, prendre un petit train, puis un plus gros et enfin ce bus et ne pas se tromper d’arrêt. Le tout au pas de course avec un bon gros sac à dos chargé à bloc. Heureusement que je suis dégourdie et sportive. J'avais tout bien planifié avant de partir, connaissant chaque horaire et dans quelle direction me diriger un arrêt après l'autre. Pas une seconde de retard de ma part sur le planning. Même la lenteur légendaire du service ferroviaire a été pris en compte dans les calculs. Mes géniteurs sont vraiment un duo de feignasses.

Mais qui est cet enfant indigne, me direz-vous. Je me présente : Mégane Farmer. Tiens, un autre exemple de leur incapacité à faire quelque chose de bien. Quitte à avoir un prénom de bagnole, ils auraient pu me donner celui d’une vraie voiture. Style Jeep, Rubican ou Rover. Pas celui d’une merdouille pour citadins. Je me serais éclatée à me prénommer Cherokee. Vraiment trop naze.

Bref ! Reprenons. Quinze ans. Un mètre soixante et onze. Corpulence athlétique. J’aime transpirer et utiliser mes muscles. Quelques petits bourrelets de bonne bouffe pour être honnête. C’est trop bon la bouffe pour s’en priver. Et puis, je suis en bonne santé. Cheveux châtains ondulés jusqu'au bas du dos, souvent attachés avec un bout de bois en chignon négligé. De magnifiques yeux verts et des traits fins d’après Papinou. Deux demi-melons supers chiants à trimballer en guise de pectoraux que je bande souvent pour aplatir. Ça c’est pour l’aspect corporel. Un look indéfinissable, je dirais masculin. Je porte soit des rangers, soit des baskets, toujours sombres. Mon jean est large, taché et troué, de couleur noire ou bleu marine. Le haut est dans le même style, un tee short quatre tailles trop grand, planqué sous un pull informe de préférence vieux, confortable, usé et sombre. Ni gothique, ni grunge, encore moins fashionista. Pratique mais indéfinissable.

J'ai aussi un sale caractère si on en croit les incapables qui me servent de géniteurs. Mais ça, je crois que vous l'avez déjà compris, je pense. Je dirais plutôt que du j’ai du caractère et que je ne mâche pas mes mots. Je ne suis pas trop conne alors quand je tombe sur un gros lourdaud butor, je ne me laisse pas marcher sur les pieds et je dis ce que je pense, tant pis si cela ne plaît pas. De toute façon, ceux qui cherchent la bagarre verbale ou physique se sont ratatinés comme des crêpes.

— Meg, arrête de ronchonner et fais un sourire. On doit faire bonne impression. Me chuchote alors ma jumelle.

Oui, j'ai une jumelle. Mélia. Totalement le contraire de moi. Un ange de douceur et de gentillesse descendu sur Terre. Des deux, je suis la jumelle maléfique, c'est certain. Je l’assume totalement. Ma compagne d’infortune dans cette galère. Ma partenaire de jeux et aussi pour de nombreux crimes. Ma complice loyale. Celle pour qui je donnerais ma vie et pour qui je distribue pas mal de baffes plus ou moins en cachette.

Un corps mince et frêle, plutôt grande, environ un mètre soixante-dix-huit. Des yeux bleu azur sur un visage doux et souriant. Un immense sourire qui fait battre le cœur. Des hautes pommettes roses de poupée. Elle ressemble à un mannequin de magazine. Ses cheveux roses sont en coupe courte à la garçonne aujourd'hui. Mais elle a des perruques donc sa capillarité change quotidiennement. Ses véritables cheveux sont proches de miens, châtains ondulés très longs. Elle revendique son look de licorne. Je vais dire par là robe froufroutante multicolore pastel à mi-cuisse, des chaussures à talons larges roses, des bas jaune poussin. Le tout accessoirisé de tonnes de bracelets, avec un maquillage très coloré, mais absolument pas vulgaire. Mon petit manga.

Elle a un caractère doux, craintif, un peu timide, mais hyper sociable. Elle est le Yin de mon Yang. Mon opposé complémentaire. C’est une barbe à papa sur pattes, dégoulinante de gentillesse et d’amour. Elle aime tout le monde et tout le monde l’aime. Elle est fantastique. C'est ma raison de vivre.

