Pour se dérober au énième round qui se déroulait sans sa tête, elle choisit un de ses prospectus vantant les mérites des départements du pôle Vie. Les étagères de la salle d’attente de la mairie entouraient la pièce de la caricature de la réussite. Elle ne sut que choisir devant la fresque effrayante de visages rayonnants d’une bonne énergie.

Elle reconnut Aarron parmi eux dans un prospectus du département « carrière/aspiration ». Il était beau, de la beauté de la concentration. On pouvait distinguer une veine sur son front au-dessus d’un imposant appareil photo. Ses cheveux étaient rasés très court, un tracé parfait dont la partie fine longeait ses oreilles puis formait une barbe naissante à la base anguleuse de sa mâchoire. Un carré dessinait son menton et mettait en valeur un sourire flottant sur ses lèvres dont la moitié apparaissant à côté de l’objectif. En légende : « Aarron, 31 ans, photographe, a découvert sa voie après son passage au stage intensif de connaissance de soi ». Elle ouvrit le dépliant.

Je m’appelle Aarron Ambrose. J’ai été adopté par une famille originaire de Manchester. Je suis venu étudier dans une école d’art à Paris, passionné par la culture française. A la fin du cursus je n’étais pas sûr de la direction à prendre, j’ai été pris en charge par le département « carrière/aspiration » du pôle Vie. J’ai découvert ma passion pour la photographie à l’issu de ce stage, j’ai toujours aimé capturer des instants mais je n’étais pas sûr d’aimer qu'ils soient figés sur du papier glacé. J’aime cette relation donnant-donnant avec les clichés que je prends, ils me prêtent une nouvelle histoire à chaque fois que je les regarde, et je m’assure de les faire revivre dans des courts-métrages que vous trouverez sur mon blog.

Alexie avait plusieurs fois rencontré Frère Aarron lorsqu’elle fut prise pris en charge par le département spiritualité il y a 4 ans. Elle y a effectué un passage éphémère malgré ses efforts pour s'intégrer. Les frères et sœurs de cette communauté partageaient une foi aveugle dans ce livre qu’il appelait : La direction. Ce département a pendant plus d’un siècle recenser les textes sacrés d’anciennes religions et autres formes de spiritualités pour établir ce grand livre de vie remplie de paraboles, de fables et de préceptes sensés nous guider vers la lumière. La validation officielle de ces écritures a supprimé la diffusion des anciens imprimés par le gouvernement. Toute activité spirituelle devait dès lors être validée par lui.

Personne n’était obligé de participer au rassemblement de croyants, tant que notre façon de vivre ne contredisait en rien les enseignements communiqués dans La Direction. Mais cela était très fortement recommandé, car sa magie opérait dans la collectivité. Chaque personne était un instrument d’une unité puissante.

L’amour du prochain était un des thèmes centraux, la lumière son vecteur.

Mais Alexie ne regardant pas dans la bonne direction, s’est heurtée à un réverbère dont l’éclairage est défectueux. La magie ne s’opérait pas sur elle. Plus elle essayait plus son côté non acceptable se révélait avec plus de présence. Comme une ombre narcissique qui réclamait toute son attention tandis qu’elle voulait la tuer à coup de laser. Peut-être, en appliquant consciencieusement les préceptes de ce livre elle serait alors parfaite ? Elle ne pourrait qu’être appréciée, validée, acceptée, par l’autre, par la société. A bout de souffle de cette tentative d’exorcisme silencieuse, elle abdiqua. Son égo était devenu un virus à mettre en quarantaine.

« Madame Alexie Povelle s’il vous plait, veuillez me suivre. » une petite dame apprêtée et coquette, apparu à l’embrassure de la porte.

Elle entra dans la salle pour effectuer son premier test.

« Aarron… »