Chapitre 2

18 minutes de lecture

Who the hell do you think you are?

Staying in bed instead of going out

Who the hell do you think you are?

Staying in bed instead of standing proud.[1]

Affalée sur le canapé je m’abrutis devant les programmes télé de l’après-midi tout en grignotant. Je n’ai revu Matt que lorsqu’il a daigné sortir de sa chambre pour franchir la porte d’entrée de l’appartement sans un regard pour moi. Je sais bien que j’aurai dû l’arrêter, le forcer à me parler et lui exposer encore une fois mon point de vue. Mais honnêtement, je n’avais pas le courage de me lancer dans la bataille. La séance de ce matin m’a épuisée, je n’aspire qu’au calme.

En fin de journée mon téléphone sonne, une fois, puis deux. Invariablement le même numéro : mon père. Je suis toujours un peu étonnée par sa persévérance. Il continue d’appeler encore et encore en sachant qu’il n’aura pas de réponse de ma part. Face à mon silence radio, c’est la tonalité des messages qui résonne.

Papa :

[Ma puce, j’organise à la maison un petit repas dimanche soir avec Annie et son fils. Voudrais-tu te joindre à̀ nous ? Je t’embrasse. Papa]

Mes doigts glissent sur l’écran avec rapidité alors que je réponds ne pas être disponible dimanche et les remercie de leur invitation. Je ne m’invente même pas d’excuse. Il sait que je ne suis pas occupée ce jour-là, mais par pudeur ou par amour, il fait semblant de me croire. Une part de moi voudrait se joindre à eux pour ces instants familiaux et conviviaux. Mais comment m’asseoir à leur table et prétendre que tout va bien ? Comment affronter leurs regards emplis de pitié ?

Je soupire en m’enfonçant un peu plus dans l’assise du canapé. Les programmes de l’après-midi ont laissé place à ceux de début de soirée. Je sens bien que je m’enfonce dans une spirale infernale. Je me vois sombrer et je m’interroge, est-ce que j’ai réellement envie de me relever ? De me reprendre en main ? Cet état d’engourdissement est confortable. Cette douleur physique et psychique je la connais bien. Elle m’accompagne depuis un an. Elle m’est... familière. Oui, c’est ça,familière. Il y avait la Raelynn d’avant l’agression et celle que je suis à présent. La pensée de celle que je pourrai devenir est angoissante.

Mon introspection est interrompue par une nouvelle alerte sur mon téléphone et alors que j’imagine une réponse de mon père, je suis surprise de lire le nom de Shay.

Nouveau soupir.

La culpabilité fait son retour.

Shay :

[Salut ma belle. Es-tu occupée ce soir ? Je suis sur Chicago pour la semaine. Ça te dit un verre comme au bon vieux temps ?]

Le bon vieux temps…

Machinalement, je commence à répondre que je ne suis pas disponible. Des sirènes de police résonnent dans la rue, m’arrachant à mon activité. Je devrais être dehors à cette heure-ci. Je devrais être en train de patrouiller et attendre la fin de mon service avec impatience dans l’espoir d’aller rejoindre un groupe d’amis. Et je me vois ici, dans ce canapé qui doit avoir pris la forme de mon corps à force d’y stagner. Stagner, c’est le mot. Je stagne depuis un an. Cette révélation me pousse à modifier la réponse que je suis en train de saisir. Combien de temps encore vais-je m’apitoyer sur mon sort ?

Raelynn:

[Avec plaisir. Dis-moi où et quand.]

La réponse ne se fait pas attendre et je note que le lieu du rendez-vous est proche de chez moi.

Face au miroir de ma penderie, j’avise ma tenue qui n’a rien de festif. Je fais dans le confortable. Le legging et le sweat-shirt sont devenus mes standards. Je n’ai pas à me plaindre de ma silhouette, je suis plutôt grande, et le sport me permet d’arborer un physique athlétique. Pourtant ce corps qui pourrait paraître attrayant est mon plus proche ennemi. Il abrite ce traumatisme, et me rappelle chaque jour ce que j’ai perdu. Je me ressaisis et tente un sourire à mon reflet. La jeune femme qui me fait face montre des signes de fatigue et de laisser-aller. Des cernes ourlent mes yeux gris. Mes cheveux bruns sont retenus par un élastique dans une sorte de chignon plus flou que structuré. Je les libère de leur attache et admire les boucles se répandre sur mes épaules. Je ne prétends même pas les discipliner et me contente de les coiffer à la main.

