Chapitre 1

8 minutes de lecture

I’m bulletproof nothing to lose

Fire away, fire away

Ricochet, take your rain

Fire away, fire away

You shoot me down but I won’t fall

I am titanium

You shoot me down but I won’t fall

I am titanium

I am titanium…

Madilyn Bailey - Titanium

Chicago,

La lumière du jour filtre par les rideaux et vient percuter mes paupières closes. Je grogne et passe ma tête sous l’oreiller dans une tentative désespérée de me rendormir. Pourtant, déjà, mon esprit s’active. Le bruit de la rue me parvient. Association harmonieuse de chants d’oiseaux et de bruits de circulation. Un coup de klaxon vient briser la quiétude du moment, me forçant à sortir de mon cocon. J’étire mes muscles encore endoloris d’une nuit trop agitée pour être reposante. Lasse, je me masse les yeux tout en basculant les pieds au-dessus du sol. Machinalement, je passe la main sur la cicatrice au milieu de ma cuisse. Elle n’est pas impressionnante, à peine une boursouflure quelques centimètres de diamètre sur laquelle serpente une vingtaine de points de suture. Vingt-deux pour être précise. Sur la table de chevet, je me saisis d’un tube de crème cicatrisante et l’applique en massage circulaire. La différence de sensation entre la peau abîmée et la peau saine m’arrache quelques frissons. Où est-ce le souvenir de cette soirée où tout a basculé ?

À peine habillée, je me dirige vers la cuisine pour me préparer un café. Ce breuvage est mon meilleur allié depuis que les cauchemars peuplent mes nuits. Perdue dans le fil de mes pensées, j’agite la cuillère dans ma tasse et me perds dans la contemplation des remous. Accoudée à l’ilot central, je profite encore un peu du silence qui m’entoure. Puis, je déjeune frugalement et finis de me préparer pour aller courir.

Clés en main, écouteurs vissés aux oreilles, je sors de l’immeuble en petite foulée en direction du stadium. L’esprit en alerte, j’observe mon environnement. Le soleil inonde déjà la chaussée malgré l’heure matinale. Les rues sont désertes en ce début de week-end, les gens ne se pressent pas pour se rendre au travail, il n’y a pas d’enfants à emmener à l’école. Mon esprit s’efforce de retenir chaque détail, d’analyser chaque information.

Le stadium n’est qu’à une dizaine de minutes en courant, juste de quoi m’échauffer et habituer mon corps à la douleur qui irradie ma cuisse. Je ne force pas et m’impose un rythme modéré. Une fois sur place, j’enchaîne quelques tours de piste avant de monter et descendre à plusieurs reprise les gradins. Je ne suis pas la seule à avoir eu l’idée de venir ici. En face, un autre joggeur multiplie les allers-retours. J’enregistre ses caractéristiques physiques, cherche dans ma mémoire si je l’ai déjà croisé sur le chemin, ou lors d’une autre séance d’entrainement. Puis, rassurée qu’aucune alerte ne résonne en moi, je poursuis mes exercices de torture.

Au bout d’une heure de supplices, n’y tenant plus, je m’écroule dans un cri de rage aussi bien que de désespoir. Et tant pis pour les quelques curieux qui passent dans le coin et qui se demandent ce qui me prend de brailler comme ça ! Allongée sur le dos, je tente de reprendre mon souffle. Les yeux clos, je me concentre sur ma respiration. Inspire. Expire. Les vagues de douleurs refluent progressivement mais pas encore assez pour que je puisse me relever, ni même que j’envisage de rentrer. J’ai encore trop forcé et je n’ai rien prévu pour le retour. Je pourrais appeler Matt, mais je répugne à le réveiller alors qu’il a travaillé cette nuit.

Des bruits de pas me sortent de mes pensées. Je me fustige de ne pas avoir été plus en alerte.

— Excusez-moi ?

J’ouvre un œil et découvre un jeune homme. Ses yeux verts portent des marques d’inquiétude. Ses cheveux bruns sont ramenés en un bun dont plusieurs mèches s’échappent. Je reconnais le joggeur qui s’entrainait de l’autre côté du terrain.

— Tout va bien ? reprend-il.

Sa voix est grave, un peu rauque. La main en visière pour empêcher le soleil de m’éblouir, je ne sais pas trop quoi lui répondre. Il me fait chier avec sa question et son air contrit. Je prends sur moi pour ne pas paraître impolie.

— Oui très bien, merci.

Toujours au sol, j’hésite à me relever. Je sais que ma jambe ne supportera pas mon poids. Malgré tout, je ne me vois pas rester à terre devant lui. En appui sur ma jambe valide, je tente de me redresser tant bien que mal. Sa main apparaît dans mon champ de vision, dans une tentative de me soutenir. Mon regard s’ancre au sien, je ravale ma fierté et accepte la main tendue.

— Je vous remercie, soufflais-je.

Puisant dans mes dernières forces je commence à m’éloigner, avec ce besoin viscéral de mettre de la distance entre cet inconnu et moi. Les larmes menacent la barrière de mes yeux à nouveau. Inspire. Expire.

— Attendez !

J’hésite entre me retourner et partir au pas de course. J’abandonne très vite la deuxième hypothèse. Eh merde ! Je m’exhorte au calme, tente d’apaiser mon rythme cardiaque et de repousser la paranoïa qui m’envahit peu à peu. Je m’arrête et pivote pour lui faire face.

— Oui ? demandé-je un peu sèchement.

Ses prunelles se voilent d’un léger agacement et ses sourcils se froncent devant mon ton acerbe.

— Vous vous sentez bien ?

