Colocataires

20 minutes de lecture

Nous arrivons au pas de course à la hauteur du troisième étage sans encombre ni le moindre essoufflement. J’ai bousculé une ou deux trainardes dans les escaliers avec mon gros sac mais elles ont su tenir leur équilibre ou se pousser sur le côté à temps. Donc, il n’y a pas eu de drame, juste des plaintes que nous n’avons pas pris le temps d'écouter. Nous grimpons trop vite pour cela. Il nous faut quelques secondes à peine pour trouver les numéros de chambre. Mélia entre dans sa future demeure, la 326.

Je la suis de près et pose mon package dans le couloir. Je veux voir si ses colocataires sont acceptables avant de laisser ma sœur seule pour la première fois. Si je pressens le moindre danger, ils iront se faire voir avec leur règlement et je resterais ici pour la protéger. Pour l'instant, je n'ai vu que des mauviettes dont la seule arme est une langue de vipère. Cela, Mélia sait faire face sans moi. Elle a l'esprit bien plus vif et incisif que moi pour clouer le bec des pouffes et des vieux shnocks prétentieux.

Trois filles déballent leurs affaires. Je les jauge discrètement sous le prétexte d'aider ma sœurette. Leurs looks me paraissent assez semblables à celui de ma jumelle, moins extravagant mais très proche. De prime abord, elles me donnent l’impression de petites souris timides et gentilles qui me regardent en douce d'un air apeuré. D’ailleurs, elles ont toutes accueillies ma jumelle avec un grand sourire craintif et des mots sucrés. Je vois bien qu'elles n'osent pas me parler. Mon look les effraie. Elles ne me semblent pas très dangereuses.

Un mec, d'au moins un mètre quatre-vingt-dix, rentre dans la pièce. Je le fusille du regard sans qu’il n’y prête attention. Il se dirige droit vers une des filles. La soulevant dans ses bras, il l'embrasse sur les cheveux et les joues en riant et la chatouille gentiment. La pauvre est toute petite, environ un mètre cinquante. On voit que le mec adore la placer à plusieurs dizaines de centimètres au-dessus du sol pour l'embêter. Ils se chamaillent avec tendresse.

Elle semble heureuse de ce contact bien qu’elle proteste et ronchonne. Je n’interviens pas dans ce cas. Si elle ne voulait pas, je l’aurais défoncé le grand dadet tactile. On ne force jamais une fille à un contact sans subir de représailles si je suis dans les parages. A la discussion mi câline mi chamaillerie, j’entends qu’il s’agit de son frère. Son grand frère. Leur tendresse réciproque se sent dans leurs gestes et leurs paroles. Le ton doux et protecteur qu’il emploie me confirme combien il prend soin d’elle. La contestation et les bisous sont une autre preuve que la petite se sent bien et en sécurité.

Les deux autres filles roucoulent et minaudent en battant des cils. Elles sont heureuses de la présence du géant et le font savoir. L’une d’elle demande de l’aide pour mettre la valise sur le haut de l’étagère. L’autre veut qu’il lui raconte son été. Elles s'extasient sur sa force et d'autres trucs. Si je comprends bien, il est dans l'équipe de basket. C’est le genre populaire que j’abhorre. Au moins, il est gentil avec elles et n’utilise pas le ton supérieur habituel des mecs ayant du succès qui me hérisse le poil. Au contraire, il les complimente et les valorise. Il semble doté d'une cervelle, ce qui est rare chez les populaires.

Il ne vient pas pour draguer, mais pour donner à sa sœur l'excédent de bagages qu'elle a dissimulé dans les valises de son frère. Je les entends se chamailler avec amour. La toute petite houspille le grand dadet et n'a pas peur de le frapper avec une peluche ou ses toutes petites mains délicates. Il ne riposte que par des bisous et des câlins. Il se soumet oralement à la bonne volonté de sa petite sœur adorée. Mélia sourit quand ils ont des propos similaires à ceux qu’on peut avoir avec ma jumelle. Elle aussi scrute les moindres faits et gestes de la chambrée pour contrôler son futur environnement. Si la fille ressemble beaucoup à ma licorne en plus timide et craintive, lui n’est du tout comme moi sauf le coté protecteur. Il est doux, aimable, sociable et rieur. Mon contraire quoi.