Je grimace afin de faire plaisir à ma moitié adorée. C'est bien la seule pour qui je daigne fournir des efforts dès qu’elle me fait une demande. Je fournissais aussi des efforts pour Papinou mais lui, ses demandes, c’était avec des coups de pieds au cul qu’il me les faisait. Alors forcément… ça donne moins envie. Attention, Papinou ne m’a jamais frappé et n’a jamais frappé un enfant ou une personne sans défense. Il avait juste un caractère proche du mien, donc lui et moi, ça faisait pas mal d’étincelles. C’était marrant.

D'un battement de cils mutin, Mélia me donne ordre de re-concentrer sur ma mission. Entrer dans cet antre du diable que l'on appelle lycée privé. L'internat dans lequel nos parents vont se débarrasser de nous. Avec l'argent venant du vieux schnock qui me sert de grand-père, soit dit en passant. Enfin non, le vieux schnock qui me servait de grand-père, puisqu'il est mort. Je n'arrive pas à me faire à l'idée. Maintenant, mes deux abrutis de géniteurs vont pouvoir se la couler douce et flemmarder sans branler quoi que ce soit. Ils ont prévu de faire un tour du monde en nous abandonnant ici. Ça me soûle.

Pourquoi ils ne nous ont pas laissées chez Papinou. On était bien là-bas. On est grandes. On aurait su vivre seules dans notre ancien domicile. Je ne comprends pas leur décision. La pension doit couter une blinde en plus. Notre ferme et son entretien sont bien moins onéreuses. J'ai beau tourner le problème dans tous les sens, je ne parviens pas à trouver une logique à leurs choix. Il doit me manquer des données essentielles. Les adultes sont casse couilles à ne pas expliquer les choses aux plus jeunes. Je suis loin d'être une enfant idiote. Capricieuse, j'aurais pu comprendre le reproche de la part de ceux qui ne connaissent rien de moi alors qu'ils m'ont mis au monde. Mais me traiter comme une gamine, c'est une honte. Ils mériteraient de perdre leur autorité parentale rien que pour ça. Faudra que je me renseigne comment on se fait émanciper.

Je me perds dans mes souvenirs en repensant à toutes les choses que notre grand-père nous a apprises. Lire, écrire, compter bien sûr, mais aussi reconnaître les plantes, les animaux, s'orienter, construire une cabane, cultiver des légumes, s'occuper d'animaux, cuisiner. Les bases des premiers secours. Les plantes médicinales pour Mélia. Les bases de la chasse et du piégeage pour moi. Nous avons une culture et un savoir-faire très impressionnant bien que nous ne soyons pas encore majeures. Papinou était un puits de connaissances. Il pouvait discuter de n'importe quel sujet sans problème. Bien sûr, il n'était pas expert en tout, mais sa curiosité lui donné des bases quel que soit le domaine. Il est si bon avec nous. Si protecteur sous son rouspétage perpétuel. Cela fait à peine un mois qu'il est parti et il me manque terriblement.

À Mélia, aussi, il manque. Je le sais. Combien de grand-père, ancien haut gradé militaire de surcroît, aurait appris à leur petite fille à coudre, filer la laine, teindre ses tissus, sans jamais juger son look ? Je me rappelle encore les heures qu'ils ont passé ensemble à coudre une robe ou tricoter des bonnets. Il lui a offert sa première palette de maquillage à six ans, et il a appris à faire reproduire la tête de lion, les arabesques pailletés des fées ou les trucs sophistiquées de princesse rien que pour elle. C’est lui qui lui a acheté ses premières perruques et sa première machine à coudre. Il réfléchissait avec elle sur la meilleure manière de réaliser un ourlet ou le fronçage d'une jupe. Il était fier de nous deux, nous soutenant dans chacun de nos projets, même les plus loufoques. Il était merveilleux.

— MEG !

Mélia me gronde pour me ramener à la réalité. Cet endroit me déplaît tellement que je fais tout pour m'en échapper, ne serait-ce que par l'esprit. Nous devons trouver le bureau d'accueil des Secondes. C’est à cet endroit qu’on nous attribuera notre chambre et le reste de nos affaires de lycée. Enfin, c’est ce qu’il y a de marqué sur le papier d’inscription. Comme si ce n’était pas possible de nous le dire tout de suite et de laisser les colis dans les chambres. Quel manque d'organisation. Une perte de temps à cause d'incapables. Je soupire et aperçois une foule sagement disciplinée en file d'attente devant ce qui semble être une salle. Je montre du menton le troupeau de moutons juvéniles accompagnés de leurs géniteurs à mon double. Elle approuve ma supposition et nous nous dirigeons vers eux. Ma douce questionne avec un grand sourire une maman qui semble moins coincée que les autres pour s'assurer que nous sommes au bon endroit. Banco. Mon instinct est bon même dans cet environnement nouveau et inhospitalier. Il va falloir prendre notre mal en patience.

