L'expédition

15 minutes de lecture

Sur un signe d'Ornor, un cor sonna et un silence relatif se fit sur la place. Le lourd pont-levis s'abaissa, et l'Erst prit la tête de l'armée qui sortait de la ville, empruntant la route à flanc de montagne. Ensuite venaient les cavaliers, montés sur des poneys d'une race résistante, tout comme leurs maîtres. Les cavaliers étaient armés de courtes mais solides lances et de boucliers ronds. Il y en avait environ trois cents. Derrière les cavaliers, la Garde Erstique, qui d'ordinaire protégeait Ornor et les Conseillers, mais aussi toute la ville. Ces Nains montaient la garde en haut de la muraille, et étaient réputés pour leur vigilance. Holtrock en comptait deux mille. Leurs capitaines étaient reconnaissables par leur armure dorée, les gardes avaient une hachette à la ceinture et une grande hache à double tranchant qu'ils tenaient à la main, et tous avaient de longues capes rouges qui les protégeaient lors des veilles des nuits d'hiver. Puis marchaient les archers, au nombre de quatre cents, qui était vêtus de la même manière que les gardes, mais armés d'un carquois et d'un arc au lieu d'une hache. Après les archers venaient les villageois enrôlés pour l'occasion. La plupart d'entre eux étaient vêtus de manteaux nains, avec d'épaisses bottes de peau et des bonnets carrés en fourrure d'ours. Ils étaient armés de haches de bûcherons, d'épées pour ceux qui en possédaient une, parfois de fourches ou de faux. Ceux-là étaient environ six mille. En voyant toute cette armée de Nains sortir comme un long serpent de la citadelle, et descendre lentement par la route dans la faible lumière de l'aurore, Corrik s'étonna du nombre d'habitants que Holtrock pouvait abriter.

Les derniers Nains passèrent le pont-levis, et la longue colonne suivit la route qui s'enroulait autour de la montagne. Ornor était nerveux. Il quittait Holtrock avec toute son armée, ne laissant qu'une poignée d'archers pour la défendre. Si les plans de l'ennemi avaient changé et qu'ils se dirigeaient en ce moment vers la forteresse, elle ne pourrait pas tenir bien longtemps, malgré ses murailles épaisses et élevées.

Corrik remarqua son anxiété, mais ne dit rien. Personne ne parlait, on n'entendait que bruit rythmé des pas des gardes mêlé à celui, plus irrégulier, des villageois. L'un des gardes entonna une chanson, et voyant que personne ne l'accompagnait, sa voix faiblit après quelques notes, puis reprit avec ardeur lorsqu'un, puis deux, trois, quatre, dix, cinquante, cent, tous chantèrent avec lui.


Fer näva, fer pletta,

Sor vaina, kar naîg,

Donnag Deren,

Ker nel gàalägre,

Hel menter, hel perrer,

Deren ron ker gedre.


Fer näva, fer pletta,

Sor vaina, kar naîg,

O breat mehgal holn,

O darannir Geböln,

O avaràn Henen,

Nel krater, gedren Böl.


C'était une vieille ballade Naine, dont voici une traduction approximative :


Tombe la neige, tombe la pluie,

Souffle le vent, vienne la nuit,

Pour nous autres, les montagnards,

Notre cœur point ne gèle, car,

Fils des monts et de la pierre,

Montagnards, notre cœur est d'or.


Tombe la neige, tombe la pluie,

Souffle le vent, vienne la nuit,

Les ours des sombres cavernes,

Les Gobelins des ténèbres,

Les Hommes avides de richesse,

Ne les craignons, car sommes Nains.


Bientôt Corrik vit Ornor se dérider, remuer doucement les lèvres, puis se mettre à chanter de bon cœur. Le Waldin ne comprenait pas un mot de ce chant, mais il le trouvait beau, d'une beauté assortie au paysage rocheux, sauvage et désert. Les voix graves et profondes des Nains, leurs accents lents, semblaient pour lui être le chant de ces montagnes aux sommets enneigés qui encerclaient la petite plaine où se trouvait Holtrock. Il était réellement ému.

Quelque temps après, Ornor arrêta sa monture et appela un de ses généraux, lui demandant la carte sur laquelle ils avaient noté les positions des Coalisés. Le plan ennemi consistait à répartir les forces dans les gorges des vallées voisines du cirque où se trouvait Holtrock, pour ne pas être repérés, d'y arriver le soir et d'attaquer la nuit venue.