Deux midinettes pas bien méchantes et une froussarde plutôt rigolote. Ce genre de colocataires me convient. Mélia n'est pas en danger. Elle aussi est rassurée. Je le vois à ses épaules qui se sont légèrement affaissées et détendues et aussi au sourire non simulé qui grandit à chaque minute. Le grand frère, bien que sportif, ne me semble pas une menace non plus. Son bonjour poli à l'assemblée sans un regard et son coté maman poule avec sa sœur me rassure. Il ne fera pas de mal à Mélia.

Alors que je m'apprête à la quitter, après une bise câline, pour rejoindre ma chambre, le gars semble enfin s'apercevoir de ma présence. Il regarde avec étonnement mais aucune méchanceté mes fringues puis celles de ma sœur. Ses yeux deviennent admiratifs sur la jupette colorée. Il commence à discuter avec elle, pour aider sa sœur à se faire des copines et me jauge discrètement. Il est rassuré que je ne sois pas la colocataire. Mélia lui plaît. En quelques minutes, ils rient tous de bon cœur. Je n'ai pas encore ouvert la bouche. Ma chérie m'a donné ordre de me taire et puis la discussion est amicale. D'un regard, mon double me congédie.

Je retourne au couloir et attrapant mon lourd sac, je bouge de quelques mètres à peine. Il n’y a que très peu de distance entre nos deux chambres. Je suis de l’autre côté du couloir, à une pièce de distance. Je pourrais entendre si elle crie et être sur place en quelques secondes. Elle aussi si mes colocataires hurlent. Une distance parfaite pour la sécurité réciproque de Mélia et de mes futures colocataires.

— AAAAAARRRRGGGGG.

Au vu du nombre de valises qui jonchent le sol, j'ai affaire à trois fashion-victimes pétées de tunes. Mon pire cauchemar. Pourquoi c’est moi qui hérite toujours des corvées ingrates ou des plus casse-couilles ? Quoique, je préfère cela. Si elles ouvrent trop leur bouche, je saurais leur fermer très vite. En plus, et bien que ma sœur chérie soit aussi très douée pour cela, j'ai une capacité impressionnante à me foutre royalement de l'opinion des autres. Tout ce qu'elles pourront dire n'affectera jamais mon mental d'acier trempé au titane. C’est mieux que Mélia soit avec des gentilles filles. Sa sécurité prime sur mon confort.

Au vu du regard de mépris des deux présentes, j’ai clairement droit à deux pétasses. Leurs yeux me décortiquent sans aucune pitié. Leurs petits nez retroussés confirment qu’elles ne valident ni mon look, ni mon sac à dos. Je m’en fiche. Je m’auto valide et l’opinion que peuvent avoir les autres n’a que peu d’importance, voir aucune. Sauf quelques exceptions comme Mélia, Papinou ou mon parrain Richard. De toute façon, je n'en pense pas moins sur leurs looks de minijupes trop petites qui les boudinent et le maquillage de camion volé qui orne leur façade.

Après le bonjour de rigueur, question de politesse et d’éducation, je ne leur adresse pas la parole. C’est inutile. Je sais déjà que nous n’avons aucun point commun ou sujet de discussion neutre. J’ai promis à Mélia de ne pas chercher les conflits le premier jour. Alors je me tais par sécurité. D’ailleurs, j’ai toujours dit qu’on répondait aux imbéciles par le silence. Cela m'évitera de perdre du temps en débats stériles qui pourraient m'empêcher de respecter ma parole envers celle que j'aime le plus au monde.

Sans un mot, j’ouvre mon sac et sort mes affaires pour les mettre dans l’armoire correspondant à mon lit. J’ai choisi la couchette haute de gauche, les deux bécasses s’étant entassées à droite et une valise rose à paillettes se trouvant sur la couchette basse. En plus, je préfère voir le plafond qui ne risque pas de s’écrouler qu’un dessous de planchette qui grince et menace de s’effondrer. En plus, je peux voir dehors par la fenêtre de ma position et j'ai un contrôle sur la porte d'entrée. C'est la meilleure position stratégique et même si j'ai fait semblant de ronchonner et de ne pas avoir le choix, cela aurait été la place que j'aurais prise de moi-même.

