Chapitre 25 Adieu Isa

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Paris n’avait jamais été aussi calme. Je me promenais le long du plus beau pont de la capitale, franchissant la Seine, qui coulait paisiblement en dessous de moi. Sur l’autre rive, je pouvais distinguer Isa qui s’avançait doucement vers moi. Au fur et à mesure qu’elle approchait, je constatais qu’elle était habillée d’une longue robe de mousseline blanche, ornée de fines dentelles et coiffée d’un chapeau garni de fleurs.

« Isa ! Tu es vivante ! »

Elle me souriait sans rien dire. Nous nous enlaçâmes avant de nous embrasser, loin des regards, du tumulte de la cité, avec les invalides pour arrière plan. Nous versions des larmes de joie et de soulagement. Mais soudain je repensai à ce qui venait de se passer chez Charlotte. Le terrible combat qui avait si mal tourné, le bibliothécaire qui avait atteint son but. Non ! Ça ne se pouvait pas ! Il ne pouvait pas avoir gagné !

Pourtant, il avait mordu Isa, je m’en souvenais très clairement à présent. Je m’étais évanoui et j’étais bien en train de rêver.

« Isa, tes vêtements !

Elle mit son doigt sur ma bouche afin de m’empêcher de briser nos derniers instants. Elle me connaissait bien malgré le peu de temps que nous avions passé ensemble.

-C’étaient ceux que je portais le jour où j’ai été transformée. Tu te rends compte ? J’avais complètement oublié.

Elle tourna sur elle-même, faisant tourbillonner sa longue robe. Elle avait retrouvé l’insouciance et l’innocence de ses vingt ans, comme si le dernier siècle qu’elle venait de vivre à l’état d’immortelle n’avait finalement jamais eu lieu. Enfin, elle serait à nouveau une jeune fille comme les autres. Enfin, elle serait vivante, plus que jamais.

-Est-ce qu’on dansera encore un tango toi et moi ? Demandai-je. Il faut que tu m’apprennes tes pas !

-Le reste tu l’apprendras par toi-même Alex, ton initiation n’est pas terminée.

-Comment pourrais-je devenir un bon gardien si tu t’en vas ?

Elle me serra fort dans ses bras, mais sans m’écraser cette fois.

-Les autres… Ils achèveront ton initiation. Ils vont avoir besoin de toi. Tu es leur seul espoir.

-Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle me regarda droit dans les yeux. J’admirais cette belle lueur turquoise qui s’en émanait, je voulus en savourer chaque instant.

-Alex, tu es le dernier descendant du cinquième seigneur. Tu as non seulement son sang, mais aussi ses pouvoirs. Tu dois devenir comme nous afin que notre espèce puisse enfin renaître.

-Mais comment ?

-Ça m’énerve de l’admettre, mais je pense que tu vas devoir compter sur Charlotte. Bien qu’elle ne te mérite pas. Charlotte te transformera, mais tu seras lié à elle pour l’éternité, réfléchis bien à tout ce que cela implique.

-Cela veut dire, qu’elle pourra me contrôler, n’est-ce pas ?

-Oui, jusqu’à ce que ta force dépasse la sienne, peut-être d’ici un siècle ou deux…

-J’aurais préféré être lié à toi !

Elle mit sa main sur ma joue.

-Je sais, mais s’il y a une chose que j’ai apprise en plus d’un siècle, c’est que la vie ne nous donne pas toujours ce que nous désirons le plus au monde.

-Est-ce qu’on va se revoir ?

-Je n’en sais rien. Ton destin est de devenir un immortel, tandis que le mien est de mourir alors… Peut-être que je trouverais le moyen de te hanter ! Dit-elle avec un grand sourire.

-Même dans une situation comme celle-là, tu trouves encore moyen de me faire rire !

-Mais c’est pour cela que tu m’aimes n’est-ce pas ? »

Je la serrais à nouveau dans mes bras, à tel point que je ne savais pas si j’arriverais à la laisser partir. Je ne voulais plus la lâcher, mais je n’eus pas le choix. Même dans mes rêves, elle restait plus forte que moi. Nous entendîmes une voix féminine au lointain, sur l’autre rive.

« Mais ! C’est la voix de ma mère ! S’écria Isa. J’arrive Maman !

-Isa…

-Tu réalises ? Cela fait plus de cent ans qu’elle m’attend ! Il faut que j’y aille Alex. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi. J’aurais tellement voulu te connaitre à la place de ton grand-père.

-Comment ça, tout ce que j’ai fait pour toi ? À cause de moi, tu es morte !

-Non, au contraire, grâce à toi, je revis. Tu ne comprends pas ! J’ai erré toute mon éternité en quête de vengeance, sans aucune attache. Avant de te connaitre, je ne m’étais jamais inquiétée pour personne. Je n’ai jamais eu l’occasion d’avoir une famille, des enfants, une maison. Les trois jours que j’ai passés avec toi furent les meilleurs de toute mon existence. Je te remercie, car tu m’as fait réaliser que ma seule vengeance était d’abord contre moi-même. Je me faisais du mal, je voulais me punir de ne jamais avoir pu aimer. À présent tu dois m’oublier.

-Comment pourrais-je oublier une femme comme toi ?

-Je suppose qu’il te faut une femme de ton âge, qui sache danser autre chose que du tango. Une femme qui mange normalement au restaurant, sans mettre du sang partout. Une femme qui ne fera pas peur à ton chat.

-Que ferais-je d’une femme comme cela…

-Des enfants ! Conclut-elle, un air malicieux aux lèvres. »

Elle souriait toujours et s’éloignait pas après pas, le long du pont qui portait mon nom. Sa silhouette blanche m’évoquait la pureté d’un ange descendu des cieux. Marie Isabelle Garnier de la Baie, née en 1869, décédée en 2015, rejoignait enfin ses parents sur l’autre rive.

Alors, même les vampires vont au paradis ? Il me faudra du temps pour accepter cette idée. En attendant, jusqu’au jour où nous nous retrouverons, que ce soit ici ou dans l’immensité de l’univers, je jure que je ne t’oublierai jamais.

« Adieu Isa. »

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