Un premier détachement des Nains d'Holnas se trouvait dans une vallée au nord-est. Ornor y envoya un quart de ses effectifs. Deux autres détachements étaient composés de soldats Ratharden et de Nains, et se trouvaient l'un au Nord, l'autre au Sud, et Heriktor, l'Erst d'Holnas, était parmi les premiers. Deux détachements d'Holtrock partirent donc ensuite, l'un au Nord, l'autre au Sud. Enfin, il y avait, à l'ouest, un détachement de la redoutable Garde Noire, les cavaliers d'élite du Sted Rathar. Le jeune prince Geled, cousin de Voral II, avait été nommé par le roi à sa tête, pour parfaire son apprentissage militaire, car les Ratharden pensaient qu'il leur serait facile de s'emparer d'Holtrock où le désordre serait mis par les mutins.

Capturer des hommes de la Garde Noire était chose dangereuse et difficile, aussi Ornor voulut s'y rendre, avec un quatrième détachement. L'Erst choisit de séparer celui-ci en deux groupes : le premier irait dans une vallée à l'ouest de celle où se trouvaient les Ratharden, et le second dans une vallée située entre les crêtes du Cirque d'Holtrock et celle où se trouvait la Garde. Ainsi, ils prenaient l'ennemi en tenaille dans la gorge.

Corrik, toujours en croupe d'Ornor, voyait les Nains à pied avancer lentement entre les blocs de pierre, et escaladant le flanc de la montagne derrière laquelle se trouvait la Garde Noire tant redoutée des peuples du Vandir Rathar.

Le soleil montait dans le ciel d'un bleu pur, après que se fut déchiré le voile blanc de brume qui enveloppait ces montagnes depuis le matin. Des chamois s'enfuirent à travers les éboulis, plus haut dans les rochers, à l'approche des Nains. Un aigle planait en cercles au-dessus d'eux, peut-être était-ce un des ces oiseaux dressés par les habitants d'Holtrock ? Ornor descendit alors de sa monture, car le terrain devenait difficile. Corrik, son arc dans une main, sauta lestement du poney.

« Vous feriez mieux de rester à l'écart de ce qui va se passer, lui dit Ornor. On ne sait jamais.

— C'est justement parce que l'on ne sait pas ce qui va se passer que cela m'attire, répliqua le Waldin. J'aime l'inconnu !

— Mais je ne pourrai jamais me consoler de votre mort, même si cette journée devait être un succès. Je n'aime pas perdre un ami.

— Je suis heureux que vous me considériez comme votre ami, cependant je ne voudrais pas faire passer mes semblables pour des lâches à vos yeux, répondit Corrik.

— Vous êtes un brave. J'aimerais pouvoir en dire autant de mon peuple, soupira l'Erst. Mais ce que vous avez vu à Holtrock m'a déçu tout autant que vous, sachez-le. Je ne pensais pas que des Nains soient capables de telles bassesses. Je suis abasourdi par une telle fourberie, pensez donc : certains de mes proches complotaient contre moi ! Je crains fort ne pas vous avoir montré une belle image des Nains.

— Il y a bien longtemps, Ornor, que plus aucun peuple n'est parfait. Même les Nainden, que je vois parfois à Ethor Kaelys, ont des défauts. Certains sont même orgueilleux, le vice de Mordahè.

— Les Waldins ont-ils des défauts, Corrik ? Demanda l'Erst.

— Oui, beaucoup. Le danger ne les effraie pas, et ils s'y jettent tête baissée.

— Seriez-vous en train de me dire, fit Ornor, que le seul défaut des Waldins est une qualité, celle d'être courageux ?

— Ce n'est pas une qualité que d'être téméraire à ce point, Ornor. Il n'y a pas de courage lorsqu'on ignore la peur. Ceux qui ont du courage sont ceux qui se lancent dans une aventure dangereuse en pleine conscience de la chose. Comme vous tous le faites en cet instant... Alors ne croyez pas que ce que je vois me donne une mauvaise impression des Nains ! 

— Merci, Corrik ! » Dit Ornor en souriant.

Ils atteignirent la crête rocheuse et s'y installèrent en prenant bien garde de ne pouvoir être aperçus de la vallée où allait passer la Garde Noire.

« Il n'est pas encore midi, fit Ornor en observant la position du soleil. Galag, prends la moitié des Nains que nous avons ici et dispose-les sur la crête en face. »

Il y avait environ deux cents mètres entre le fond de la gorge et les deux crêtes, l'endroit était parfait pour une embuscade. Le prince Ratharden Geled avait fait une erreur en concevant ce plan, car, bien qu'il commandait un détachement des meilleurs soldats de tout le Vandir Rathar, il manquait cruellement d'expérience. Sans doute que si le roi Voral II avait su à quel péril il exposerait son jeune cousin, jamais il ne l'aurait envoyé à Holtrock.

