Chapitre 22 Sous les étoiles

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Il devait être minuit lorsque je tentais de regagner ma chambre « humaine » dans l’obscurité. Charlotte m’avait assuré que ma vie ne serait pas en danger entre ces murs, cependant, elle m’avait chaudement recommandé d’éviter de trainer trop près des chambres « vampires » dans l’autre aile, durant la nuit. Les vampires du clan Bertolucci étaient certes bien éduqués, mais ils restaient des prédateurs dans l’âme. Je me doutais qu’ils pouvaient entendre chaque pulsation de mon cœur depuis les premières minutes où j’avais posé un pied dans cette demeure. J’en avais bien sûr parfaitement conscience, mais pour le moment j’en étais encore à me demander pourquoi une telle maison était aussi mal éclairée. Question stupide, disons plutôt, pourquoi les vampires n’avaient-ils pas mis à disposition quelques lumières pour permettre aux humains de passage de se déplacer la nuit. Peut-être, était-ce justement pour les dissuader de tenter le diable. Les vampires profitaient de la maison la nuit, tandis que les humains assistaient Charlotte pendant la journée. Tout comme Isa, les vampires de Charlotte ne dormaient pas. Ils travaillaient pour elle, faisaient vivre son entreprise, et contribuaient à la bonne entente entre les deux communautés.

Alors que je commençais enfin à retrouver mon chemin, je fus soudainement tiré de mes pensées lorsque j’entendis comme un écho dans le lointain. C’était une musique qui semblait irréelle, intemporelle, presque surnaturelle. Je ne saurais dire pourquoi, mais j’étais irrésistiblement attiré par l’origine de ce son. À l’oreille, je déduisais que la musique venait du toit. Je reconnaissais finalement l’instrument en question. Il s’agissait d’une flute traversière.

« Isa, tu es enfin remise ! » Pensai-je.

Tant bien que mal, je gagnais le toit où une petite terrasse avait été aménagée. Isa était assise sur un muret avec sa flute dans les mains.

« Tu joues divinement bien même après toutes ces années !

Isa, comme à son habitude, m’avait entendu arriver.

-Il y avait si longtemps que je n’avais pas joué cette mélodie.

-Qu’est-ce que c’était ?

-Prélude à l’après-midi d’un faune… Je l’avais joué en public en 1890… Ou peut-être était-ce plus tard… Oh bon sang, Alex, j’ai eu si peur ! »

Elle fondit en larme devant moi. J’accourais derrière elle pour l’enlacer. Elle posa sa main sur la mienne. Dans un moment comme celui-là, les mots devenaient inutiles. J’étais conscient que je serrais dans mes bras, la femme qui avait tué mon grand-père, mais tout cela n’avait vraiment plus d’importance, car j’étais prêt à lui accorder la délivrance du pardon. Elle faisait pénitence depuis plus d’un siècle et avait enfin appris à revivre comme une femme de son époque.

« Je suppose qu’à partir de maintenant, tu sais tout. Cette pipelette de Charlotte a surement dû te dire pourquoi je ne peux plus mordre. Ils craignaient tous qu’Isabelle ne revienne pour nous exterminer.

-Oui, elle est toujours en colère.

-Elle en est capable tu sais, même Charles en avait peur.

-Je sais… Au fait, est-ce que le pouvoir d’Isabelle est celui dont tu t’es servie pour projeter le bibliothécaire, quand il me mordait ?

-Non, le pouvoir d’Isabelle est bien plus terrible que cela.

-Mais alors comment as-tu fait.

Isa détourna son beau regard.

-Je n’ai rien fait. Je revenais de copier le livre de Lorenzo quand j’ai entendu ton cœur s’affoler. Lorsque je suis arrivée, tu avais réussi à te libérer, je ne sais pas comment.

-Tu ne peux pas faire bouger les objets ?

-Non… Mais Charles pouvait le faire…

-Tu veux dire que ce serait moi qui…

-C’est possible. Quand je t’ai senti pour la première fois, je savais que tu étais spécial parce que j’avais reconnu l’odeur d’Élisa, mais j’étais loin d’imaginer que tu puisses hériter des pouvoirs de ton grand-père.

-Isa, si je devenais comme toi, qu’est-ce qu’il adviendrait de nous ?

-Je ne sais pas… Tout nous prédestinait à devenir des ennemis. Au lieu de cela, nous nous sommes juré de veiller l’un sur l’autre. C’était tellement plus simple quand il suffisait juste de te haïr. Je t’aurais suivi dans cette ruelle. Je t’aurais capturé et forcé Élisa à venir te secourir. En échange de ta libération, elle m’aurait aidée à briser la prison qui retient mon alter Ego et j’aurais pu redevenir moi-même. Mais au lieu de cela, je n’ai pas peur de le dire, je suis tombée amoureuse, comme du temps où j’avais vraiment vingt ans. Comme si je pouvais revivre ma jeunesse une seconde fois. Non, c’est même encore mieux. Avec ton grand-père, je vivais un amour impur, en proie à la peur et au désir. Avec toi, je vis un amour sain qui me rend plus forte. Grâce au cœur de Lorenzo, j’aurais pu apaiser la faim d’Isabelle et être près de toi sans craindre de te faire du mal sans le vouloir.

-Je comprends.

Elle se tourna vers moi, ses yeux dans les miens.

-Alexandre, il faut que tu sois bien conscient d’une chose : si je fais de toi l’un des nôtres, tu deviendras plus fort, plus puissant, plus rapide, mais cela ne te protégera en rien du pouvoir d’Isabelle. Si je baisse ma garde une seule seconde, elle te tuera, tout comme elle a tué ton grand-père. »

Je regardais les yeux d’Isa briller de mille feux, comme si c’était pour la dernière fois.

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