Moins de dix minutes qu'on est là, tout le monde nous dévisage. Les deux nouvelles, des bêtes de foire. Ils se connaissent tous du collège, venant de cette ville ou de ses alentours proches. Une bande de dégénérés consanguins. Mélia et moi, nous venons de bien plus loin. Nous ne sommes pas de la région et notre look, si atypique face à leurs costumes chics, est repérable de loin dans la cour. Certaines langues de vipère diront qu'on fait tache. Je préfère penser que nous avons une vraie et unique personnalité qui ne rentre pas dans le moule de ces moutons. J’entends déjà les remarques à la con et je me retiens difficilement, uniquement à égard à ma sœur adorée. J'ai envie de mordre. Aucun de tous ces crétins ne nous arrivent à la cheville. Ils ne connaissent rien de nous. Comment osent t'ils nous juger sans savoir. Ce sont eux les pécores ignares. Je voudrais bien la voir changer une roue la pimbêche manucurée qui se pince le nez pour siffler son venin. Elle ressemble à ma génitrice, ces personnes qui ne font rien d'autre que critiquer les autres dans leur vie. Je serre les dents et mon regard se fait noir.

Mélia papillonne des cils et fait d’immenses sourires en jouant avec sa robe. Elle tente de bavarder joyeusement en trouvant des choses à complimenter comme un collier ou une coiffure. Quitte à passer pour une idiote, autant se rendre sympathique. Elle discute des dernières modes et de grands couturiers. Elle leur prouve qu'elle en sait bien plus qu'elles en leur clouant le bec avec des mots techniques et des références qu'elles n'ont pas. Les deux méthodes ont des efficacités différentes, mais finalement, le résultat est le même. Les gens cessent de nous dévisager, mal à l’aise. Certains craignent de se prendre une beigne de ma part. Les autres sont gênés d’avoir regardé de façon si intense une jeune fille aussi innocente et gentille. Ou d'être passé pour des idiotes sans culture et sans classe aussi. Bien fait pour ces connes !

Nous ne sommes pas à notre place dans ce lycée. On a clairement chacune de la personnalité par rapport à cette bande de nazes qui se ressemblent tous. Ternes et fades. Des clones à qui on a oublié l'option cerveau. Que fait -on ici ? Nous n'apprendrons rien d'utile et ne rencontrerons pas de personnes intéressantes. Stratégiquement, cet endroit en nous apportera aucun plus pour notre avenir. Peut-être que les deux abrutis de géniteurs voulaient me faire connaître les joies de la prison avant l'âge. Ils sont persuadés que je suis une future délinquante. Je regrette tellement mon ancien chez moi. Si cela ne tenait qu’à moi, j’aurais déjà opéré un demi-tour. Ou plus précisément, je ne serais jamais parti de chez moi. Je ne suis venue que pour mon double d'amour. Mélia fait bonne figure, elle aime le changement et la nouveauté. Je sens toutefois fébrile et nerveuse. Je pense qu’elle aussi appréhende ce renouveau.

Pour m’occuper, et aussi pour ne pas fixer les têtes d’andouilles qui m’entourent, j’observe les alentours et note les informations qui pourraient être utiles. Il y a six bâtiments assez semblables, plus le gymnase. Quatre aux crépis jaunes qui semblent être les salles de cours et l’administratif. Un au crépis rose qui doit être le dortoir des filles au vu du nombre de pouffes qui squattent le bas et les dentelles qui déjà ornent les fenêtres. Un dernier au crépis orangé ou rouge délavé. Celui-là, c’est le dortoir des mecs je suppose. Un ramassis de crétins est attroupé devant et les couleurs de l’intérieur me semblent plutôt brutes et sombres.

Les bâtiments se ressemblent assez. Ils sont hauts de trois beaux étages. Je dirais une douzaine de mètres de haut. Largeur vingt -cinq mètres. Longueur au moins cinquante mètres. Une large porte d’entrée à doubles portes sur chacun. De grandes baies vitrées pour les bâtiments jaunes. Une tonne de petites fenêtres pour les dortoirs. Des escaliers de secours de part et d’autre de la longueur. Ce qui semble un toit terrasse au sommet des dortoirs.

