Mariage

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La synagogue du Douar Loulija est pleine. Séparés, hommes et femmes sont assis de part et d'autre de l'allée qui mène à la 'Houpa, le dais sous lequel les futurs époux, leurs parents, les témoins et le rabbin vont se tenir pendant le mariage. Samuel et Rachel s'engagent dans l'allée et s'arrêtent à mi-chemin. Ils sont rejoints par leur fils David, le 'hatan, un sourire ému sur le visage, il les accompagne jusqu'à la 'Houpa. Puis c'est au tour des parents de la mariée, la Kalla, de s'avancer et enfin apparaît Mi'hal, rayonnante. La cérémonie de Kiddushin, dite aussi des sept bénédictions, peut commencer. C'est un moment chargé d'émotion pour le jeune couple et les familles, le point culminant d'une série de festivités et de rites ayant débutés sept jours plus tôt.

Une semaine donc avant le mariage de Mi'hal et David, toute la famille Abboulafia, leurs proches et quelques amis, se déplacèrent en grand aréopage pour Igherm, la maison de la mariée, en présence de rabbins et de témoins pour la signature de la kétouba.

– Quel soucis de descendre à Igherm, Joseph. Tu rends compte, cent cinquante kilomètres de désert dans la stafit Peugeot ! Avec toutes les tenues qui vont prendre la poussière, et les cadeaux... et puis elle est comment cette famille Benmelloul ? Est-ce que Samuel pourra honorer la kétouba ? Là-bas, on traite encore avec des chameaux, ou des chèvres !?

– Déborah, ce que tu veux, Dieu le peut, alors ?

La kétouba est un acte qui énonce les engagements du futur époux envers sa femme et fixe le montant de la dot à lui verser en cas de divorce, indispensable à la validation du mariage. À cette occasion, la famille et les amis de David, accompagnés des youyous traditionnels, remettent des cadeaux à la fiancée : nuisette, maquillage, bijoux, chaussures, et surtout des plateaux chargés de fruits secs, d'épices et de plantes bénéfiques. Une fois l'assemblée au complet, les rabbins demandent à David et Mi'hal leur consentement, annoncent le régime matrimonial choisi et le montant de la dot.

– Et combien on rajoute de zéro après la virgule ? Tu rends compte Joseph, il faudra vendre des tapis pour aider Samuel. Ils ne manquent pas de toupet pour leur petite Mi'hal ! Ils se prennent peut-être pour le roi de la Chine ?

– L’Empereur de Chine, corrigea Joseph.

Il ne reste plus qu'à apprécier le premier des repas de festivité de la semaine.

– Regarde, ils nous reçoivent dans des tentes ! Ils ont dressé des tentes de bédouin dans le mellah ! Peut-être ils savent pas qu’on n’est pas des berbères ?!

Ima, lui souffla Samuel, on est dans le sud...

– Pourquoi, tu crois que le Douar Loulija c'est au nord de Tanger ?

Ima, on est dans le djebel du Sousse-Massa-Draâ, à plus de quatre cents kilomètres au sud de Marrakech, si tu veux savoir. Alors cette famille a ses traditions du désert...

– Qui étaient les nôtres, mais qui n'y sont plus !

Ishti, si tu ne fais pas téshouva très vite, peut-être que Dieu ne pourra plus te pardonner, suggéra Joseph.

– Ma parole, comme c'est beau ici ! Mon fils tu as de la chance d'avoir une si belle belle-fille, tu rends pas compte la joie que ça me donne ! Et puis madame Benmelloul, quelle allure ! Mais ma parole, pourquoi elle porte le hidjab, elle n'est pas juive ?

– Ima, tu vois pas que c'est son chentouf louiz !

– Alors comme il est beau ! Tu crois qu'un jour elle sera ma meilleur amie ?

– Arrête-Ima, c'est la famille d'Igherm Melloul, de l'oued du Draâ...

– C'est bien ça, une belle ferme, des pâturages à l'infini, beaucoup de chameaux, et des chèvres... t'es dans de beaux draâ mon fils. Que maintenant mon fils il pète dans la soie parce que David son fils, il a épousé le plus grand troupeau du monde ?! Et moi ? Qui je suis ? Je n'existe plus ?

Ima, tu es irremplaçable !

Barux hashem ! Merci mon Dieu, merci Samuel, tu es le meilleur des fils que la terre elle a jamais porté !

Yaël Benmelloul, mère de Mi'hal s'approcha :

– Alors Lalla Abboulafia, comment trouvez-vous notre région ?

