Chapitre 3

7 minutes de lecture

Water pouring down from the ceilin'

I knew this would happen, still hard to believe it

Maybe I'm dramatic, I don't wanna seem it

I don't wanna panic

I'm a sad girl, in this big world

It's a mad world

All of my friends know what's happened

You're a bad thing (ah!)[1]


Si d’ordinaire l’alcool me permet un sommeil sans rêves, cette nuit mon imagination plus que fertile me renvoie dans cet entrepôt insalubre, seul témoin de mon calvaire. Je peux sentir l’odeur d’humidité et de poussière comme si j’y étais. Je me rappelle la sensation du mur rêche sous la pulpe de mes doigts. Les souvenirs de cette soirée s’embrouillent pour se mélanger avec ceux d’aujourd’hui. Cette nuit, dans ce cauchemar, ce n’est plus le lieutenant Barr qui me tient en joue mais Liam. Je ne vois que ces yeux verts qui me fusillent derrière le canon de l’arme. Je peux percevoir toute sa haine à mon encontre. Ou est-ce celle de Barr ? Je n’ai pas le temps de m’interroger plus que le coup de feu retenti m’arrachant au sommeil. J'émerge brutalement. En sueur. Paniquée. Mon souffle erratique rivalise avec la vitesse de mon rythme cardiaque. Il me faut un certain temps pour me reconnecter à la réalité, réaliser où je me trouve. Matt arrive les yeux ensommeillés et les cheveux en bataille, il s’installe à côté de moi et me serre dans ses bras, sans un mot. Je cale ma respiration sur les mouvements de sa poitrine dans mon dos. Les vagues d’angoisse refluent me renvoyant en pleine figure l’incongruité de la situation. Comment pourrait-il avoir quelqu’un dans sa vie ? Aucune femme ne tolérerait qu’il vienne me rejoindre chaque nuit. Avoir Matt prêt de moi m’apaise, mais à quel prix pour lui ?

Lorsque j’ouvre les yeux, la chaleur du corps de mon ami a laissé place au froid et au vide que même les rayons du soleil qui inondent ma chambre n’arrivent pas à atténuer. Un coup d’œil sur mon portable m’indique que la matinée est déjà bien entamée. Mes mains viennent masser mes paupières dans une veine tentative de me réveiller. Je m’autorise cinq secondes de répit puis bascule les jambes par-dessus le matelas réveillant la douleur si familière de ma cuisse. Ce matin, elle est plus vivace, plus intense comme pour me rappeler mes excès de la vieille et me punir. Les yeux dans le vague, je saisi mon tube de pommade et masse le tissu cicatriciel tout en faisant roulé la peau pour réduire les adhérences. Les larmes me montent aux yeux, de fatigue, de colère, de lassitude aussi. Du bruit me parvient de la cuisine, me forçant à poser le pied au sol. Je prie le seigneur du café qu’une tasse bien chaude m’attende. C'est en boitant que j’accède à la salle de bain. Je n’ai pas besoin d’un examen détaillé pour constater l’ampleur des dégâts. Mon maquillage a coulé, me conférant des airs de panda. Merci l’horreur ! Quant à mes cheveux, à ce stade un coup de tondeuse serait plus efficace que n’importe quel peigne. J’opte finalement pour un élastique, bien moins radical. Je reste persuadé qu’un oiseau pourrait prendre ma tignasse pour son nid si j’avais le malheur de mettre le nez dehors. L’odeur alléchante du café me décide à sortir de mon repère mais je marque un temps d’arrêt à l’entrée de la cuisine lorsque je découvre deux silhouettes. J’accroche le regard de Matt face à moi. Il esquisse un sourire timide, voir coupable tout en me tendant une tasse de mon Saint Graal liquide. Je reconnais tout de suite la carrure de l’autre homme. Qu’est-ce qu’il fout là ?

— Coucou, ma chérie. Comment vas-tu ?

— Bonjour, papa. Ça va. Que fais-tu ici ?

— J’étais dans le coin, je me suis dit que j’allais m’arrêter faire un coucou. Je ne pensais pas te trouver au saut du lit. Tu es une lève-tôt d’ordinaire.

Je me retiens de lui dire que je ne vois pas bien comment il s’est retrouvé dans mon quartier vu qu’il habite à plus de trente minutes en voiture. Il ne mérite pas que je l’agresse et je sais bien pourquoi il est là.

— Je suis sortie avec Matt et Shay hier, je me contente de répondre dans un mouvement d’épaule.

Mon père ouvre de grands yeux, un sourire sincère aux lèvres.

— C’est super !

Je sais qu’il voit là une avancée dans ma « situation », mais ça m’agace passablement d’être félicitée parce que je suis allée boire un coup en ville.

— C’n’est pas grand-chose, papa. Ne t’emballe pas. Qu’est-ce que tu fais la ? Pour de vrai ?