Le gymnase est un long bâtiment métallique bleu d’une soixantaine de mètres de long sur une trentaine de large et trois mètres de haut. Rien de particulier. Les vestiaires et leurs vitres hautes et troubles sont sur le côté gauche. Plusieurs longues vitres sur la longueur doivent fournir une belle lumière intérieure. Le toit me semble pourvus de verrière mais je ne suis pas sûre. Je suis trop loin.

L’extérieur fournit assez de verdure pour que je ne me sente pas malade. Dans les trois à quatre hectares. Certes le gazon impeccable est tout sauf naturel. Surement des bandes en provenance d’une pépinière. Ça manque de fleurs et de plantes variées sauvages. Je sens que je vais semer des graines discrètement pour mettre un peu de variété. Quelques parterres fleuris dessinent de belles armoiries et cassent la monotonie du vert. Une petite dizaine d’arbres permettent des coins d’ombres sur l’étendue verdâtre.

Dans le fond, quelque chose d’intéressant se dessine. On dirait qu’il y a une forêt et juste devant des carrières et des près à chevaux. Il faudra que j’aille voir ça dès que j’aurais cinq minutes. C'est bien le seul lieu qui me semble accueillant dans ce désert vert. De la poussière s'envole de là-bas et perturbe la perfection énervante. Si je ne me trompe pas, j'ai trouvé mon prochain refuge pour les trois années qui me restent avant de pouvoir partir de cet enfer. M'occuper d'animaux, surtout des chevaux puissants, est une activité qui a le don de me calmer. J’espère que mes impressions sont bonnes et surtout que l'ambiance péte-sec qui règne me permettra de prendre soin des équidés. Je ne voudrais pas être une de celle qui se contente de monter une heure sur son cheval, sans le panser, le nourrir, lui donner à boire et surtout lui parler de tout et de rien.

Je m’ennuie. Mélia est en longue discussion avec une fille devant nous à propos d’un dessin animé dont je ne connais absolument rien. Je surveille juste que le ton reste amical et rêvasse. J’essaye d’identifier tous les bruits d’animaux que je peux percevoir quand le brouhaha des andouilles se calme un peu. Je ne parle pas de ma sœur. Sa voix douce ne me dérange jamais quand j’écoute un piaf ou une autre bestiole. J’ai repéré trois écureuils, six moineaux, deux mésanges, un couple de colombes, pas mal de grillons et trois corbeaux. Les animaux sont si silencieux. On dirait qu'ils craignent de déranger et d'être chassés s’ils osent vivre. D'ailleurs, j'aperçois un téméraire qui vient chiper une chips à un groupe de larves avachis sur la pelouse. Il se fait vite balayer du revers de la main. Quelle bande de cons. Il est trop mignon ce piaf. Je m'en serais fait un copain à leur place.

Une heure, plus tard, nous pouvons enfin rentrer dans la salle. Quatre bureaux dans lesquels il faut aller l'un après l'autre. Dossier d'inscription. Attribution des chambres. Emploi du temps. Et ? NON, je rêve ! Ils se foutent de moi. Activités caritatives ? C'est quoi cette connerie ? Le seul bénévolat que je fais, c'est pour distribuer des baffes aux crétins et pimbêches. Je me renfrogne d'avance tandis que mon petit manga me tire par la manche vers le premier bureau.

Une jeune femme un peu revêche contrôle que nos parents ont déposé tous les documents nécessaires. Nous relisons les formulaires en silence. Je souris en voyant que mes géniteurs ont précisé à mon égard : tendance à la rébellion. Génial ! Les profs vont m'avoir à l'œil. Manquait plus que cela. Bon d’un autre côté, ce n’est pas totalement faux. Je ne peux pas leur en vouloir de dire la vérité pour une fois. Je me demande si je rajoute « allergie aux choux » mais ce n’est médicalement pas possible. Tant pis pour moi. Je scrute le dossier de Mélia. Elle hérite d'une tendance rêveuse. Je me pince les lèvres quand je vois qu'elle ose rajouter qu'elle souffre de narcolepsie. J'en connais une qui prévoit de faire des siestes en cours si c'est trop nul. Malin ! J'aurais dû y penser. Cette formalité est heureusement vite finie.