Je m'interroge tout de même sur la personne qui sera en dessous de moi. Les deux bécasses se sont placées d'elles-mêmes de l'autre côté. Elles doivent craindre ou mépriser la dernière habitante. Peut-être les deux. Je me demande si je dois être heureuse ou si c'est une calamité encore pire que le duo aussi dangereux que des vipères sans crochet. J'entends un flot ininterrompu d'âneries censées être blessantes. Ces deux-là n'ont clairement pas réussi l'implantation du cerveau à la naissance. Leur répondre pour les mettre plus bas que terre est un gaspillage de salive. J'ai des choses utiles à faire et d'autres préoccupations en tête.

Mes fringues sont rangées en dix minutes. J’ai perdu du temps à replier proprement certaines qui s’étaient froissées. Mes livres de cours et autres accessoires scolaires en cinq. Méthodique et efficace. De toute façon, je n’ai pas grand-chose. L’essentiel et quelques bricoles toujours utiles comme mon couteau à cran d’arrêt, de la corde, des biscuits secs et surtout des livres d’apprentissage de techniques diverses. Je suis un peu psychorigide aussi d’après Mélia. J’aime que chaque chose soit à sa place et parfaitement aligné, trié par taille ou couleur. J'ai vérifié avec la règle que l'espacement entre chaque pile soit de même taille. Les lignes droites et la symétrie sont une preuve d'un esprit sain.

Le bordel adjacent m'irrite déjà. Comment peux t'on mettre autant de bazar et avoir un si grand nombre de fringues sans aucune utilité. Vous avez déjà essayé de courir ou de pratiquer la boxe en talons ? Un gilet trop fin pour tenir chaud et trop transparent pour couvrir quoi que ce soit est superflu. Alors que dire de cinq... Le pire, c'est qu'elles se montrent l'un l'autre leurs achats de cet été comme des trésors inestimables. Je ne vois que des chiffons payés trop cher par des escrocs.

Un jour, il faudra vraiment que je demande des explications à Mélia sur la mode. Je n'arrive toujours pas à comprendre la différence entre un corset et une guêpière ou la raison de changer de couleurs de fringues tous les six mois. Je porte du noir, du gris, du bleu marine, du kaki, du vert et parfois du blanc depuis ma naissance et je me sens parfaitement bien dans mes baskets. A la rigueur, je veux bien qu'on parle des différences coiffures qui permettent de discipliner les cheveux et d'éviter de fournir des prises lors des combats et encore. Je n'ai pas la patience pour me faire des tresses.

Après avoir mis mes draps au carré, je m'affale sur mon lit, tout en haut à gauche, avec un bouquin sans me préoccuper du papotage des deux mégères. Leur discussion n’est pas intellectuellement stimulante et ne présente aucun intérêt à mes yeux. J’ai cette capacité de faire abstraction des bruits dérangeants pour me concentrer dans ma bulle ou sur un bruissement quand je traque du gibier. Je suis à deux doigts de m'endormir d'ennui, quand j'entends une voix de crécelle et la porte qui s'ouvre. Je pressens aussitôt le danger qui approche. NON ! PAS ELLE. PITIÉ ! PAS ELLE.

— C'est ici chéri. Rentre donc dire bonjour à Pétunia et Clarissa. Ne fais pas ton ours voyons.

ET MERDE. Miss Pimbêche. La voilà qui pénètre dans la chambre accompagnée d'un bellâtre insipide. Je me replonge dans mon livre en espérant qu’elle ne me voit pas. S’il y a une personne avec qui je ne voulais pas partager un petit espace, c’est bien elle. Décidément, après des parents débiles, me voilà encore malchanceuse. Je n'ai pas envie de trahir ma promesse à Mélia. Je sais qu'avec la nouvelle arrivante, mes nerfs vont très vite être en surchauffe. Je dois éviter tout conflit, pour l'amour de ma vie qui me l'a demandé au moins dix fois sur le trajet des escaliers. Je tente de fusionner avec le matelas pour disparaître, me camoufler à l’abri des personnes indésirables. D’un autre côté, c’est jouable vu que mes vêtements sont de la même couleur que mes draps, vert foncés.