Puis je me détourne de mon reflet avant de passer une tenue plus adaptée à la soirée[VA1] .

Une fois l’adresse du bar saisit dans l’application GPS de mon téléphone, j’écris à Matt pour lui proposer de nous rejoindre et me mets en route. J’espère que ma tentative de réconciliation ne tombera pas à l’eau.

Dans la luminosité de cette fin de soirée, je marche vite. Mes pas claquent sur le sol à l’unisson de mon rythme cardiaque. Mes sens s’affolent comme à chaque sortie, pourtant un sentiment nouveau m’anime. L’excitation provoquée par cette sortie s’amalgame avec la crainte de me retrouver à l’extérieur. Être hors de chez moi signifie être à l’affût. C’est épuisant. Limiter mes déplacements est la solution la plus simple que j’ai trouvé. Pourtant ce soir, j’ai envie. Vraiment. De sortir, de respirer. De vivre à nouveau. Même si je dois me faire violence pour ça et quitter ma zone de confort.

C’est avec cinq minutes d’avance que j'arrive à l’adresse indiquée par Shay. L’appréhension de nos retrouvailles, m’oblige à marquer un temps d’arrêt devant les portes du bar. La devanture de l’établissement est simple, fonctionnelle, elle se fond parmi les habitations du quartier. Pourtant l’enseigne résolument moderne de l’établissement tranche avec la porte cochère qu’elle surplombe. Je vérifie une nouvelle que l’adresse indiquée est la bonne et prends le temps d’inspirer l’air frais du soir pour calmer les palpitations de mon cœur. Enfin, je pousse la porte. À peine franchie, je suis surprise par le décor épuré. Les murs blancs sont habillés de tableaux minimalistes qui semblent tous du même auteur. Je me fais la promesse d’aller les admirer de plus près. Le mobilier de bois ressort sur ce fond uniforme comme si les peintures avaient été pensées pour mettre en valeur la matière. L’ambiance du lieu est douce. Le fond sonore n’est pas assourdissant et je repère une clientèle plutôt hétérogène. Il y a plusieurs hommes en costume qui donnent l’impression de sortir du travail, des couples qui discutent et des groupes d’amis qui trinquent.

Shay est déjà installée. Je lui souris et m’avance pour la rejoindre. Cela ne fait que quelques mois que l’on ne s’est pas vues, mais à cet instant, je me rends compte qu’elle m’a manquée bien plus que je n’aurai voulu me l’avouer. Les questions se bousculent dans ma tête. Va-t-elle me tenir rigueur de mon éloignement ? Pourquoi reprend-elle contact maintenant ? Ses grands yeux sombres en amande me détaillent, pourtant je n’y lis que de la douceur et de la bienveillance. Le sourire ne quitte pas ses lèvres alors que je m’approche d’elle. Perchée sur des talons vertigineux, mon ancienne amie m’accueille à bras ouverts. Je me nourris de cette étreinte que je prolonge juste un peu.

— Je suis vraiment contente de te voir Rae, dit-elle après quelques secondes.

— Moi aussi Shay, moi aussi...

Le serveur arrive sur ces entrefaites et prend nos commandes. Il revient bientôt avec un mojito pour Shay et un martini pour moi. Je trempe les lèvres dans mon verre et savoure l’instant tandis que le liquide sucré coule dans ma gorge.

— Alors ma belle, comment vas-tu ? reprend Shay.

— Je... Ça va...

— Je vais faire semblant de ne pas voir ton air dépité.

— Tu exagères. Parle-moi plutôt de toi ? Comment ça se passe au boulot ? Toujours à parcourir le monde ?

— Toujours. Je reviens du Brésil là et dans deux semaines je pars en Bolivie pour visiter un hôtel qu’on veut intégrer à notre catalogue. Et toi ?

Voilà pourquoi je ne sors jamais. Il faut parler aux gens, de soi principalement.

— Il n’y a rien à dire. J’ai été remerciée par ma hiérarchie alors que j’étais encore dans mon lit d’hôpital. On m’a proposé une solde pour une durée de six mois ce qui fait que je vis sur mes économies depuis à peu près autant de temps.