Les heures passèrent. Le soleil descendait lentement de son zénith, et Ornor était de plus en plus inquiet, et nerveux.

« Là ! J'entends le pas des chevaux ! Ils arrivent !

— Non messire, lui répliquait-on, ce n'est qu'un troupeau de chèvres. »

L'Erst avait envoyé deux éclaireurs des deux côtés du défilé rocheux, avec un aigle dressé pour chacun. C'était une astuce Naine : si l'un d'eux apercevait quelque chose, il lâchait le rapace qui retournait vers ceux qu'il devait prévenir. C'est pourquoi Ornor épiait chaque oiseau passant dans le ciel au-dessus de lui, guettant ses mouvements, se demandant si les aigles allaient bien revenir là où ils devaient aller...

Corrik, lui, songeait à son étrange situation. Il devait simplement aller chercher une Pierre magique dans un lac et voilà qu'il était sur le point de combattre aux côtés des Nains d'Holtrock pour les aider à faire de leur Erst un roi.

Le Waldin en était là de ses réflexions lorsqu'un aigle apparut, rasant le flanc de la montagne. Il se laissa glisser jusqu'aux Nains et se posa sur le poing d'un fauconnier. Bientôt, le deuxième apparut.

« Il n'y a pas de doute, souffla Ornor. Tous à vos postes ! Archers, prêts à tirer ! Gardes, avec moi ! Tenez-vous prêts ! Et en silence ! »

Tous se cachèrent derrière les rochers et attendirent, scrutant le fond du défilé. De longues minutes s'écoulèrent, puis d'un tournant surgit soudain un cavalier, puis un second, un troisième, une troupe entière de cavaliers Ratharden. Ils portaient tous une armure qui brillait au soleil, les armes du Sted Rathar, un navire entouré de quatre éclairs, gravées sur le torse. Ils avaient une cape aux mêmes couleurs, et une longue épée au côté. Tous, sauf le premier qui allait tête nue, portaient un casque à plumes noires. Corrik les compta : il y en avait presque une centaine.

« Le premier, le plus jeune aux cheveux noirs, et sans barbe, fit Ornor à voix basse, c'est le prince Geled. Il nous le faut vivant. »

Lorsque les Hommes furent assez proches, l'Erst, malgré sa nervosité, sauta sur un bloc rocheux proéminent et cria en Ratharden :

« Halte, messire ! Vous n'irez pas plus loin. Ici commence la terre des Nains et vous ne passerez pas ces montagnes sans y avoir été invités ! »

Les cavaliers s'arrêtèrent brusquement. Le prince Geled leva les yeux vers Ornor, qui, debout sur son rocher, semblait faire partie de la montagne, avec son épaisse armure, sa barbe et se cheveux blonds, ses yeux verts perçants, son casque à cornes et sa hache massive.

« Je suis envoyé par notre roi Voral II. Je vous demande en son nom de vous soumettre. Vous êtes encerclé, Ornor d'Holtrock, et vous n'avez aucune chance. »

Malgré son anxiété, l'Erst parvint à paraître calme, et se mit à rire doucement.

« Nous sommes encerclés, dites-vous ? Archers ! »

Et les archers positionnés des ceux côtés du défilé se dressèrent sur les crêtes, menaçant les Hommes de leurs arcs tendus. Les Ratharden dégainèrent leurs épées.

« Il serait préférable de vous rendre, Geled. Car mes Nains vous cribleront de flèches avant que vous ne puissiez faire quoi que ce soit. Vous n'avez que des épées, et vous ne pouvez pas nous charger car nous sommes en haut et vous en bas. Jetez vos armes ! »

Comme les Ratharden ne lâchaient pas leurs épées, et qu'ils se regroupaient pour se mettre en formation, Ornor cria une seconde fois :

« Archers ! »

Une salve de flèches s'abattit sur les montures, traversant leurs encolures et faisant jaillir le sang. Les cavaliers sautèrent de leurs chevaux et tentèrent de les calmer. Certains tombèrent au sol, d'autres, moins gravement atteints, s'emballèrent et échappèrent à tout contrôle. La jument blanche que montait le Prince jeta celui-ci sur les pierres et s'échappa.

L'Erst donna ensuite l'ordre à tous les autres Nains de se montrer. Geled, la lèvre fendue, vit des centaines de soldats d'Ornor sur les crêtes brandissant des haches ou des épées, déterminés au combat. Effrayé, il s'écria :

« Je...Je...Jetez tous vous armes ! Nous nous rendons ! »

Mais un vieux soldat qui le regardait avec mépris lui lança une pierre à la figure. Le Prince tomba à la renverse dans l'éboulis.