Je me retiens de lui dire que j’ai déjà répondu à cette question il y a moins de deux minutes et que ma réponse n’a pas changé.

— Oui. Je vous remercie de votre sollicitude, mais tout va bien.

— Vous avez l’air blessée. Avez-vous besoin que je vous conduise chez un médecin ou à l’hôpital ?

— Encore une fois : Tout va bien ! répond-je en prenant soin d’appuyer chaque syllabe.

Je ne prends pas la peine d’attendre une réponse et me précipite vers la sortie. L’effort me scie les jambes. Lorsque j’estime avoir mis assez de distance entre lui et moi, j’avise un banc et m’assied avec précaution. La jambe tendue, je masse le muscle endolori par ma session de running. Toujours en alerte, j’examine chaque personne qui croise ma route. Une silhouette encapuchonnée attire mon attention. J’ai le sentiment désagréable de l’avoir déjà croisée. Qui est-il ? Me suit-il ? Lorsque qu’il disparaît de mon champ de vision, je me hâte de reprendre ma route. Tout du moins jusqu’au prochain banc qui croise mon chemin. Le retour est catastrophique, mon pas est claudiquant, mon souffle court, principalement à cause de la crise d’angoisse que je sens affluer et mon calvaire prend un tour encore plus douloureux à la vue des trois étages que je dois gravir pour arriver jusqu’à l’appartement. Si je réussis l’ascension ce n’est que grâce à la promesse d’un bain brulant pour me relaxer et d’un verre de vin pour m’anesthésier. Seulement voilà, ma conscience, cette traîtresse, me rappelle qu’il n’est même pas neuf heures du matin et qu’à moins de vouloir passer pour une alcoolique, je vais devoir faire sans.

A peine le seuil franchi, je file dans la salle de bain et ouvre les robinets d’eau. J’adresse une prière silencieuse aux anciens propriétaires d’avoir eu la bonne idée de faire installer une baignoire. Bientôt la vapeur envahit l’espace, le miroir se floute et la pièce embaume les huiles essentielles.

Enfin, je plonge dans l’eau avec délice et m’immerge. Les yeux fermés, je savoure le cocon que me procure l’eau, la légèreté qu’elle me confère, comme si mes membres pesaient moins lourd. Je profite de la quiétude de l’instant et tente de tenir à distance les pensées noires qui peuvent m’assaillir lorsque je suis seule. Je ne remonte à la surface que pour respirer avant de retourner dans ce silence salvateur.

Alors que l’eau commence à refroidir, les poils sur ma nuque se hérissent et mes sens se mettent en alerte. J’ouvre les yeux pour me retrouver nez à nez avec Matt. Un cri perçant franchit mes lèvres et je glisse en tentant de me redresser.

— Putain, mais t’es trop con !

Mon ami fronce les sourcils et risque un petit sourire.

— Tu trempes là-dedans depuis une demi-heure et tu ne répondais pas à la porte. Je suis entré pour vérifier que tu étais encore vivante !

— Ouais, dit plutôt que t’es rentré pour te rincer l’œil.

Il rit.

— Ce n’est pas parce que tu m’as déjà vu à poil que tu peux te permettre de rentrer comme ça dans la salle de bain !

— Rae, j’ai tambouriné pendant 5 minutes derrière la porte. Tu n’as même pas bougé une oreille.

Debout face à lui, je m’enveloppe dans une serviette afin de cacher ma nudité. Pourtant ce n’est pas le regard de Matt sur ma féminité qui me dérange. Son visage descend sur la cicatrice puis remonte vers mes yeux. Son corps entier se tend comme à chaque occasion qu’il a d’apercevoir ma blessure. Et la culpabilité de lui faire endurer ma convalescence revient me cueillir comme à chaque fois qu’il pose ce genre de regard sur moi. Ce regard teinté de colère, de regrets mais aussi un peu de pitié.

— Pourquoi es-tu encore là ?

Il me dévisage, interrogatif.

— Tu veux dire dans la salle de bain ?

— Nan, je veux dire dans ma vie. Pourquoi vis-tu toujours avec moi ? Depuis quand n’es-tu pas sorti faire la fête avec des potes ou au resto avec une femme ?

— Ne commence pas Rae, souffle-t-il.

Il passe les doigts dans sa tignasse châtain et me tourne le dos. Ses épaules se voutent et une de ses mains crochète sa nuque. Pourtant il n’esquisse aucun geste pour sortir de la pièce exiguë.

— Matt ?

Il pivote pour me faire face.

— Tu ne peux pas continuer comme ça. Je vais me trouver un logement ou retourner chez mon père.

— Ne sois pas ridicule, je ne vois pas comment tu pourrais aller chez ton père alors que tu ne décroches pas ton téléphone lorsqu’il t’appelle.

Je ne l’ai pas volée celle-là. Ses yeux noisette semblent tellement tristes d’un coup. J’enfile un teeshirt large sur un legging avant de reprendre.

— Sois honnête, Matt. Tu n’as plus de vie. C’est moi qui ai été blessée ce soir-là̀. Pas toi. Il n’est pas juste que tu en payes les conséquences autant que moi.

— Je te remercie de t’inquiéter pour ma vie sociale et sentimentale, mais je t’assure que je suis assez grand pour le faire tout seul.

Sur ce, il quitte la salle de bain et j’écoute la porte de sa chambre claquer. On a déjà eu cette conversation des milliers de fois. Je lui dis que je vais partir, il me dit que ce n’est pas la peine et égoïstement, je reste. Je reste parce que c’est tellement plus simple.


[1] Madilyn Bailey- Titanium

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