15.Rae

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J’attrape le glaive que j’ai choisi et m’exerce à le faire tourner sur lui-même pour me concentrer. Je ne dois pas perdre de vue mon objectif. Ce soir, je serai avec elle et plus rien ne comptera que sa présence. Je me ferai pardonner cette nuit où je suis parti sans lui dire au revoir. J’inventerai une histoire d’inconscient et le tour sera joué. J’ai trop besoin d’elle, je ne veux pas la perdre. Jamais.

— Hé ! Trou du cul ! C’est l’heure de te prendre ta branlée.

Je jette un regard à mes camarades et bouscule ce gros tas de fumier en sortant.

— Ta gueule Gaarin.

— On verra la tienne quand tu ressortiras de là-dedans. Les chiens vont se régaler pour le diner de ce soir.

Je réponds d’un geste obscène.

Rapidité, précision, concentration, plus j’avance et plus ma rage augmente. Le seul hic dans tout ce chantier, c’est le manque de temps pour tester les effets de la pierre. Même un essai. Tant pis. Il faudra que je compense en imaginant le visage du tueur de mon frère à la place. Je roule des épaules pour garder mes muscles chauds. Mon cerveau bouillonne prêt à tout terrasser sur son passage. Hellasi, un jour ce sera ton tour. Je te tuerai.

L’odeur de la chair et de la violence me pique les narines. Le sol et les barreaux sont recouverts de traces de sang, de lambeaux de peaux et de poils. La foule crie et hurle debout, les bras levés. Le chaos est partout. Je descends quelques marches et la grille s’ouvre, j’entre dans l’étroite arène. De l’autre côté, Bulgaro ne porte pas de pièces d’acier, mais de cuir, je ne vois que l’argent de son masque. Immédiatement, je repère deux marques. Une sur son avant-bras gauche et l’autre sur sa cuisse droite. De la taille d’un gamin, il tient dans sa main un énorme hachoir et dans l’autre une lame incurvée. Rien en commun avec l’être de lumière rencontrer dans la prison de ce corps. Derrière lui, un petit être grassouillet aux habits rutilants et aux yeux aussi rapaces que ceux d’un aigle me jauge. Il murmure quelques mots à mon adversaire qui grogne en retour.

Les portes se ferment dans un grincement aigu. Au-dessus de nous, la foule est en délire. Jambes écartées, nous nous évaluons sans bouger, le regard fixe. Nous attendons je ne sais quel signe pour commencer. La tension est à son paroxysme, mes sens affutés. Mes doigts serrent avec force le manche de mon glaive.

Puis tout s’accélère. La première attaque vient de front, des enchainements rapides et circulaires. Esquives, feintes, évitements, tout y passe. L’objectif premier : localiser tous les sceaux avant l’attaque finale. Les lames s’entrechoquent et crient leur soif de sang. J’extériorise ma fureur, tout le contraire de Bulgaro qui reste muet.

Où sont les attaques lentes dont parlait Balin ?

Ce type est nerveux, agressif. Rien avoir avec la description que j’en ai eue. Se peut-il que ce ne soit pas la même personne ? Ou bien un leurre ? Non, les marques ne mentent pas. À cette distance, je vois le feu qui brule dans ses yeux à travers son masque de fer. J’ai envie de lui arracher. Je profite d’un effet de balancier pour lui asséner un coup de pied dans le genou et le mettre à terre. D’un geste sec, je tranche les lanières de cuir qui lui cintrent la tête. Le masque glisse sur le sable. Mes musclent se figent. Par les dieux, ce gamin a le même visage innocent que la version enfant de l’immortel. J’identifie la troisième marque en plein milieu de son front.

Plus que deux !

Bulgaro profite du moment pour brandir sa lame et l’abattre. Par réflexe, je roule sur le côté. Le sang coule. La foule exhorte. Je baisse la tête, il ne m’a pas raté. Une estafilade de la largeur de ma main court sur mes abdominaux. Bulgaro se relève comme un mort hors de sa tombe. Ses yeux injectés de sang me dévisagent. Bien différent du petit garçon que j’ai rencontré dans son esprit. Sa bouche est tordue par la folie, il n’a plus rien de normal. Il se jette sur moi comme un chien en hurlant sa démence. Ma main riposte, vive et directe. Nos fers se cognent sans relâche à la recherche d’une ouverture. Mon instinct prend le dessus, mes gestes s’enchainent, automatiques. Plus la peine de réfléchir ! Mon bras se déplace à une vitesse phénoménale. Je le désarme.

Son hachoir au sol, j’aperçois le quatrième sceau à l’intérieur de sa main. Je l’embroche à l’épaule et saute en arrière pour reprendre mon souffle. Je n’ai pas de doute sur l’emplacement du dernier, il ne peut être que sous son plastron. La prochaine phase peut commencer.

Il titube et crache un filet de sang. La foule frappe contre les grilles. Son visage se crispe et ses yeux se troublent. Il agrippe son épaule et dodeline de la tête plusieurs fois. Ses yeux me fixent inexorablement. Je crois entendre le son d’un sifflet. Le temps de voir d’où il provient, sa lame incurvée ricoche contre l’armure de mon bras, mon torse, mes épaules.