« Jamais, jamais nous ne nous rendrons ! Ratharden ! Soyez fiers de ce que vous êtes ! Ne trahissez pas la mémoire de ceux qui ont combattu et qui sont morts en portant la cape noire ! Combattons jusqu'à la mort ! Pour le roi ! Pour le Sted Rathar ! Pour le glorieux peuple Ratharden ! Nains ! Nous... »

Il n'acheva pas. Geled s'était relevé, s'était glissé derrière lui et lui avait plongé son épée dans le dos.

« Traître ! » cria le vieux soldat avant de s'effondrer sur un cheval qui gisait là, se vidant de son sang.

Ornor fut soulagé en entendant le bruit des épées tombant au sol. Il avait vaincu sans qu'aucun des siens ne périsse. Les Nains descendirent, entourèrent les Hommes, les enchaînèrent, capturèrent les chevaux encore valides qu'ils chargèrent des épées des vaincus, et tous se mirent en route vers le point de ralliement qu'ils avaient fixé avec les trois autres détachements. Ils y retrouvèrent ceux qui étaient partis au Nord, qui étaient revenus avec des Hommes et des Nains d'Holnas prisonniers, et Ornor fut accueilli avec des cris de joie.

Les Nains étaient heureux de voir que leur Erst était sain et sauf ainsi que leurs camarades et que les terribles Gardes Noirs avaient été capturés. Ornor, de son côté, fut ravi lorsqu'Ornald, le capitaine de l'autre détachement lui apprit qu'ils avaient capturé Heriktor. L'Erst voulut le voir, et on conduisit Ornor à un poney sur lequel le seigneur d'Holnas était ligoté et bâillonné. Il semblait à la fois terrifié et furieux, et roulait au fond de ses orbites de gros yeux bleus dissimulés par d'épais sourcils noirs et broussailleux. Il gigotait sur sa monture, et semblait vouloir crier des injures à Ornor, qui, fort heureusement, ne pouvait les entendre grâce à cette merveilleuse invention qu'est le bâillon.

Ornor s'amusa de ce spectacle, puis alla féliciter ses soldats. Ils avaient appliqué la même méthode que l'Erst et ses compagnons, avec grand succès. Peu de temps après, des cris victorieux accompagnés de chants se firent entendre : c'était le détachement du Sud qui arrivait, accompagné comme l'autre d'une longue file de prisonniers Nains et Ratharden. Ils avaient deux blessés à déplorer, mais dans l'ensemble tout s'était passé exactement comme prévu.

Ornor aurait été comblé si le dernier détachement, celui du nord-est qui devait affronter un groupe de Nains d'Holtrock, ne tardait à venir. Bientôt, quatre heures passèrent et ils n'étaient toujours pas de retour. Toute la joie d'Ornor avait disparu et faisait place à une grande anxiété.

« En route ! Nous ne pouvons plus attendre ! Rentrons à Holtrock, qui est peut-être attaquée en ce moment !

— Attendez, Ornor, dit Corrik, avant de partir, laissez une partie de vos soldats ici, au cas où ceux du nord-est auraient simplement été retardés, et envoyez vos meilleurs guerriers dans la vallée où ils devraient être.

— Hum...C'est vrai. Vous avez raison, Corrik. Galag ! Prends avec toi vingt gardes et attendez ici. Ornald ! Avec dix de tes meilleurs archers, pars dans la vallée de Naïdorl, où Beld et ses compagnons doivent se trouver. »

Et la colonne des Nains s'ébranla, partant vers Holtrock.


Pendant ce temps, à Holtrock, Naglö, un des palefreniers des écuries erstiques, ouvrit la lourde porte qui fermait une ouverture pratiquée dans la paroi de la muraille, donnant accès aux écuries. Là, une centaine de poneys seulement restaient dans leurs stalles, car les autres étaient partis avec Ornor. Il y faisait donc plus calme qu'à l'ordinaire, comme dans la forteresse elle-même d'ailleurs. Il s'arrêta devant un cheval, chose rare à Holtrock, qui était venu avec un Ratharden qu'on avait arrêté la veille pour trahison. Le palefrenier s'approcha de l'animal qui lui tournait le dos. C'était un magnifique étalon noir, dont le poil brillait à la lueur de la torche. Naglö, fasciné, approchait la main pour caresser la bête, lorsqu'une ombre surgit d'un renfoncement dans le mur, jeta par terre le malheureux palefrenier, puis, saisissant sa torche, la plongea dans un seau d'eau pour l'éteindre L'inconnu asséna ensuite un coup formidable sur la tête du Nain au moment où il se relevait. Naglö tomba inanimé, son agresseur détacha le cheval, saisit sa bride et la selle qui pendaient à un crochet, sauta sur le dos de l'animal et sortit de l'écurie.