Les mots franchissent mes lèvres à une vitesse folle et sans que je ne m’en rende compte j’en ai déjà dit plus que je ne le souhaitais.

— Tu ne pouvais pas reprendre tes fonctions ?

— J’ai été déclarée inapte. Les médecins ne savaient pas si je retrouverais toute ma motricité.

— Tu l’as retrouvée ?

— En partie, oui, soupiré-je.

— Tu vas faire quoi maintenant ?

— Je ne sais pas. Je n’ai pas envie d’y réfléchir.

Je détourne le visage pour clore la discussion. Mes yeux examinent la pièce dans cette habitude qui ne me quitte plus. Une silhouette familière attire mon regard. Grand, brun, les cheveux ramenés en bun sur l’arrière de son crâne. Je devine ses yeux verts et attends qu’il se tourne vers moi pour confirmer qu’il s’agit du joggeur de ce matin. Quelle est la probabilité pour que je le croise deux fois dans la même journée ?

— Qui regardes-tu comme ça ? m'interroge Shay.

— Le gars là-bas, dis-je en le désignant du menton. Tu l’as remarqué en arrivant ?

— Quoi ? Non, je ne sais pas. Je n’ai pas fait attention. Pourquoi Rae ? Tu le connais ?

— Non. Je l’ai croisé ce matin.

— Tu te rappelles tous les gens que tu croises toi ? demande mon amie en ouvrant de grands yeux.

— Presque, mais lui tout particulièrement.

— C’est vrai qu’il est charmant, si tu aimes le genre à porter les cheveux longs.

C’est à ce moment qu’il décide de me faire face. Ses prunelles se plantent dans les miennes. Il m’adresse un signe de tête, me notifiant ainsi qu’il m’a reconnue. Une angoisse sourde crépite dans ma poitrine. Il semble seul à sa table. Est-il venu rejoindre des amis ou me suit-il ? Les pires scénarios prennent vie dans mon imaginaire.

— Et là, c’est Raelynn.

Je tourne vivement le visage vers Shay et la découvre accompagnée d’un homme blond à l’allure de skateur.

— Alec, se présente-t-il en me tendant une poignée de main.

Je reste interdite quelques secondes en fixant ses doigts, puis je remonte jusqu’à son visage. Le sourire avenant qu’il arborait quelques instants plus tôt commence à se faner face à mon absence de réaction. Un bruit de toux sur ma gauche me sort de ma torpeur.

— Salut, reprends-je d’une voix hésitante.

— Vous venez souvent ici ? questionne le jeune homme tout en abaissant sa main que je n’ai pas saisie.

— Je n’étais pas venue depuis le changement de propriétaire, embraye Shay. J’aime beaucoup le nouveau concept de soirées réservées aux artistes locaux.

— Oui, les nouveaux gérants ont fait un super travail. Il y a une expo photo la semaine prochaine. La photographe commence à avoir une certaine notoriété sur les réseaux sociaux.

— Ah oui ? Tu as son nom ?

— Oui attend, je la suis sur Insta.

J’observe la scène à distance, avec un certain détachement. Invariablement, mon regard est attiré vers le joggeur de ce matin. J’ai besoin de le garder à l’œil dans une veine tentative de calmer le sentiment d’angoisse qui m’envahit de plus en plus.

Shay poursuit la conversation sans s’apercevoir de mon trouble, mais déjà je n’écoute plus les propos qu’ils échangent. Je fouille dans mon sac avec frénésie à la recherche de mon téléphone. Un message de Matt m’indique qu’il sera là dans quelques instants. Je m’apaise.

Je risque un autre regard vers celui qui cristallise toutes mes angoisses à cet instant mais ne rencontre que le vide. Mon souffle se fait plus court et un filet de sueur serpente le long de ma colonne vertébrale. Je devrais être soulagée, pourtant, à la manière d’une araignée au-dessus d’un lit, le pire ce n’est pas l’araignée en elle-même. Le pire c’est de ne plus voir l’araignée.[VA2] Et là en l’occurrence, je ne LE vois plus! Je poursuis mon inspection de la foule, il n’a pas pu aller bien loin. Le bar ne compte pas plus d’une vingtaine de personnes.

— Rae ? Rae, tu es avec nous ?

Je me tourne vers mon amie qui m’interpelle, pour me retrouver face à deux prunelles vertes qui me détaillent.

— Je disais, voici Liam, c’est un ami d’Alec.