Le pauvre type est son toutou. Non, son petit ami. Le roi du lycée. Le capitaine de l'équipe de basket. J’entends les roucoulades et je peux imaginer les mains baladeuses et les lèvres baveuses rien qu’au bruit qu’ils font. Encore heureux que mon regard reste sur les pages, je serais capable de vomir devant autant de démonstrations et de parade nuptiale. Je suis sûre que si les deux pétasses n’étaient pas là, ils seraient capables de se reproduire juste en dessous de moi tellement leurs hormones en chaleur sont bruyantes. Me voilà heureuse de la présence des deux bécasses. Un comble !

Le seul truc qui me fait rire dans les roucoulades de Miss Pimbêche est que le bellâtre semble quelque peu acariâtre. Si son corps lui plaît, ses réflexions et pensées n’en font pas autant. Je me pince les lèvres pour ne pas rire à chaque fois qu'il la remet à sa place ou soupire d'exaspération. Les deux pouffes subissent quelques remarques cinglantes qui ont l’avantage d’offrir quelques secondés de merveilleux silence. Il remonte un peu dans mon estime quand je constate qu’il est aussi presque grincheux que moi. Peut-être que je pourrais foutre la merde avec sa complicité. Malheureusement, un rire étouffé signale ma position. La reine des abeilles finit par me repérer.

— Qu'est-ce que tu fous là toi ?

Je daigne lever les yeux et lui montre du doigt l'armoire rangée pour lui signifier être une de ses colocataires. Je n'ai pas envie de parler. C’est plus sûr pour la sécurité des personnes présentes. De toute façon, je n'ai pas grand-chose à dire. Aucune des discussions des trente dernières minutes n'a soulevé d'intérêt de ma personne. J’écoute juste parce que j'aime faire la commère. Et puis, on ne sait jamais quand une information intéressante peut tomber. Alors, je suis toujours aux aguets. La reine des abeilles semble avoir compris mon langage des signes et soupire. Elle est aussi ravie que moi de cette colocation. Elle rabroue les deux autres qui tentent des explications. Bon au moins, chez elle, la greffe de cerveau a prise.

Replongeant mon regard dans les pages de mon bouquin, je signifie clairement mon peu de motivation pour la sociabilisation. Miss Pimbêche comprend le message et commence à ranger elle aussi ses trois valises de fringues tout en continuant à rabaisser les deux autres filles. Elle commet l'erreur de laisser son acolyte seul et il ose se rapprocher de mon espace vital. Le bellâtre se penche pour lire le titre de mon bouquin. Il ricane en voyant "La mécanique pour les nuls. Principe de base".

Il se tourne alors vers l’armoire où mes autres bouquins sont alignés, comme sur une bibliothèque. Il effleure les couvertures du bout de doigts d'un regard pensif. A côté des livres de cours, mes autres ouvrages sont du même acabit. Mécanique, maçonnerie, plomberie, électricité, cuisine du terroir et surtout mes deux préférés. « Biographie d’un tireur d’élite » et « Psychologie des tueurs en série ». Je ne vois pas le mal à s’éduquer de choses aussi utiles. Il faut bien que je sache réparer ma jeep quand je serais adulte. Les autres sont tout aussi une base essentielle à la vie de n’importe qui. Il inspecte mes livres d'un air souriant.

— Je sens que vous allez vous entendre à merveille toutes les deux Naya. Dit-il en éclatant de rire.

Non mais ça veut dire quoi ça ? Comment ose t’il critiquer de la sorte mes lectures. Est-ce que moi je lui dis qu’il bécote une pouffiasse ? S’il veut la guerre, il va l’avoir. Je ne crains pas les mecs. Je sais me battre et j’ai déjà cassé des dents à des petits crétins de bacs à sable. Je serre mon livre avec force pour ne pas exploser et lui balancer dans la tronche. Je pense fort à Mélia pour me calmer. Je dois tenir 24h sans me battre. Je peux y arriver. Je lui ai promis. Je l'aime. Elle est un milliard de fois plus importante que de péter les dents d'un abruti baveux. Je souffle doucement pour détendre mes muscles un par un. Mes doigts sont blancs à force de me crisper sur les pages.

