Chapitre 26 Le sixième seigneur

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J’entrouvrais lentement une paupière, je voyais, les lueurs bleutées m’envelopper puis m’abandonner. Étais-je en train de délirer ? Il y avait tant de gens autour de moi, tous de blanc vêtus. Ils étaient tous si paniqués. Pourquoi avais-je si froid ? Je n’avais pas le souvenir d’avoir déjà eu aussi froid. Je voulus esquisser un geste pour rassurer tous ces gens qui me secouaient et m’emmenaient. Malheureusement, je ne pus. Mon bras était resté bloqué dans sa position initiale. Ma jambe ? Il en fut de même.

« Violent choc au niveau du dos ! La moelle épinière est potentiellement touchée ! Brûlures superficielles et hémorragie interne ! On envoie bloc deux ! Attention, à trois on lève ! »

Mais qu’est-ce qu’elle racontait là ? À qui était cette voix ? Je n’avais rien, j’étais juste tombé et je m’étais évanoui, il fallait que je m’en souvienne pour leur prouver qu’ils avaient tort.

Les souvenirs revinrent, brutalement. Pendant que des mains inconnues me faisaient respirer un mystérieux gaz qui me fit dormir, il me revint des images.

Isa était la proie du bibliothécaire qui lui prit toute sa force, son pouvoir et sa vie. Moi je m’étais jeté sur lui et il m’avait projeté à l’aide d’un pouvoir télé kinésique, de la même façon que je l’avais projeté, la veille, à la BNF, pendant qu’il me mordait. Alors, c’était vrai, les copieurs ont bien la faculté d’imiter les autres vampires en buvant leur sang. Il possédait à présent le pouvoir de mon grand-père ainsi que celui d’Isa, quel qu’il fut. Ce pouvoir dont on disait que même la puissante Charlotte, n’eut pu rien faire contre lui. Mais pourquoi lui fallait-il celui d’Isa en particulier ? Il aurait très bien pu se contenter du mien. Il n’a même pas cherché à s’emparer de celui de Charlotte, alors qu’elle était sans défense. Elle pouvait détruire ses ennemis avec de l’air brulant qu’elle chargeait dans ses mains, comme un four à induction, c’était tout de même pas mal ! Que souhaitait-il accomplir ?

Mais alors, comment étais-je arrivé ici ? Je me souvenais vaguement d’une détonation. Oui c’était cela ! Une détonation, puis deux, puis trois. Des coups de feu. Pendant que le vampire utilisait son pouvoir sur moi, il n’avait pas remarqué Ella qui se tenait derrière lui. Cette chère et fidèle Ella, armée de son Manurhin, l’arme avec laquelle elle avait été entraînée au tir lorsqu’elle était encore dans la Police. Elle avait réussi à surprendre notre agresseur et lui avait logé trois balles en pleine poitrine. Je suppose qu’elle pensait mettre la dernière en pleine tête, à bout portant, mais elle n’en eut pas le temps. Le bibliothécaire s’était enfui sans demander son reste. De toute manière, il avait obtenu ce qu’il voulait.

J’ignore combien de temps il a pu se passer entre mon opération et mon réveil. Lorsque je pus enfin ouvrir les yeux, j’étais sur un lit d’hôpital, dans une chambre exigüe. Je pouvais toujours bouger la tête, mais le reste était trop lourd. Charlotte était assise sur le lit voisin au mien, habillée d’une de ces blouses que l’on donnait aux patients. Elle avait attendu patiemment mon réveil.

« Ne cherches pas à bouger, dit-elle. Ta colonne vertébrale est touchée.

Je pouvais deviner qu’elle retenait ses larmes, mais je pense que ce n’était pas pour moi.

-Isa… Murmurai-je avec peine.

-Elle… Elle est à la morgue, ils l’ont emmenée sans que je ne puisse rien faire. »

Elle me prit la main et s’effondra en larme, agenouillée près de moi. Je réalisai qu’elle venait de perdre la fille qu’elle eût rêvée d’avoir.

« Je suis tellement désolée, je te demande pardon, j’aurais dû vous aider au lieu de vouloir la garder pour moi toute seule. Je… Je vais me rattraper, je vais te donner mon sang et tu vas guérir, je te le jure !

-Allons, Madame, ne dites pas n’importe quoi ! Vous voyez bien que vous n’êtes pas en état ! Créer un autre vampire n’aura pour conséquence que de vous achever.

Cette voix était celle d’Ella, je l’avais reconnue, mais je ne la voyais pas.

-Je lui dois bien cela !

-Il y a peut-être une autre solution. Commencez d’abord par vous remettre. Ensuite, nous verrons ce qu’il convient de faire.

-Ella, vous avez une meilleure idée.

-Ce n’est pas vraiment le moment d’en parler, mais puisque vous y tenez, vous devez savoir qu’avant que les brancardiers n’évacuent son corps, j’ai réussi à prélever un peu de sang de Mademoiselle Garnier.

Elle lui montra un flacon contenant quelques gouttes.

-Mais enfin, ça ne sera jamais suffisant !

-N’oubliez pas qu’il n’est pas n’importe qui. C’est peu, mais cela suffira à le transformer en douceur. En attendant cela va le remettre sur pied.

-Et bien soit ! Jeune homme, tu as à présent un choix à faire. Si tu souhaites accéder au don de l’obscur, dis le clairement haut et fort.

-Je le veux, dis-je péniblement.

-Jures-tu allégeance à ta reine Marie Isabelle Garnier, où qu’elle se trouve en ce moment ?

-Je le jure. »

La cérémonie d’adoubement se fit dans une chambre d’hôpital aseptisée, au milieu des brancards, des appareils médicaux et des fauteuils roulants. Je dois admettre que j’avais imaginé un décor plus épique. Une crypte, un château, un cimetière même ! Mais la vie ne nous donnait pas toujours ce que nous désirions,… Alors dans ce cas, je devais le prendre !

Alors que le sang d’Isa parcourait mon être, je ressentais en mon âme comme un sentiment refoulé qui se réveillait. Une immense fureur, qui se transforma en une faim qui me tenaillait au plus profond de moi. Quelques picotements dans le bas de mon corps, des démangeaisons dans mes yeux ainsi que dans mes gencives. J’avais l’impression que mon corps mourrait, pour renaître en autre chose.

« Isa, toi aussi, tu es passée par là ! Pensai-je, je dois rester fort et faire honneur à ton cadeau. »

Après quelques minutes de souffrance, j’étais enfin capable de bouger les doigts. Je ressentais de la douleur dans mon dos et dans mes jambes, mais je n’arrivais toujours pas à les bouger.

J’ouvris alors mes paupières et je scrutais le plafond. À ma grande surprise, je m’aperçus que ma perception avait changée. C’était comme si je pouvais voir au travers. Au-dessus de nous, il y avait du personnel hospitalier qui s’affairait. Je ne les distinguais pas vraiment, mais je voyais leurs contours à travers le plafond, sous la forme d’une lumière bleutée. Cette lumière pulsait régulièrement à chacun des battements de leur cœur,… Et mon Dieu, que cela me donnait faim !

Ella vint alors se pencher sur moi et s’exclama :

« Oh mon Dieu, Madame ! Venez voir ses yeux ! »

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