— Deux fois dans la même journée. Je dois être l’homme le plus chanceux de la terre.

— Putain mec, tes techniques de drague sont pourries, le raille son ami.

Puis se tournant vers moi :

— Excuse-le. Il est plutôt sympa d’habitude, je t’assure.

Je n’ai toujours pas émis le moindre son et si j’en crois le regard de Shay sur moi, je dois ressembler à un lapin pris dans les phares d’une voiture. Ce qui n’est pas si loin de mon sentiment général.

— Rae ?

— Oui, je... salut.

Je plonge le nez dans ma boisson pour me donner une contenance et éviter toute conversation. A mes côtés, Liam s’installe face à l’invitation de Shay qui déjà reprend sa conversation avec Alec. Les verres se vident et aucun de nous n’a engagé la conversation. Je l’écoute répondre aux sollicitations de nos amis mais il reste en retrait. Je n’ai aucun mal à deviner ses yeux sur moi.

Je suis sauvée de ce silence gênant par l’arrivée de Matt. Ses lèvres se posent sur ma tempe me signifiant que notre querelle est oubliée.

— Tu as fini de bouder ? tenté-je dans un sourire.

— J’ai eu ton père. Il était déçu pour dimanche.

— Tu fais chier Matt !

Je le vois lever les yeux au ciel avant d’embrasser Shay et de se présenter aux nouveaux arrivants puis il se dirige vers le bar. Lorsqu’il revient, il ne s’installe pas à mes côtés comme je l’avais espéré mais se joint à Shay et au surfeur. Je me retrouve une fois de plus face à Liam. Ses lèvres esquissent un sourire dans une tentative de connexion. S’il me suit, il n’est pas très discret. Pourquoi s’inviter à ma table ? Il n’a pas l’air d’un flic ni d’un voyou. Travaille-t-il pour mon ancien partenaire ? Est-il là pour m’intimider ?

— Qui es-tu ?

Au silence dans la conversation, je devine que j’ai parlé à voix haute.

— Liam. Je me suis présenté tout à l’heure.

— Non, qui es-tu vraiment ?

— Je ne comprends pas la question.

— Rae, grogne Matt.

— C’est lui qui t’envoie ? reprends-je. C’est LUI ?

Liam jette un regard d’incompréhension aux personnes autour de la table.

— Oh! j’adore cette chanson ! s'exclame Shay. Viens, on va danser.

Elle attrape mon poignet et me dirige vers la piste dans le fond de l’établissement. Je ne sais pas si je dois saluer son intervention ou lui reprocher de m’avoir arrachée à mon interrogatoire impromptu. A proximité des enceintes, la musique noie plus facilement les paroles et je profite de ce répit pour ne pas revenir sur mon manque flagrant de tact et de discrétion. Le confronter n’était pas la meilleure option. Pourtant, il semblait réellement décontenancé par ma question. Et si sa présence n’était que fortuite ? Sur la musique, je me laisse porter. Les basses vibrent dans chacun de mes membres comme un rappel que je suis encore en vie. Les yeux clos, j’ondule au rythme des musiques actuelles. Je ne me rappelle plus de la dernière fois où je me suis laissée aller comme ça. Je crois que les minutes filent sans que je ne pense ni à un brun bien trop mystérieux, ni à ma jambe. Pourtant c’est bien cette dernière qui se rappelle à moi. Le muscle sollicité par la course de ce matin réclame du repos.

Je grimace en prenant la direction de notre table. Shay est restée sur la piste de danse avec Alec que je n’avais pas vu arriver. Au loin, j’aperçois Matt en plein échange avec Liam. De quoi parlent-ils ? Mon colocataire semble détendu, il sourit et trinque. Il devrait se méfier. On ne connait pas ces gars. Shay ne semble pas plus prudente. Elle flirte avec Alec sans aucune retenue, rit à gorge déployée de blagues qui ne doivent même pas être drôles. Et je vais m’arrêter ici, parce que je suis juste de mauvaise foi. [VA3]

