Chapitre 7

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5 minutes avant le spectacle

Toute la production est dans les coulisses. L'anticipation, l'excitation et l'angoisse sont à leur comble. Tous ont hâte de monter sur scène.

Sur la pointe des pieds, telle la ballerine que je suis, je m'approche des lourds rideaux en velours carmin et les écarte un tantinet afin de voir l'assistance, bien qu'un tel comportement soit prohibé au sein de l'académie.

Une fois mes parents trouvés dans l'assemblée, en plein centre et à l'avant comme à leur habitude, je cherche ceux de Drew, en vain. Je ne serais même pas surprise qu'ils ne viennent pas !

Voyant les professeurs qui s'avancent afin de faire leur discours de début de spectacle, je retourne auprès de la production, calmer mes nerfs un peu.

-Parents, amis, professionnels et recruteurs, bienvenue au spectacle de mi-année de l'Académie de danse de New York ! Nos élèves ont travaillé très fort tout au long des cours et nombreuses répétitions auxquelles nos jeunes talents ont fait face. C'est pour cela, que, dans toute la fierté des enseignants et corps professionnel, que nous vous prions de garder le silence durant les prestations et de n'applaudir qu'à la fin des numéros. En ce sens, veuillez ne pas crier le nom de votre enfant pour ne pas le déconcentrer. Sur ce, commençons avec la première pièce de la soirée, The professor and la fille qui danse par la production de contemporain de l'Académie.

C'est à nous. On entre en parfaite harmonie sur la scène marchant élégamment tel un seul homme. Les lumières puissantes et chaleureuses m'aveuglent; je plisse les yeux. Ce moment est l'un des plus beaux que je peux me rappeler. Être sur les planches, danser, inspirer, voir ou du moins s'imaginer le regard de la foule s'éclairer...C'est vraiment l'une des choses les plus merveilleuses au monde, j'ai l'impression que les astres s'alignent, que toutes les mauvaises vibrations, la malchance s'éloignent de moi pour ne laisser que l'espoir et la joie. Sur scène, je dois toujours me retenir pour ne pas fendre un sourire jusqu'aux oreilles car c'est toujours l'unique chose qui me donne envie.

Un pas par ci, un pas par là, un chaîné, sissonne puis porté, on atterri en attitude, puis improvisation structurée. Chacun sait ce qu'il doit faire, tout est placé et contrôlé. C'est ce que j'aime des performances: j'ai un contrôle total. Même dans les mouvements plus organiques, vites et désordonnés que j'aime tant faire, dans cette liberté qu'on y a, on y trouve des repères précis. Ça change de mon cancer où tout est tâtonnement et hypothèse. Où rien n'est sûr. Où je pourrais mourrir à tout moment.

Nous retournons dans les coulisses, notre chorégraphie étant terminée. Par automatisme, je tente de retrouver Drew. Je brûle d'impatience de connaître sa version de notre performance. C'est un peu comme un rituel pour nous, de se raconter ce que nous avons pu voir sur scène, nos erreurs et nos bons coups. Des sourires sont sur toutes les lèvres.

Arrivée près de lui, la réalité me frappe de plein fouet. On est dans une situation où s'est tendu entre nous. Ça ne nous étaient presque jamais arrivé avant. Ne sachant pas s'il veut me parler ou non, je reste plantée dernière lui, me balançant d'avant à arrière, un peu inconfortable... N'ayant pas la moindre réaction de sa part, je m'éloigne, un peu à regrets et vais mettre mon costume de solo.

Une fois mon long léopard noir et ma jupe assortie enfilés, je m'avance dans le couloir près des coulisses, mes cordes à la main afin de pratiquer ma chorégraphie quelque peu avant de la présenter devant l'assistance. Je sais que je n'ai pas à stresser, que j'ai plus de temps que nécessaire pour m'échauffer et me préparer, puisque je ne suis que le premier numéro après l'entracte. Malgré tout, mon estomac se tord. J'aimerais tellement avoir Drew à mes côtés, pour me rassurer. Il trouve toujours les bons mots pour me calmer. Au lieu de cela, alors que c'est le début de l'entracte, je vois Shawn arriver, sous les regards admirateurs des jeunes de l'Académie.

Il s'assoie au sol devant moi et me dit:

-Veux-tu qu'on la révise ensemble ?

La simplicité de sa demande me fait esquisser un sourire. J'hoche doucement la tête en tant que réponse.

-Fais-là, je te donnerai les corrections au fur et à mesure.

Ça fait du bien d'avoir quelqu'un qui prend le contrôle à ma place, qui m'assure que ça va bien aller. Enfin, Shawn sait ce qu'il fait, c'est son métier, c'est rassurant.

Je m'assoie au sol et débute.

Je tremble. Shawn le remarque, c'est évident puisqu'il me rappelle de respirer, qu'ainsi tout va me sembler plus facile. Plus facile à dire qu'à faire surtout. Un pied à pointer plus, une jambe à mieux allonger, de l'énergie jusqu'au bout des doigts; les corrections sont simples et sur des erreurs minimes.

-Bon, t'es prête Jayd, c'est évident, alors fais-toi confiance. Je vais retourner dans salle puisque l'entracte est presque finie. Tu devrais aller des coulisses te placer.

-Ouais, sans doute... Merci Shawn.

Il me presse chaleureusement l'épaule, puis m'entraîne vers l'arrière-scène.

Je prends de grandes respirations alors qu'il s'éloigne.

Des coulisses, je vois Mme Petrovska s'avancer sur scène et annoncer le début de la deuxième partie du spectacle. Je m'assure donc que mes cordes sont bien nouées; il ne faudrait pas qu'elles se détachent avant le moment prévu ou encore que je ne soit pas capable de les dénouer.

Je vais m'assoir sur scène. Il n'y a qu'une lumière d'allumée: un immense spot en douche pointé sur moi. Je sens que je ne réussirai pas à terminer ma chorégraphie sans pleurer. Tous ces regards braqués sur moi font beaucoup, mais, heureusement, dans mon anxiété et mes tremblements, j'aperçois Shawn, dans les première rangées, qui me fait signe de respirer; inspirer, expirer, inspirer, expirer: encore et encore.

Alors que je danse, je sens la représentation du poids de ma conscience qui s'enlève de mes épaules arriver pour vrai. La chorée est sensée faire vivre aux spectateurs la longue et difficile aventure qu'est le cancer du diagnostic jusqu'à la fin, par la dépression sévère jusqu'à la reprise de contrôle et la légèreté.

Sortant de scène, je vois ma mère qui pleure sur l'épaule de mon père selon moi, autant de tristesse que de fierté. Mon père également semble triste, mais il est généralement moins expressif que ma mère, ce qui se reflète ici. Shawn, lui par contre, a un grand sourire alors qu'il lève un pouce en signe d'approbation. Je suis heureuse qu'il ait apprécié ma performance, après tout c'est sa chorégraphie...

Je rentre dans les coulisses et j'ai la surprise de ma vie. Drew.

- Jayd... Je... Je suis désolé.

Il baisse les yeux, semblant réellement chercher le pardon.

-Tu me connais et je sais qu'avec toi je n'ai pas besoin d'en dire plus. Tu me pardonneras si tu le veux. Alors, simplement bravo pour ta chorée !

Je souris et le prend dans mes bras et lui murmure :

- Je te pardonnerai toujours Drew.

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