– Tellement belle, madame Benmelloul, c'est tellement agréable pour nous de retrouver la vie sauvage, la vie du djebel qu'on avait complètement oublié !! Et puis ces tentes, comme c'est authentique ! Du poil de chameau et du poil de chèvre ? Ça gratte pas trop ? Avec toutes ces fleurs partout ! On se croirait revenu au temps des Prophètes ! Dites, malgré tout, pour faire la poussière, je vous plains. À ce propos, madame Benmelloul, vous en avez des domestiques, pour s'occuper d'une si belle propriété ?

– Appelez-moi Yaël...

– Comme le bouquetin ? C'est vrai, il y en a tellement dans les montagnes, par ici...

– Oui le bouquetin, celui qui sauva le peuple de Yahvé, celui de la bible ! Sinon, concernant notre mawât, nous avons tous les chameliers et chevriers qu'il nous faut, des paysans pour l'entretien des pâtures et du fourrage, des jardiniers et des artisans pour la maintenance du domaine, des cuisiniers et des aides ménagères... Mon mari se fait aussi aider pour l'administration du Caïdat, sachant qu'il participe aussi à la gestion de la wilaya de Sousse.

– … ? que si votre ramage se rapporte à votre plumage... Mon dieu je ne pensais pas qu'Akka était si important ?

– Igherm, très chère, Igherm …

Le mercredi suivant, c'est Lilet al Henna, la nuit du henné. Cette fête très importante regroupe autant de monde que le soir du Kiddushin. Les femmes sont en caftan, celui de Mi'hal est couleur or. Elle se change et met la fameuse Keswa Lakbira, la robe de mariée juive, composée de plusieurs pièces de velours abondamment brodées au fil d'or. Cette dernière est rouge bordeau, selon la tradition fassie. Le rituel du henné peut commencer, il est censé apporté chance et bonheur à la Kalla, la protégeant du mauvais œil. Lalla Laâroussa, la grand-mère de Mi'hal trace un cercle sur la main des fiancés et des invités. Les youyous retentissent alors et les femmes entonnent une vieille chanson en arabe, ''Abiadi... soit fière la mariée, mets du henné sur ta main...''

Le dernier cérémonial avant le mariage proprement dit est le Mikvé, le bain rituel. Mi'hal s'y rend accompagnée de sa belle-mère – enfin, Déborah y tient la vedette, ce qui effacera tous ses ressentiments – suivies des femmes et amies des deux familles, qui apportent avec elle des douceurs, dattes, confitures et limonades... lavée, épilée, Mi'hal s'immerge à plusieurs reprises dans le Mikvé afin d'être purifiée. Autour d'elle, les femmes chantent et lancent les youyous. La tradition veut que la jeune femme s'immerge sept fois, ce qui rappelle les sept seaux utilisés autrefois au Hammam pour purifier la future épouse musulmane et la placer sous la protection des anges. Après le Mikvé, la fiancée n'est plus autorisée à voir son ''promis'' jusqu'au mariage.

Enfin, le soir de Kiddushin arrive. Toutes les familles se sont rendues dans la famille de David, au Douar Loulija. Déborah, radieuse, souffle : elle joue à domicile ; même s'il faut accueillir une centaine de personne, préparer les ''appartements'' des mariés, de la belle famille et des invités, les fleurs, les loukoums et les dattes, les méchouis et autres desserts... ses filles sont là pour la seconder, l'assister, la remplacer au service... qu'elle puisse régner sans partage !

À la synagogue la cérémonie est simple, émouvante, entrecoupée de chants en hébreu, beaux et mélancoliques. Mi'hal remonte l'allée, ravissante dans une robe blanche brodée d'argent, et rejoint David sous la 'Houppa, symbole du foyer que le couple doit construire et partager. Après avoir dit quelques mots sur les promis et leurs familles, Rabbi Shlomo commence à réciter les sept bénédictions, le kiddush. Le 'hatan boit une gorgée de vin béni, et la Kalla l'imite. Puis c'est l'instant crucial, la remise de l'anneau d'or. David tient l'alliance dans sa main et déclare à sa fiancée : « Te voici sanctifiée à moi selon la loi de Moïse et d'Israël ». Il passe ensuite l'anneau à l'index droit de Mi'hal, en prenant soin de ne pas la toucher ; il n'en a pas encore le droit ! Pour cela, il ne fait que glisser la bague jusqu'à la première phalange de Mi'hal, la Kalla refermant sa main dessus.

– Ça y est, ils sont mariés ! éclate Déborah.