C’est d’un pas boitant que j’arrive à la table. Matt m’interroge du regard, de cette façon dont lui seul a le secret. Il n’émet aucun mot mais son corps se rapproche de moi. Ses yeux s’ancrent aux miens comme pour y lire un quelconque indice de mon état d’esprit. J’effectue un léger signe de dénégation pour le rassurer. Puis, mon regard s’oriente vers Liam, encore une fois. Il porte un tee-shirt noir plutôt près du corps. Le tissu laisse apparaitre une musculature fine mais développée ce qui justifie sa présence au stadium ce matin. Je remonte le long de son corps pour m’arrêter à son visage. Je ne peux pas nier qu’il soit bel homme. Son profil est dessiné. Sa mâchoire carrée, recouverte par une barbe de plusieurs jours, laisse imaginer des traits saillants. Je me demande quelle texture a sa barbe. Est-elle douce ? Piquante ? Je réfrène l’envie d’y glisser les doigts. Puis mon regard s’attarde sur ses avant-bras. Je détaille avec une certaine admiration le dessin que ses veines tracent sur sa peau. Mon inspection n’a plus rien de professionnelle. Ça serait mentir que de dire que je ne le fais que dans le but de récolter des informations. En quoi l’examen de ses veines serait un indice ? Qu’est-ce que je pourrais déduire d’important de la douceur de sa barbe ?

Alerté par mon regard insistant sur lui, Liam se tourne et m’offre à nouveau un sourire. Je voudrais revenir sur mes accusations mais j'ignore comment m’y prendre. Je ne suis même pas complètement sûre qu’il ne soit pas affilié à mon ancien partenaire. Pourtant je ne lis que de la douceur dans son regard. Peut-on mentir à ce point ?

Une main dans le bas de mon dos me fait sursauter et m’arrache à mes pensées. Liam détourne la tête pour reprendre sa conversation avec Matt et Shay apparait dans mon champ de vision. Face à la contraction de tous mes muscles, sa main quitte mes reins.

— Je ne t’ai même pas vue partir.

— Tu étais occupée, dis-je indiquant Alec d’un signe de tête.

Mon amie s’approche de moi comme pour me faire une confidence.

— Avoue qu’il est superbe, chuchote-t-elle.

J’acquiesce, consciente de penser à Liam à cet instant et non à Alec.

— Je meurs de soif. Qui boit quoi ? nous interpelle Shay.

Chacun y va de sa commande et Alec se dévoue pour l’accompagner, suivi de Matt sous prétexte qu’ils n’auront pas assez de mains pour ramener toutes les consommations.

— Je... commençons nous en même temps.

Nous partons chacun d’un rire discret.

— Tu allais dire ? l'encouragé-je.

— Je suis désolé si j’ai fait quoi que ce soit de déplacé.

— Je n’aurai pas dû m’emporter. J’ai vu le mal là où il n’y en avait pas.

Je vois l’hésitation s’emparer de ses traits mais il ne pose aucune question et fini par hocher la tête, son expression se fait plus sérieuse.

— Tu t’es remise depuis ce matin ?

À ses mots, la douleur dans ma jambe revient. J’avais réussi à l’oublier celle-là ! Finalement, il semblerait que je n’aie pas assez bu puisqu’elle n’est pas encore totalement anesthésiée. Mon siège se fait inconfortable et mon humeur se ternit. Je rassemble toute ma volonté pour ne pas répondre sèchement.

— Ça va, je te remercie. Tu cours souvent au stadium ?

Ma tentative pour changer de sujet ne passe pas inaperçue et je vois Liam acquiescer.

— Oui, régulièrement quand il fait beau. Et l’hiver, je privilégie plutôt les séances en intérieur.

— Comme ?

— Du Muay Thaï principalement.

Nos amis ne tardent pas à revenir. Cette fois, Matt se glisse à mes côtés, s’interposant volontairement ou non entre Liam et moi. Je me saisis du verre qu’il me tend et avale une gorgée mais je n’ai pas le temps de la savourer que Shay m’arrache à ma chaise.

— Mais, je n’ai pas fini mon verre ! me plains-je.

— Il a le même goût que le précédent, répond-elle mutine.

La soirée file et nous enchaînons les allers-retours sur la piste de danse. Les élancements dans ma jambe me rappellent à l’ordre plusieurs fois et bientôt, la simple station debout m’est difficile. Je me traine jusqu’à notre table plus que je ne marche. Le regard réprobateur de Matt m’accueille. J’esquisse un sourire qui se veut réconfortant mais qui doit paraitre forcé au vu de l’expression sévère de mon ami.

— Je vais rentrer. Que veux-tu faire ? le questionné-je.