Fort heureusement pour sa vie, il sort rapidement. Un de ses potes l’appelle pour faire un truc. J’adore les détails incroyablement précis que donnent les mecs pour décrire leurs activités viriles à leurs nanas. On dirait moi quand je veux dissimuler une connerie à venir. Miss Pimbêche fulmine de curiosité non satisfaite. C’est si comique. Les discussions de filles le gonflaient et il a choisi le premier prétexte possible pour s’enfuir lâchement. Rien de bien sorcier à comprendre. Même moi, j’ai envie qu’un pote m’appelle pour m’enfuir, loin d’ici. Très loin d’ici. Dans mon petit village de campagne où j’ai grandi.

Je continue mon silence radio. Les trois idiotes vantent l'aspect physique du bellâtre et de ses potes. Je n'ai même pas jeté un œil et j’ignore à quoi il ressemble. Tout juste, je confirme mentalement que le dénommé Blaise, qui semble être le frère que j’ai vu tout à l’heure, a d’immenses fossettes sur les joues. Mais bon, c’est un détail de description physique. Pas de quoi se mettre à baver non plus. C'est normal qu'ils aient de muscles s'ils jouent au basket de manière intensive. Ça prouve qu'ils ont un bon entrainement. Les muscles ne font pas tout, encore faut -il savoir s'en servir. J'apprends au bord du dégout que l'équipe de basketteurs dispose d'une troupe de pompom girls pour les supporter. Dont évidemment Miss Pimbêche est la capitaine. Le cliché total. Quelle horreur ! Cette discussion futile à souhait me gonfle.

Je mets mes écouteurs et le volume de musique suffisamment fort pour m'isoler dans ma bulle jusqu'à l'heure du repas. Je dois faire redescendre l’agacement qui monte en moi et qui risque d’exploser d’une seconde à l’autre. En récupérant mon sauveur sonore, je m’aperçois que la reine des abeilles a trop de fringues et ne sait pas comment ranger son fourbi. Comme elle est doté d'un cerveau et semble contrôler le lycée tout entier, je décide de faire un geste tactique pour montrer patte blanche. Non par peur mais par fainéantise. Je veux pouvoir avoir la paix plus tard et pas casser la figure à une centaine de lycéens stupides.

— Je n'utilise pas le côté droit de mon armoire. Tu peux y stocker quelques affaires à condition que vous me foutiez la paix toutes les trois. Je suis solitaire et heureuse comme ça.

Miss Pimbêche me regarde, surprise. Ma voix neutre a troué les gloussements des pintades. J’avais presque réussi à faire oublier ma présence. Elle m’observe quelques secondes pour jauger du sérieux de ma proposition et constate qu’effectivement, il n’y a rien sur le côté droit de mon armoire, qui est voisine de la sienne. Puis satisfaite, elle accepte ma proposition d'un :

— De toute façon, je n'ai nullement envie de parler avec une grunge comme toi. Mais.... Merci pour l'armoire. C'est cool. Je saurais m'en souvenir.

Elle sourit de voir son problème de dressing résolu aussi facilement. Les deux pintades font des courbettes à la pimbêche. Je réalise soudain être dans la chambre de la reine du lycée. La chef de la secte des populaires. Il va falloir que je m'habitue à voir passer un tas d'andouilles pour lui lécher les bottes. Je dois me préparer à des crises de nerfs quotidiennes.

Je textote à Mélia, qui se moque de moi et de ma fichue poisse. Ses blagues me font redescendre illico en pression. Elle est déjà au courant des commérages du lycée et m'en tient informée. Des prénoms passent. Des potins sans grande importance. Tout ce que je retiens, c'est que la cafét est ouverte de cinq heures à vingt-trois heures. Génial pour les affamées chroniques dans mon genre.

Les trois pestes sortent pour manger. Je suis enfin seule. Youpiiiii. J'en profite pour écrire une lettre à ma petite cousine. Ma petite puce que j'adore. Elle a cinq ans de moins que moi. J’ai tendance à la couver elle aussi. Intelligente, elle fait déjà son arrivée au collège. Elle redoute autant que moi cette rentrée, mais pas pour les mêmes raisons.