Le Ratharden Eneldir venait de récupérer son cheval. Il frappa l'étalon du plat de la main, et celui-ci partit au galop. Les deux sentinelles qui gardaient le pont-levis n'eurent pas le temps de réagir et Eneldir passa comme une trombe, laissant les deux gardes abasourdis.

« Cela ne servirait à rien de le poursuivre, fit l'un d'eux. Il est déjà loin, et puis nos poneys ne seraient pas assez rapides. »


L'armée des Nains marchait en file sur le plateau entouré de cimes blanches, en route vers la forteresse. L'herbe autour d'eux était encore rousse du fait des rigueurs de l'hiver, et le ciel s'étant couvert, un vent froid soufflait. Tous avaient une mine inquiète. Les prisonniers, Nains ou Hommes, semblaient blasés et marchaient de façon presque mécanique.

Soudain, Corrik, en croupe du poney d'Ornor, aperçut derrière eux, au loin, un groupe important qui se dirigeait rapidement vers eux.

« Ornor ! Regardez, là-bas ! »

L'Erst tourna la tête, aperçut le groupe sans pouvoir l'identifier, et s'écria :

« Nains ! En formation de combat ! Protégez les prisonniers ! »

Alors, avec une surprenante rapidité, la colonne se ramassa en un peloton compact, puis s'organisa en plusieurs lignes tournées vers les arrivants. Les cavaliers avec leurs lances et leurs boucliers ronds formaient la première, les gardes et les fantassins la deuxième, les volontaires la troisième, et à quelques pas derrière, les archers.

« Cavaliers ! Cria Ornor, prêts à la charge ?

— Prêts ! » répondirent-t-ils tous d'une même voix.

Ils baissèrent leurs lances, les tenant à l'horizontale. Les coureurs se rapprochaient. Il y en avait bien un peu plus de deux cents.

« Attendez ! Cria quelqu'un. Ce sont des Nains. Des Nains d'Holtrock ! Je reconnais la barbe rousse de Galag ! »

La stupéfaction s'abattit alors sur les rangs des Nains. Ornor et deux capitaines, à poney, vinrent à leur rencontre.

« Messire, fit Galag, un Nain à la barbe et aux cheveux roux, ceux de Naïdorl sont là, avec Beld !

— Beld ! S'écria Ornor, stupéfait, mais alors que s'est il passé ? Pourquoi n'avez-vous fait aucun prisonnier ? Et n'étiez-vous pas partis à poney, pourquoi êtes-vous à pied ?

— Je vais vous le dire, messire, répondit Beld, essoufflé. Nous nous sommes postés sur les crêtes de la vallée de Naïdorl, comme prévu, mais le temps passait et nous ne voyions rien venir. Nous avons alors décidé de descendre la vallée pour voir ce qu'il se passait. C'est alors que nous découvrîmes, dans la forêt en-dessous de Naïdorl, les cadavres d'un détachement entier de Nains d'Holnas. Ils étaient percés de lances et de flèches. Nous avons été très surpris tout d'abord, nos poneys, que nous menions par la bride, en ont profité pour s'échapper. Prudemment, nous nous sommes approchés des morts, et nous avons alors tout compris...

— Vite ! Parle ! Qu'avez-vous vu ? Le pressa Ornor.

— Des Gobelins morts. Les Nains d'Holnas sont tombés dans une embuscade de Gobelins. Ils ont été massacrés jusqu'au dernier.

— C'est la première fois que j'entends une chose pareille ! Un détachement entier ! Ces Gobelins s'enhardissent de plus en plus, mais les Nains d'Holnas se préparaient à nous attaquer. Je ne sais pas si je dois me réjouir de cette nouvelle, mais je suis heureux de vous voir tous sains et saufs ! Ne vous inquiétez pas pour vos poneys, ils sont certainement rentrés à Holtrock. »

La colonne ainsi agrandie se reforma, et reprit sa marche sur le chemin du retour. Les Nains se mirent à chanter, et leurs voix montèrent lentement vers le ciel qui s'assombrissait. La dernière neige du printemps commença alors à tomber par petits flocons serrés.

Et là haut, sur un col, la barbe et les cheveux flottant dans le vent froid, un cavalier nommé Eneldir, monté sur un splendide étalon noir, regardait la longue file des Nains se diriger vers leur citadelle, la forteresse dans le rocher.

Annotations

Vous aimez lire Jacques Mirandeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0