Mi'hal pousse un cri de joie en montrant sa main baguée à l'assemblée ! Alors Rabbi Shlomo lit la kétouba à voix haute et la remet à Mi'hal, qu'elle conservera précieusement. Et Rabbi Shlomo de terminer de réciter le kiddush tandis que David boit à nouveau le vin béni et en donne à boire à sa nouvelle épousée. Une fois leur union sanctifiée, on ouvre le Hékhal, sorte d’armoire contenant les rouleaux de la Thora. Le nouveau couple demande le Pardon de ses péchés et renaît comme une seule âme. Puisque les voies du ciel sont censées s'ouvrir pour les mariés, leurs prières seraient exaucées.

– Tu as vu, Ishti, chaque jour, demande Pardon à l’Éternel...

– Joseph ! Je fais Vidouï pé chaque fois que j'ai le temps. Depuis une semaine, je me suis sentie un peu... débordée ? Mais je te promets, dès que tout sera fini, je m'en remettrais à toi... Il faut bien dire que si on devait compter sur les hommes pour faire la cuisine, à quelle heure on mange ? Note qu'alors, peut-être j'aurai déjà perdu quelques kilos... et, Joseph, j'aurai pu rentrer dans le caftan de notre mariage. Tu vois Joseph, tu aurais pu faire des efforts, et en plus, on aurait fait des économies !

En se retournant vers l'assemblée, les yeux de Mi'hal sont embués de larmes. Le 'hatan accomplit alors l'acte généralement associé au mariage judaïque dans l’imaginaire collectif : d'un coup de talon, David brise un verre préalablement enveloppé d'une étoffe blanche. Ce geste rappelle à tous qu'aucune joie, même la plus grande, ne peut être parfaite depuis la destruction du Temple de Jérusalem.

– Souviens-toi, Lalla-Ima, la juteuse et douce grenade rouge, elle a aussi des pépins !

– Je te remercie, David, de me rappeler à mes obligations de grand-mère de famille. Dorénavant, tu presseras les grenades pour moi... Et puis, en cassant le verre, je peux te dire que c'est le dernier acte d'autorité du mari... Souviens-toi, David !

En tout cas, c'est la fin de la cérémonie ; les jeunes mariés s'embrassent et s'enlacent, puis quittent la 'Houppa entourés par les invités et les youyous enthousiastes. Mazel tov !!

C'est maintenant l'heure du banquet, un moment certainement très attendu par les héros de la soirée, puisqu'ils jeûnent depuis la veille au soir. Déborah a réquisitionné une grande salle dans le mellah, avec tables blanches décorées de bouquets de roses, sofa profonds et riches tentures, orchestre local, cuisine et dorures marocaines à gogo... histoire de montrer que chez Abboulafia on n'est pas que des berbères ! Entre chaque plat, les mariés enrôlent les convives sur la piste de danse. Au début, hommes et femmes vont chacun de leur côtés, Mi'hal tourne sur elle-même au milieu de ses amies, tandis que David danse en cercles avec les hommes (voyez Rabbi Jacob!). Puis, tous se regroupent et portent la mîda, la table du 'hatan et de la Kalla. Les youyous retentissent !!! Ainsi élevé au-dessus de l’assistance, David n'en mène pas large alors que Mi'hal, radieuse, salue ses amis et sa famille. On les fait redescendre, ils s'embrassent, et Mi'hal va ouvrir le bal avec monsieur Amir Benmelloul, son père très ému. Joseph, solennellement invite Yaël pendant que Déborah, rongeant son frein, se répand en salamalecs au près des invités d'Igherm, vantant la fraîcheur des champs et collines avoisinantes... Après le dîner, David et Mi'hal s'éclipsent pour réapparaître quelques instants plus tard, lui en djellaba, et elle en caftan rouge et or. Parée de bijoux, Mi'hal entre dans une danse orientale chaloupée, au son des rabbabs, fifres et botbols. Les youyous montent crescendo, jusqu'au paroxysme où David entre dans la danse... Et la musique orientale d'endiabler la soirée. Lalla Laâroussa revient pour appliquer le henné à tous les invités.

– Pour le bonheur, ma fille, dit Déborah en étreignant Mi'hal. On dit même que les jeunes filles qui présentent leurs paumes de la main, elles trouveront un mari dans l'année ! Tu l'as fait, toi ? Moi, je l'ai fait...Aylla... y a longtemps !

Tard dans la nuit, les derniers invités vont se coucher, Lilet er-raha, la nuit du repos.

– C'est pas demain que je refais un mariage, Joseph ! La parole de Dieu !

– C'est bien, tu t'es réconciliée avec toi-même. Alors ne te fais plus de soucis pour Safia et Yacoub...

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