Si je passe de l’enseignement à domicile à un lycée privé en internat, elle passe du primaire et des maîtresses qui vous maternent au collège avec les grands et les professeurs multiples qui vont mettre trois mois à prononcer correctement les noms de famille. Heureusement pour elle, ses parents sont des gens bien et très aimants. Je ne me fais pas trop de soucis. Elle est presque aussi sociable que Mélia mais avec un caractère fort comme moi. Elle saura faire face.

Ma tranquillité est de courte durée. Un abruti se permet l’outrage de rentrer sans invitation, me faisant sursauter et serrer les poings dans une attitude de défense réactionnelle. Il ne réagit même pas à mon changement d’attitude et regarde partout.

— NAYA. C'est moi. Tu viens bouffer ? Lance l’intrus qui pénètre sans toquer.

— Ya personne ! Répondis-je sans lever les yeux d’un ton rageur.

Le bellâtre me regarde surpris. Il vient enfin de réaliser que je suis vivante et que je sais parler. Il me jauge du regard, réfléchissant à comment me répondre. Je sens que ma phrase ne lui a pas plu, toutefois je suis dans la chambre de sa nana et donc, il se demande s’il doit rester poli ou pas.

— Ah non ! Meg chérie. Tu ne vas pas commencer à faire ton asociale.

Je souris en reconnaissant la douce voix de mon double qui me gronde et me pointe du doigt avec des gros yeux mi-rieurs, mi-désapprobateurs. Je pose mon livre immédiatement et me lève pour lui sauter dessus. Je la couvre de bisous en riant, toute tension aussitôt disparue. Elle a un don, c’est certain. Une sorte de pouvoir magique d’apaisement instantané. Je l’aime tellement.

— Oui, mon petit tyran d'amour.

Elle me tapote le crâne en riant et en acceptant mon câlin, puis elle me présente ses nouveaux amis. Ses trois colocs et l'équipe de basket au grand complet. Mais comment fait-elle ? Mélia n'est là que depuis deux heures. Sa rapidité à connaître les gens me laissera toujours admirative. Elle me donne tous les prénoms, que j'oublie aussitôt.

Elle semble avoir eu un coup de cœur pour la petite froussarde maternée par son frangin. Je l'écoute babiller joyeusement avec la troupe de nouvelles têtes. Je suis heureuse de voir que Mélia se fait des amies. Je souris tendrement en la regardant. Le frangin m'adresse la parole.

— Toi, c'est Mégane c'est ça ? Et ta sœur, c'est Mélia ? Moi, c'est Blaise. Le frère de Sarah.

Je hoche la tête sans dire un mot, poliment. Les questions ne nécessitent pas davantage de développement et je suis concentrée sur le ton des voix pour repérer les personnes désagréables à surveiller ou rabrouer. J’ignore sa tentative de bise et il se prend ce qu’on appelle un vent qui ne le rebute pas.

— Samedi, je fais visiter la ville à ma frangine. Vous pouvez venir avec nous les filles si vous voulez.

Mélia sautille de joie et le remercie. C'est vrai que c'est gentil de sa part. Même si je pense que c'est une technique pour évaluer les colocs de sa sœur et s'assurer qu'elle est en sécurité. Il se méfie de moi et il a raison. Il est intelligent pour un sportif et remonte dans mon estime. Je l'entends dire aux filles que si quelqu'un les ennuie, elles n'ont qu'à venir le voir et il s'occupera de son cas. Mélia éclate de rire quand Sarah gronde son frère en lui demandant d'arrêter de la couver.

— Toi aussi, tu as un garde du corps Sarah ? Le mien, il ne paye pas de mine, mais c'est une teigne.

Je lui tire la langue. Je sais pertinemment qu’elle se moque de moi avec amour. Je ne nie pas les faits, mais ne les confirme pas non plus. De toute façon, le rire cristallin de ma jumelle qui répond à ma grimace suffit en lui-même. Voilà que le bellâtre se mêle de notre chamaillerie.

— Il y a des types pas recommandables. Il vaut mieux que vous veniez nous voir. Une teigne ne peut rien face à une montagne de muscles.