Quelle rapidité !

Déséquilibré, je tombe en arrière sur le sable humide. Dans un mouvement ample, il ramasse son hachoir. Pas un muscle de son visage ne bouge. Le sang gicle. Je suis à sa merci. Il fait tourner sa lame d’une rotation de poignet et se précipite sur moi, le bras en avant. Dos au sol, je le bloque de justesse et prie pour que la pierre fasse effet. Dix coups, dix secondes.

C’est parti !

Je le déstabilise par un coup sur la cuisse, je projette mon corps astral dans son esprit pour briser le cercle en terre cuite correspondant dans la chambre de torture. L’immortel est là pour m’indiquer la bonne relique. Je reviens dans mon corps et lui assène le deuxième dans le bras, je me projette encore plus vite. Puis, vient le tour de la main. Je retourne à mon corps astral qui rugit de puissance. La pierre agit comme un boomerang. Je n’entends plus rien que mon souffle et les battements de mon cœur. De retour dans la réalité de l’arène, mon adversaire tient à peine sur ses jambes, je lui assène un coup de tête pour la quatrième marque et pulvérise le sceau presque aussitôt. J’enchaine le dernier horion avec le plat de la main au plexus solaire. J’écrase dans la foulée le dernier cercle de terre cuite sous le regard satisfait de mon associé. Le retour dans mon corps est presque immédiat. J’ai réussi. Satisfait, je laisse la pression retomber. Je suis épuisé. Certainement une conséquence de l’utilisation de la gemme. Bulgaro est statufié mais respire toujours. Ce n’est pas normal, la luciole devait le faire exploser. Le sifflement reprend de plus belle.

Dépêche-toi, Lulle !

Je décide d’aller voir ce qui se passe.

Ah non !

L’être de lumière est dans l’antichambre. Derrière lui se tient une ombre noire et informe. Ses mains sont autour de son cou et l’empêchent de respirer. Malgré la douleur qui flétrit ses traits, il nous matérialise dans la prairie, près de Mère.

Mais qu’est-ce qu’il fait ?

L’ombre semble désorientée par ce changement de lieu. Elle lâche mon complice et observe de ses yeux rouges le chêne sans comprendre.

— Je suis désolé petit.

Je devine ses intentions. Elles ne me plaisent pas du tout.

— Tu as une dette, enfoiré de ver luisant !

Il ne dit rien et me montre sa poitrine, l’endroit où je dois frapper.

— Je t’ai menti, je ne peux être sauvé.

L’ombre est subjuguée par l’arbre. Elle touche son écorce.

— Allez petit, c’est la seule solution.

— J’emmerde cette solution, tu as un pacte avec moi !

Il se marre ouvertement.

— Le digne fils de son père.

Puis son visage s’assombrit.

— On n’a pas le temps de jouer les commères de bas quartiers. Tu sais ce qu’il te reste à faire, alors fais-le.

— Je devrais les laisser te reprendre.

— Mais tu ne le feras pas. Sous tes airs de brute se cache quelqu’un de bien.

Rhaa ! Je lui envoie mon poing dans la figure.

Soulagé ?

Fou de rage, j’invoque le glaive de lumière que je tiens de mon frère et sans réfléchir le transperce en plein cœur. L’ombre hurle de douleur et dans un fracas terrible éclate en un millier de morceaux. Lulle s’affaisse dans mes bras. Un sourire étire ses lèvres.

— Ça va allez petit, je suis libre. Ton père a de la chance de t’avoir…

Comme l’ombre, le corps de Lulle disparait en pluie d’étoiles et de lumière. À présent, il ne reste plus rien de lui que son souvenir. Doucement, je me relève et renvoie mon épée de lumière dans son fourreau astral. Il est temps de partir. La prairie se meurt. Tout se transforme en cendre. Je puise dans mes dernières forces pour retourner dans mon enveloppe charnelle. Bulgaro est étendu sur le sable, les yeux vitreux grands ouverts. La foule est au comble de l’extase. Du coin de l’œil, je vois Krohor qui débat avec Cylnéal. Il est ravi, l’autre beaucoup moins.

Brisé de fatigue, je me laisse tomber telle une masse inerte sur le côté, persuadé d’avoir pris la bonne décision. Je ne comprendrais jamais cette nature perfide pour le mépris de la vie. Assister à la destruction d’une âme fait remonter ce cauchemar que je me trimballe depuis si longtemps. Je revois en boucle celle de mon frère s’éparpiller aux quatre vents transpercée par l’épée noire d’Hellasi.

Soudain, la cage s’ouvre, des bras puissants me soulèvent par les épaules. Je n’ai plus d’énergie. Balin et Filanis me trainent jusque dans l’annexe d’entrainement et m’allongent sur une table. J’ai mal. Mon corps agonise. Une main squelettique se pose sur mon front, une voix me chuchote des mots à l’oreille. Mes forces me quittent, je lutte pour ne pas sombrer, trop tard. Mes yeux se ferment. Les abîmes m’emportent.

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