— Un père ne peut pas venir visiter sa fille ?

Je me renfrogne face à ce que je prends pour de l’ingérence et fixe ma tasse comme si elle allée m’apporter des réponses. Face au retour de mon mutisme, il se tourne vers Matt.

— Vous voulez aller manger un morceau ?

Mon corps se tend. Tout mon être crie que non, que je ne veux pas sortir, pas faire semblant que la vie est belle et qu’il fait beau, que je n'ai aucune envie qu’on me confirme que le monde continue son chemin alors que je suis restée sur place.

— Avec plaisir, me devance Matt.

— Ça sera sans moi, lancé-je en me dirigeant vers ma chambre.

Les doigts de mon père se referment sur mon poignet dans un geste tendre que je lui refuse depuis si longtemps maintenant. Son regard s’ancre au mien, suppliant. Je m’attarde sur les rides aux coins de ses yeux, la tristesse qui transpire de chaque pore de sa peau. Je n’arrive pas à faire face à sa peine, je sais à peine gérer la mienne. D’un mouvement brusque, je romps la connexion qu’il tente de m’imposer et m’enfuis dans la salle de bain. Mon corps est parcouru de tremblement, tous les signes de la crise de panique sont là. Ce n’est qu’une fois à l’abri des regards que j’autorise les vannes à céder. Mes jambes cèdent sous le poids de la panique et le carrelage froid accueil mon désarroi. Recroquevillé, je ramène mes genoux contre ma poitrine et me concentre sur ma respiration.

Inspire Rae. Expire. Inspire. Expire.

Ce sont des coups frappés sur le battant derrière moi qui m’arrache à cet état de prostration.

— Rae ?

— C’est bon Matt, tout va bien. Allez manger.

— Ouvre la porte.

— Je suis partie sous la douche.

Je l’entends soupirer au travers de la cloison face à mon mensonge éhonté.

— S’il te plait ? m'implore-t-il.

— On se voit à votre retour. Embrasse mon père pour moi.

J’actionne rapidement le robinet d’eau pour ne pas écouter sa réponse et reprends ma position au sol. Je ne sais pas combien de temps je reste prostrée mais lorsque j’initie un mouvement pour me relever, la vapeur d’eau à envahi la pièce et mon corps fourmille de la position inconfortable que je l’ai forcé à maintenir. Je me redresse avec lenteur et réalise de léger mouvement pour ramener la circulation sanguine dans mes membres. Je me glisse sous le jet et laisse le liquide chaud détendre mes muscles endoloris. Après avoir éteins l’eau et m’être fustigé pour mon manque de conscience écologique, je tends l’oreille et guette le moindre signe de vie dans le logement. Le silence me répond, me confirmant que je peux quitter ma cachette. Drapée dans ma serviette éponge je m’installe au salon et profite du calme de ce début d’après-midi.

Lorsque Matt rentre enfin, je n’ai pas quitté le canapé. Mes cheveux ont cessé de gouter sur mes épaules et les frissons ont envahis mon épiderme en raison du peu de couverture apportée par ma tenue. Debout face à moi, mon ami me toise sans animosité mais tout son être transpire le reproche. Il ne met pas longtemps à confirmer mes songes.

— Ton père était déçu. Ce n’est pas avec moi qu’il voulait manger.

— Il n’avait qu’à pas se pointer à l’improviste.

— Tu déclines toutes ses invitations.

— Qu’il arrête d’en faire dans ce cas.

— C’est ton père. Et c’est un bon père ! cri presque mon ami.

— Ce n’est pas le problème !

— Alors c’est quoi le putain de problème Rae ? Eclaire moi !

— J’y arrive pas c’est tout.

— Tu n’arrives pas à quoi ? Développe !

— A lui faire face. A devoir gérer sa peine, ses questions, ses attentes...

— Il veut simplement ton bonheur, soupire Matt.

— Simplement mon bonheur. Y’a rien de simple là-dedans, assené-je avec regret.

— Tu vas le tenir à distance combien de temps encore ?

— Jusqu’à ce que l’autre pourriture croupisse en taule et que je puisse reprendre ma vie.

— C’est une utopie Rae. Tu sais pertinemment qu’il a peu de chance d’être inculpé. Quant à reprendre ta vie...

— Ne le dis pas Matt s’il te plait. Pas aujourd’hui.

— Quand alors ? Il faudra bien que tu fasses face un jour.

— J’ai pleinement conscience de ce qu’il m’est arrivé. Et au cas où j’oublierais, les cauchemars sont là pour me rappeler les détails.

— Ta thérapie ne fonctionne pas Rae, tes réveils nocturnes sont toujours aussi fréquents, tu multiplie les crises de panique.

— Je vais m’habiller, le coupé-je en me levant.

— Tu ne peux pas partir dès que la conversation te dérange.

— Regarde-moi le faire !

[1] Benee- Supalonely

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