— Ça dépend de la résistance de la montagne de muscles au tordage de couilles. C'est le point faible de beaucoup de messieurs trop sûrs d'eux, répondis-je d'un ton froid.

Mélia n'arrive plus à respirer tant elle rit. J’ai dit cela d’un air si naturel que les messieurs alentour ont tous sursauté à mes menaces même pas dissimulées. Il est important d’asseoir sa réputation dès le départ. L’effet dissuasif est essentiel. Ça évite de perdre du temps par la suite.

— Quand je vous dis que c'est une teigne.

Et voilà comment, en mimant le geste pendant que je parle, une équipe de basketteurs de dix-sept ans se met à craindre une fillette de quinze ans à peine. Les rires de ma jumelle accentuant la véracité des propos. Plusieurs me regardent avec inquiétude pour jauger de ma dangerosité et mes yeux froids ne les rassurent en rien. J’ai l'art de me faire une réputation d'entrée.

Arrivés à la cafét, Bellâtre et ses potes vont rejoindre la reine des abeilles. Seul Blaise reste avec les petites nouvelles de seconde. Il veut montrer à tout le monde que les demoiselles sont sous sa protection et pose une main sur l’épaule de sa sœur, dans un geste tendre et protecteur. Je remarque les regards d’avertissements à la gent masculine aux alentours. Pas agressif, mais suffisamment clair pour dissuader de toute tentative de bizutage ou de drague. Je l'aime bien lui.

J'observe la salle avec curiosité et comprends très vite la menace dont parlaient les mecs. Un haltérophile à l'air niais se pavane dans la salle en marcel transparent. Vu comment pas mal s'écartent, il doit être le caïd du coin. Le regard agressif qu'il échange avec Bellâtre me permet de réaliser que seuls les basketteurs le tiennent en respect.

— T'en pense quoi ? Me demande sans discrétion ma licorne.

— Musclé, mais trop. Il doit manquer de souplesse et de rapidité. S'il te cherche des poux, vise l'entrejambe puis quand il se plie, pète-lui le nez, dis-je calmement.

Blaise part dans un rire sonore qui fait se retourner toute la salle. Mon jugement rapide du type et surtout ma réponse concernant le moyen de le neutraliser provoque la joie du grand frère protecteur. Mon air désabusé et sans aucune inquiétude lui confirme que soit je suis folle, soit je suis dangereuse. Un peu des deux à vrai dire.

— Toi, je sens que tu vas me plaire. Je t'aime déjà.

Il m'ébouriffe les cheveux dans un geste amical. Les autres filles de la table sont bouche ouverte sauf Mélia qui sourit avec espièglerie. Donc Sarah la métisse, Lilou la blondinette, et Fleur la... Bleue ? Oui, c'est ça. Ses cheveux sont bleus. Elles ont toutes les trois un look un peu Kawai manga comme ma chérie d'amour. Elles vont faire un sacré quatuor, je pense.

— EEEEEH FARMERRRRR. Pourquoi Blaise est mort de rire ? Qu'est-ce que t'as dit comme connerie encore ? S'écrie Bellâtre à travers tout le réfectoire.

— EEEEEH MALTEEEEEZZZZ. IL ME RACONTAIT TES RONFLEMENTS. JE LUI AI PROMIS DE LUI PRÊTER MON BOUQUIN POUR T'ASSOMMER PENDANT TON SOMMEIL MALTEEEZZZZZ, lui répondis-je sur le même ton en utilisant son nom de famille deux fois pour lui clouer le bec.

Autant Blaise me parait sympa, autant son pote capitaine va me hérisser le poil, je le sens. D'ailleurs, la tête qu'il fait à ma réplique m'indique qu'il n'a pas apprécié. Ce sentiment d'exaspération est mutuel. Visiblement, il n'a pas l'habitude qu'on lui réponde. Avec moi, il va être servi. Quand il s’agit de répondre du tac au tac, je suis aussi vive et dangereuse qu’une vipère énervée. Je vois la salle médusée et Musclor en train d'avaler les mouches. Bon sang, qu'il a l'air bête. On dirait Brice de Nice qui aurait fait de la gonflette.

Annotations

Vous aimez lire danslalune123 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0