Mon royaume

Image de couverture de Mon royaume

Il s’agit d’une voiture à pédale pour enfant, un présent de mon parrain. Elle était de couleur vert foncé et arborait deux rétroviseurs extérieurs. Je n’ai plus souvenance de l’occasion pour laquelle il me l’a offerte, mais les souvenirs induits sont ancrés à tout jamais dans mon esprit.

A cette époque, je ne devais pas avoir plus de six ans. Je l’utilisais de temps à autre dans la maison, mais le plus souvent à l’extérieur, dans le jardin. Un matin d’été ensoleillé je décidais de faire une promenade à bord de mon bolide. La porte de la cave grande ouverte, debout sur la marche, mon regard pouvait embrasser le jardin dans sa globalité. De mon promontoire je pouvais admirer les arbres fruitiers et apercevoir les rosiers grimpants en limite de propriété, l’objectif de mon « road trip ». Je me sentais tel un seigneur admirant son fief depuis les hauteurs de son château, prêt à s’élancer à bord de son char pour découvrir les terres inconnues de son royaume.

Mon terrain de jeu était divisé en deux parties de surfaces égales, séparé en son milieu par une haie de laurier. La première partie était composée d’une grande terrasse ombragée collée à la maison, bordant une pelouse à l’anglaise arborée de deux pommiers, d’un cerisier et d’un mirabellier. De l’autre côté de la haie se trouvait le potager. Dans ce dernier, mes parents y cultivaient fruits et légumes, tels que pommes de terre, haricots, salades, carottes, tomates, oignons, ciboulette, persils, fraises…

Une fois au volant et les premiers coups de pédales donnés, une longue traversée de cette étendue d’herbe commençait. Les quatre roues étroites peinaient à se mouvoir, gênées par la surface terreuse aux multiples aspérités et la présence d’herbes trop hautes pour leurs tailles. Je devais m’y prendre à plusieurs fois, donner des coups de reins pour impulser le mouvement, voire descendre de mon siège et pousser l’auto. La vision lointaine des roses multicolores me donnait du courage et je n’hésitais pas à me servir en fruits tiédis par les rayons du soleil pour me gorger de sucre et de vitamines. Je n’étais pas très grand vu mon âge, mais les branches généreuses et surchargées m’étaient facilement accessibles.

Au bout d’un certain temps, qui me parut être une éternité, j’étais venu à bout de cette traversée et me postais tel un conquérant à l’entrée du potager matérialisée par une large ouverture dans la haie. C’était ma haie d’honneur.

Le potager était constitué de quatre parcelles, toutes délimitées par de petites bordures formant des allées, mes routes. Mon imagination se mettait à dessiner des virages, des pentes, des stations-service, des maisons et d’immenses champs cultivés. Je prenais un plaisir incommensurable à pédaler au volant de ma voiture, fier de conduire comme papa et d’être le seul à en avoir une parmi tous les enfants du quartier. Fierté que je gardais bien au fond de moi, non pas de peur de devoir la prêter, mais par humilité. Je filais telle une fusée à travers les carottes, j’effleurais au passage les feuilles de salade, je m’enivrais de la menthe poivrée mêlée au jasmin, oubliant les mètres parcourus et me retrouvant sans m’en être aperçu bloqué par une clôture, bien après les plants de rosiers. J’étais arrivé au point le plus éloigné du jardin, là où le feuillage des arbres empêchait tout contact visuel avec la maison.

Je passais en l’espace de quelques secondes d’une situation de conquérant à celle d’un naufragé esseulé. Mes forces m’avaient abandonné, mon courage s’était évaporé, remplacé par la peur et l’angoisse de ne pas pouvoir revenir sur mes pas. J’appelais pour que l’on vienne à mon secours, mais en vain. Mes parents étaient partis remplir le garde-manger tandis que mes frères étudiaient dans leurs chambres. Les larmes me montaient aux yeux accompagnés de lourds sanglots. Comprenant que rien ni personne ne viendrait à mon secours, j’abandonnais ma voiture verte, et traversais le jardin désormais devenu sombre pour retrouver le réconfort de ma chambre et surtout celle de mon doudou.

Quelques jours plus tard, mon père me questionnait quant à cette voiture verte embourbée au fond du potager.

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