Le doute

6 minutes de lecture

            Je ne veux pas aller travailler, pas aujourd'hui. Le lundi devrait être interdit. Mes paupières ne veulent pas se séparer ce matin, j'ai du mal à garder les yeux ouverts. La nuit a été longue, encore. J'ai passé des heures devant The Walking Dead. Vers 23h, je regardai la pendule et en voyant qu'il commençait à se faire tard, je décidai de regarder un dernier épisode. Mais voilà, 3h20, je ne dormais toujours pas. La nuit était fichue de toute façon alors, foutue pour foutue, je me suis resservie un bol de céréales et j'ai entamé la saison 3. Je n'avais pas prévu de m'endormir devant l'épisode 2... Du coup, j'ai une sale tête. Mais personne ne le remarquera de toute façon parce que j'ai toujours une sale tête.

  • Pauline, tu te lèves ?

        Ca, c'est ma copine. On est ensemble depuis le lycée, et elle a emménagé chez moi il y a deux ans et demi, quand elle a eu son bac. Je suis sûre qu'elle fait la gueule parce que je l'ai fait chier toute la nuit avec les bruits de zombis et les cris d'horreur. En plus elle a des partiels ce matin, elle va me tuer.

  • T'as une sale tête ce matin, t'es sûre que ça va ?
  • Oui, je suis juste fatiguée.
  • On dit tous ça.

        Bon, elle a remarqué ma tête plus sale que d'habitude et elle ne fait pas la gueule. Mais elle ne m'a pas souhaité mon anniversaire, et elle ne va pas le faire parce que justement elle fait la gueule, c'est sûr. Je tente une approche.

  • Tu sais quel jour on est ?

        Elle sourit et se penche vers sa table de nuit.

  • Le plus précieux de l'année. Joyeux anniversaire mon amour.

        Elle me tend un paquet.

  • C'est pour moi ?

        Sérieusement, on peut faire plus stupide comme question ? On est seules dans la pièce, c'est mon anniversaire, évidemment que c'est pour moi !

  • Ouvre !

        Je déchire le papier cadeau. Je ne comprends pas ceux qui se contentent de le déplier. A croire que ça fait partie du cadeau... Ou alors c'est pour le réutiliser ? Bref, j'entrevois un flyer avec une photo de Poudlard.

  • Me dis pas que... ?
  • Si !

        J'enlève tout.

  • On va visiter les studios ?
  • Oui !
  • C'est génial ! Merci !
  • Je sais que t'adores Harry Potter, et y'avait une promo pour deux entrées alors j'ai sauté sur l'occasion.


        Elle a raison, j'adore Harry Potter. Mais j'ai détesté les films. Si J.K.Rowling était morte, elle se serait retournée dans sa tombe en voyant son œuvre bafouée. Tant pis, ça me fera toujours une expérience intéressante à mettre sur mon CV si un jour je dois travailler dans un cinéma. En attendant, je suis vendeuse à l'Apple Store, donc bon, ça ne va pas optimiser mon travail là-bas, même si j'aimerais bien. Ca fait des mois que j'essaye de demander une augmentation à mon manager, mais ce n'est jamais le bon jour. Soit j'ai la tête d'un lendemain de cuite, soit j'ai mes règles et il vaut mieux éviter de me parler, soit je suis occupée à penser au mariage de ma sœur ou à Sarah qui me prend toujours la tête. Mais aujourd'hui, c'est mon anniversaire. Je suis la reine pour les prochaines 24h et rien ni personne ne m'arrêtera. 

        Enfin, pour ça, il faudrait déjà que j'arrive à l'heure...

  • Merde, il est déjà et quart !
  • Je t'avais dit de te lever.

        Elle met de la musique pour me motiver. La Bohème, d'Aznavour. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de lui dire que j'adorais les chansons de Charles.

  • Tu peux me faire un café s'il-te-plaît ? Je vais être en retard.
  • Bon d'accord, mais dépêche-toi parce que je dois y aller moi !
  • Oui, oui.

        « Rien ni personne ne m'arrêtera », sauf ma garde-robe finalement. Je n'ai rien à me mettre. Quel temps il fait ? J'attrape mon téléphone pour regarder la météo, mais je ne vois que celle d'hier. Pourquoi ça ne charge pas ? C'est vraiment de la merde Free. J'essaye de voir à travers les volets fermés, mais je ne vois rien de concluant. Tant pis, on n'a qu'à dire qu'il fait beau. Robe et escarpins, ou jean et baskets ? Mes Adidas m'appellent, si confortables et si belles. Et s'il pleut, au moins je suis tranquille. Mais en même temps, je les mets tout le temps, ça me soule. J'ai envie de changer. Puis, ça fera mauvaise impression si je me ramène devant le boss avec des chaussures dégueulasses en mode « j'en ai rien à foutre de vous ». Faut pas croire, l'apparence c'est hyper important dans le monde du travail. Les gens sont tous là à revendiquer la liberté du corps, à crier sur tous les toits que la seule beauté qui compte c'est celle du cœur. Tout le m...