— Je suis en voiture, je te ramène.

Son ton ne laisse aucune place à la négociation et tant bien même, je n’ai pas le courage de rentrer à pied. Sa proposition est la bienvenue.

Je lance un dernier regard vers notre table et salue ses occupants.

— C’était un plaisir de vous rencontrer Alec et Liam. Shay ma belle, on s’écrit avant que tu ne repartes.

Cette dernière m’offre une étreinte et je me nourris de cette amitié trop longtemps mise de côté.

C’est en silence que nous nous dirigeons vers la sortie. Les mâchoires contractées de mon ami ainsi que le pli au creux de ses sourcils m’indique qu’il m’en veut. Je lui laisse deux secondes avant d’exploser. Un... deux...

— Putain Rae, mais tu as vu dans l’état que tu es !

— Ça va Matt, ne commence pas.

— Sérieux Rae. Tu ne tiens même plus debout et ne mens pas, je vois bien la manière dont tu tiens ta jambe.

— Oui, j’en chie, et alors ?

—Et alors ?! Tu souffres en étant alcoolisée, imagine demain !

— J’ai bu deux verres, pas de quoi anesthésier quoi que ce soit.

— Tu ne peux pas continuer de faire comme si rien n’avait changé. Tu cours trop, tu dois ménager ta jambe et favoriser tes séances de kiné.

— C’est vraiment ce que tu penses ? Que je fais comme si rien n’avait changé ? Putain, mais tout a changé, Matt. Je n’ai plus de taf, ma jambe ne reviendra jamais au maximum de ses capacités. Alors oui ! Oui ! Juste une soirée, j’ai fait comme si c’était normal de danser avec ses potes à 27 ans. Il faudrait savoir ce que tu veux. Soit tu me reproches mon autarcie soit tu me reproches de m’amuser mais tu ne peux pas me reprocher les deux !

D’abattement, Matt passe la main sur son visage. Ses traits expriment toute la lassitude de ces derniers mois, alors qu’il reprend.

— Rae, je sais que la dernière année a été plus que difficile et je ne te reproche pas d’avoir voulu prétendre que tu pouvais t’amuser. Je m’inquiète juste pour ta santé. Demain, tu vas refuser les médocs et je vais te voir serrer les dents toute la journée. Je n’y arrive plus Rae. Je ne supporte plus de te voir souffrir à en crever et de ne rien pouvoir faire.

— Matt, tu as fait plus que n’importe qui d’autre. Et je t’aime de tout mon cœur pour ça. Mais tu dois vivre ta vie au lieu de t’inquiéter en permanence pour la mienne. On en revient exactement au même point que ce matin. Je ne peux pas continuer d’être un fardeau pour toi. Je dois trouver mon propre logement.

— Dis pas de connerie, ce n’est pas parce qu'on n'est pas d’accord que tu dois partir.

Il passe son bras sur mes épaules et me conduit vers la voiture. Nous ne sommes pas loin de l’appartement mais ne pas avoir à rentrer à pied est un réel soulagement. Qu’est ce qui m’a pris aujourd’hui de faire la maligne comme ça. D’abord le stadium, puis la piste de danse. Je ne vais pas pouvoir poser le pied par terre pendant des jours. Il n’a pas tort.

Je me sens fatiguée. Ma tête bascule sur l’épaule de mon ami, je respire son parfum si familier. Matt a toujours senti bon. De cette odeur qui vous rappelle que vous êtes chez vous. Pourtant, Mon cerveau embrumé me renvoie vers un autre homme qui sent lui aussi bon. Deux prunelles vertes occupent mes pensées. Sans que je m’en rende compte, nous sommes arrivés à l’appartement. Le retour a été moins difficile que je l’imaginais. Les escaliers pour monter au troisième, là, par contre, c’est une autre histoire. Matt finit par me basculer sur son épaule et je râle pour la forme, car au fond je ne suis pas sûre de pouvoir atteindre notre étage. Arrivés devant la porte, il me remet sur pied et saisit ses clés pour déverrouiller. J’envisage durant deux secondes de m’écrouler sur le canapé, mais je sais que je ne trouverai pas le courage d’aller jusqu’à ma chambre. J’envoie un bisou à Matt et sans un mot, je clopine en direction de mon lit. Tant pis pour le brossage de dents et le démaquillage.

[1] Angèle- Flemme

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