Le second bureau et son petit monsieur replet m'apportent la joie d'apprendre que, non seulement, je vais être séparé de ma sœur, mais en plus, je devrais partager mon quotidien avec trois bécasses. J'ai déjà des envies de meurtres. Mélia tente une négociation avec un immense sourire, prétextant que nous n’avons jamais été séparées et que nous sommes en deuil. Cette épreuve sera mal vécue. C’est un peu exagéré mais totalement vrai. En revanche, elle ne précise pas que ce sont mes futures colocataires qui vont mal le vivre. Le petit monsieur replet ne peut rien faire. C’est la politique de l’école de séparer les frères et sœurs, surtout des jumeaux, pour favoriser le développement de la personnalité propre. Non mais quelle connerie ! Il suffit de nous regarder pour voir qu'on a déjà nos propres caractères et qu'on est complétement différentes. Encore un truc de bureaucrates qui ne savent rien de la vraie vie. Je peste dans mes dents pour ne pas insulter le type.

Emploi du temps. Une vieille assez souriante et compréhensive. Ouf ! Je suis avec mon petit manga pour tous les cours sauf pour les options. Il y en a quatre à choisir selon les jours de la semaine. Nous sautillons de joie en voyant équitation le lundi, cette option va nous permettre de garder un contact avec la nature, ce qui nous rendra moins dépressives. J'ai donc raison et le fond du lycée est bien un endroit des plus intéressants. Mardi, secourisme pour elle, endurance pour moi. Je ne suis pas du genre à faire des pansements, plutôt à provoquer les blessures. Les deux autres possibilités, initiation à la philosophie et club d'échecs ne nous inspirées pas du tout. Je sens que j'ai intérêt à faire un maximum de sport si mes camarades de classe tiennent à leurs vies. J'ai déjà des crampes dans les jambes. Je n'ai pas eu ma dose de dépense physique quotidienne.

Mercredi, cuisine pour toutes les deux. Une activité que nous apprécions chacune, je suis salé, plats en sauce et gras, Mélia est pâtisserie et décoration colorée, c'est la reine des Rainbow-cakes. Pour l'instant, les options ne sont pas trop mauvaises. J'ai très peur pour la suite. Une sorte de pressentiment. Jeudi, métiers de l'esthétisme pour elle, club de lecture pour moi. Mélia veut peaufiner ses techniques de maquillage et de soins de beauté. J'ai pris le moins pire entre club de lecture, arts plastiques ou enseignements des bonnes manières. L'horreur. Je me serais suicidée si c'était une matière obligatoire. Même ma chérie d'amour a grimacé en lisant cela. Mais quelle personne saine d'esprit choisirait cette matière ? Et qui est le prof qui se pense être parfaitement éduqué pour enseigner ça ? Surement une pouffe avec des ascendants nobles et qui se la péte en trouvant grave de se tromper de couverts lors d'un diner sur nappe blanche. J'ai la gerbe rien qu'à cette idée. D'un autre côté, j'aurais adoré faire criser dans ce cours. Avec mon talent pour foutre le bordel, la prof aurait fait une dépression nerveuse. Ça aurait été marrant.

La mort dans l'âme, je me dirige vers le dernier bureau, tenue par une Miss Pimbêche. La bimbo de service. Il ne manquait plus que ce cliché. Fringues griffées, griffes manucurées. Brushing impeccable avec le sac à main et escarpins assortis. Dos parfaitement droit, une demi-fesse sur la chaise, avec les jambes pliées selon un angle parfait de 45°. Les mains posées l'un sur l'autre telle une statue. La totale. Elle s'y croit vraiment. Mélia a mille fois plus de classe qu'elle avec sa robe à froufrous maison. Sa voix de crécelle dès qu'elle ouvre la bouche me donne envie de la gifler, ou de prendre l'agrafeuse pour lui fermer sa bouche maquillée comme un camion volé. En plus, elle se donne un faux accent pour se rendre intéressante. Peut-être que si je plaide la folie passagère, je peux tenter le coup de l’agrafeuse sans trop de conséquences… Malheureusement, mon double lit dans mes pensées et me dissuade de mon idée foireuse d'un battement de cils désapprobateurs. Je hausse un sourcil. Je suis certaine qu'elle a eu la même envie. Son sourire complice me calme instantanément. Elle me comprend si bien. Je l'aime tellement. Je lui envoie un bisou dans l'air pour lui dire que je serais sage rien que pour elle.