  • T'es toujours pas habillée ? Grouille-toi ! Tiens, ton café.
  • Merci.
  • J'y vais moi, passe une bonne journée.

        Un bisou avant de partir, et je retourne à mes occupations. Il vaut mieux que j'arrive en retard et apprêtée qu'à l'heure et moche, non ? Mes pieds vont douiller avec les escarpins, mais si je peux avoir un plus grand nombre sur ma fiche de paie, ça me va. C'est qu'une seule journée en plus, demain je reprends le classique jean trop grand et baskets dégueu. « La bohème, la bohème, ça voulait dire tu es jolie », même Charles est d'accord : je dois plaire.

         J'entends la porte d'entrée s'ouvrir puis se fermer. J'espère qu'elle ratera ses partiels. On n'a pas idée de faire psycho, sérieusement. Elle va finir à Pôle Emploi et j'ai aucune envie qu'elle vive à mes crochets toute sa vie.

        Où j'en étais déjà ? Ah oui, j'avais choisi ! Robe et escarpins ! En plus, je me suis rasée avant-hier. Si je n'ai pas l'augmentation avec la robe noire, classe, et les escarpins verts émeraude (ils sont vraiment magnifiques), c'est que la seule solution c'est de passer sous le bureau...

        Je cours à la salle de bain me brosser les dents, et AH ! Un monstre ! Ah, non, ce n'est que moi dans le miroir. Mes cheveux, c'est la jungle. Même si j'adore l'exotisme, je vais quand même me démêler la crinière. Aïe, j'ai des nœuds énormes. Bon, je pourrais les lisser ? Quelle heure il est ? 8H23, bah ça vaaaaa ! Allez hop, j'attrape le fer à lisser, je le branche, je l'allume et j'attends. Ca mets toujours une éternité à chauffer ces machins-là... Je mets la température au minimum. De toute façon j'ai les cheveux fins alors ça suffit largement. Ca y est, la lumière est rouge, je peux commencer le travail.

        8H26, mes cheveux sont lisses mais j'ai l'impression d'être chauve. Je devrais les attacher. Allez, j'ai encore un peu de temps. J'attrape un élastique dans le tiroir des médicaments, je penche la tête en avant et j'essaye tant bien que mal de me faire une queue de cheval effet coiffé/décoiffé. Bon, ça ne marche pas. Le seul truc qui me donnerait du volume, ce serait de me boucler les cheveux mais ça me prendrait au moins 5 minutes... Il est quelle heure ? 8H29. Au pire, j'arriverais en retard. Mieux vaut arriver belle et en retard que moche et à l'heure. Surtout que ce n'est rien 5 minutes dans une vie, alors que 110€ par mois, ça fait une sacré différence.

        Allez, je débranche le fer à lisser et je cherche le fer à boucler. Mais où il est ? Forcément, s'il n'est pas à sa place, il est sur l'étagère des serviettes. Je vais la tuer cette fille un jour, cent fois que je lui répète que le fer à boucler ça se range avec le sèche-cheveux, cent fois qu'elle le pose simplement sur les serviettes. Il faudrait qu'elle se prenne en main un jour, je suis pas sa mère à devoir toujours repasser derrière elle. Bref, je me boucle les cheveux et je m'agace toute seule.

        8H34, mes cheveux sont potables. Je dégage mon visage pour avoir l'air plus sérieuse en tirant deux mèches vers l'arrière que je fixe avec une pince. On voit davantage mes cernes, mais ça montre justement que je travaille sans relâche. Je m'épile le duvet et les sourcils, histoire que tout soit parfait.

        8H36, un dernier coup d'œil dans le miroir. Mes cheveux sont bouclés, attachés, ma robe repassée, mes escarpins propres et affreusement hauts. Je suis prête. Ah non ! Les dents ! J'avais complètement zappé. Un rapide brossage, j'essuie ma bouche avec la serviette de Sophie. Voilà, là c'est bon !

        Je mets ma veste en faux cuir noir, un foulard, je prends mes clés, mon sac, et j'ouvre la porte. Rien ne m'empêchera d'avoir cette augmentation parce que je suis déterminée, canon, et que je vais impressionner tout le magasin en arrivant en retard (parce que c'est cool d'arriver en retard). Je ferme la porte à clé, me retourne et... que vois-je ? Horreur !

         Il pleut !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alicé Awh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0