Bon, Miss pimbêche nous fait un discours dont je n’écoute que le quart mais dans l’idée, le truc, c'est que vu qu'on est dans un lycée de richards, on se doit pour la pérennité de notre âme, de venir en aide aux défavorisés, nous les biens nés. En gros, faire l'aumône pour se sentir mieux et surmonter notre traumatisme d''être issu d'un milieu aisé et privilégiés. C'est sûr qu'aucun des gosses ici présents n'a dû récurer de chiottes de sa vie à par ma chérie et moi. Attention, je n'ai aucun problème à aider les gens en difficulté. Bien au contraire, Papinou m'a toujours appris à rester humble et à tendre la main à ceux qui en ont besoin. Il n'y a pas de sot métier ni de jugement à avoir quand on ne sait pas le vécu de la personne en face de soi. Un éboueur est un milliard fois plus méritant à ses yeux qu'un rentier au sang bleu. Je suis parfaitement d'accord avec cela. On mesure la valeur d'une personne à ses actes et non à sa fortune, son nom de famille ou pire à son apparence physique. Bref, ce bénévolat m'insupporte à cause de celle qui est devant moi. J'ai juste du mal à supporter les pouffes qui se donnent bonne conscience en se pinçant le nez. En plus, elle veut donner des leçons d’humilité et d’abnégation alors qu’elle a encore du lait dans les narines. A moins que ce soit un excès de fond de teint.

Un coup de coude dans les côtes m'invite à rester calme et à choisir mon activité caritative du vendredi. Il y a trois options possibles. Très rapidement, Mélia trouve son bonheur. Elle préfère répondre au téléphone de SOS dépressifs. Ma chérie d'amour a une voix douce et calme, fait preuve d'une empathie et d'une capacité au réconfort à toute épreuve. Et d'une patience…. Elle a seize ans d'entraînement avec moi, il faut dire. En plus, elle aime aide les gens qui ont une baisse de moral. C'est un don chez elle. Cette option lui convient si bien. C'est idéal. Je valide d'un regard fier son choix.

Je regarde la liste avec un brin de dégout pour les ongles vernis rouge sang qui tiennent le stylo. SOS dépressifs, il vaut mieux que j’évite. Je suis naze pour remonter le moral et je n’ai aucune patience. Je risque de les inciter à faire une connerie. Ça résout le problème, mais ce n'est pas le but recherché. La soupe populaire, ce n’est pas une bonne idée non plus. Sentir la bouffe sans pouvoir manger, c’est de la torture. A moins qu’ils aient besoin d’un service de sécurité contre les clochards ivres. Mélia me devance en demandant les missions précises. J'ai confirmation qu'il est préférable d'éviter pour le bien-être de mon estomac toujours vide.

Je décide de participer au chantier de rénovation de maisons insalubres. C'est le seul truc où le risque de péter un câble parait réduit. Au pire, j'aurais des outils dans les mains pour me défendre. J'espère en apprendre plus sur le bricolage basique. C’est une activité que j’aime beaucoup et en plus cela est très utile pour la vraie vie. La saleté ne me fait pas peur, ni le port de matériaux lourds et poussiéreux. Ça me rappellera les corvées de Papinou et avec un peu de chance, je pourrais défoncer des murs à la masse. Le kiff !

Miss Pimbêche fronce le nez. C'est une activité de garçon d'après elle. En voyant mon look, elle accepte après une pique qu'elle croît blessante. Au moins, elle a vu que j’étais une fille. D’autres ont encore des doutes avec mon allure indéfinie. Je fais mine d’être dévastée de sa remarque et je me marre doucement en cachette. Je me contrefiche de son opinion. Sa narine gauche qui se dilate me montre qu'elle n'est pas aussi stupide qu'elle ne parait et a compris combien ce qu'elle pense n'a pas d'intérêt à mes yeux.

Enfin, nous sortons. Nous devons trouver les chambres 326 et 330. Bon au moins, on n'est pas très loin. En cas de crise, ma jumelle sera dans les parages pour faire rentrer la tigresse dans sa cage. Le risque de blessures graves pour mes colocataires diminue. Le dortoir des filles est situé sur la droite de la cour. 300 pour troisième étage, sans ascenseur. Heureusement, on est sportive et nos bagages sont vite montés. Les sacs à dos, ce n’est pas esthétique mais c’est pratique. On est débrouillardes. On trouve en moins de deux minutes nos chambres malgré le brouhaha. Je détecte aussitôt la présence de garçons et par où ils passent en fraude. Le toit terrasse. Ils sautent de leur dortoir au nôtre via les deux terrasses. Au moins, je sais comment fuir si besoin. Le toit puis l'escalier de service extérieur.

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