Chapitre 15 Le livre

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Nous arrivions devant un bâtiment titanesque. À l’intérieur, des gens s’étaient levés très tôt pour consulter les milliers d’ouvrages contenus dans la plus grande bibliothèque de France. Étudiants, professeurs, scientifiques, archéologues, ethnologues, sociologues, et nous même, vampirologues, nous déambulions telles de petites fourmis dans les immenses allées garnies de livres en tous genres. Comme toujours, je servais de chien d’aveugle à Isa, au moins jusqu’à ce que ses yeux s’habituent à la lumière d’intérieure. Je m’approchai d’un ordinateur mis à disposition.

« Quel est le titre exact de notre livre ? Demandai-je à Isa.

-Je ne sais pas exactement.

-Comment ? Tu ne sais pas !

-Non.

-Mais dans ce cas comment peux-tu être sûre que le livre est ici ?

Isa poussa un soupir, puis, elle reprit :

-Écoute, je n’étais pas née quand l’ouvrage de Lorenzo a été rédigé. Tout ce que je sais, je l’ai appris par le bouche-à-oreille. Il y a quelques décennies, à l’époque où je gardais ta mère, j’ai retrouvé la piste du livre. Il fut légué par mon créateur à la bibliothèque royale, celle qui est devenue la BNF aujourd’hui.

-Le fameux Charles ! Il a confié son livre à un autre seigneur ?

-Oui, probablement le seul avec qui il s’entendait. À ses yeux les trois autres sombraient dans la décadence.

-Tu ne me parles jamais d’eux, comment étaient-ils ?

-Il n’y pas grand-chose à en dire. Ils avaient chacun leur caractère et leurs idées. Ils se faisaient la guerre et parfois s’associaient, mais ils n’étaient pas du genre à renoncer facilement à ce qu’ils convoitaient.

-Qu’est-ce que tu veux dire ?

-Qu’ils faisaient toujours ce que bon leur semblait sans jamais se soucier des répercussions. Ce faisant, ils ont causé beaucoup de mal aussi bien à leur entourage qu’à leurs adversaires. Je pense que c’est ce qui a causé leur perte.

-Comment sont-ils morts ?

-Deux se sont entretués, Lorenzo est mort en combattant les Français, les deux derniers ont été assassinés.

-Je suis désolé, j’imagine que ton créateur était parmi eux ?

-Oui.

-Qui a bien pu faire ça ?

-Un vampire un peu trop rancunier.

-Alors, les vampires s’entretuent. C’est dingue !

-En principe, comme tous les grands prédateurs, on préfère s’éviter. Il y a ceux qui préfèrent vivre en famille auprès de leur reine et les itinérants, ceux qui se moquent des conséquences, ils sont les plus dangereux.

-Ils sont beaucoup ?

-En France, non. Ils ont très vite été écartés. Ceux qui n’ont pas fui la guerre ont été mis au pas… Comme moi.

-Alors, c’est ça ! Tu ne peux plus mordre parce que tu es une itinérante ?

-Entre autre, oui. Ma muselière appartient au monde de l’invisible. On ne peut pas la voir avec les yeux, mais je la sens, elle est là et elle me rappelle à l’ordre chaque fois que je ressens le besoin de me nourrir.

-Qui t’a fait ça, au juste ?

-Quelqu’un qui aime un peu trop tout contrôler. La directrice de l’école. Mais assez parlé de moi, parles moi un peu de toi.

-Quoi ?

-Tu ne me parles jamais de toi. J’aimerais te connaître un peu mieux moi aussi.

Évidemment, j’avais bien compris qu’elle souhaitait éviter tout sujet qui la ramenait vers son école où elle avait vécu des années horribles, reclus comme une condamnée. Je fis semblant de ne pas m’en rendre compte.

-Eh bien, comme tu l’imagines, j’ai vécu beaucoup moins longtemps que toi. Mes parents m’ont éduqué avec des valeurs chrétiennes. Mon père y tenait à cause de ses racines sud-américaines.

-De quel pays vient-il ?

-Guatemala. C’est un descendant des mayas, il a rencontré ma mère pendant qu’il étudiait en France. Il avait choisi la métallerie, comme moi. Il était assembleur monteur en atelier et parfois soudeur à l’électrode à ses heures perdues. Beaucoup plus difficile.

-C’est grâce à lui que tu as choisi le métal ?

-Je suis tombé amoureux du métal dès l’enfance. Un jour, quand j’étais petit, ma mère et moi étions venus le voir. Il y avait beaucoup de bruit, beaucoup de fumée et beaucoup d’étincelle, mais j’étais comme fasciné par l’ambiance que pouvait dégager un atelier. Chaque personne avait son poste comme dans une cuisine. Il y avait l’opérateur cisaille, le plieur, le mécanicien et enfin en bout de chaîne, celui dont tout dépendait, mon père l’assembleur. Tout le monde venait le consulter, car c’était lui qui savait le mieux comment procéder. Je crois qu’en fait, je voulais me sentir important pour quelqu’un, moi aussi. Par la suite, j’ai poursuivi d’autres rêves, mais ils étaient tous illusoires. Je crois que je n’étais simplement pas fait pour travailler dans un bureau. Et puis un jour, je ne sais pas comment, mais je suis revenu à mon premier coup de cœur. J’avais du retard à rattraper, mais je n’ai rien lâché, je me suis entraîné jusqu’à égaler le niveau de mon père. Grâce à ma détermination, je suis devenu soudeur. »

Mais alors qu’Isa écoutait attentivement mon histoire, je remarquai sur l’écran de l’ordinateur que nous consultions toujours la référence d’un ouvrage commandité par un riche marchand vénitien : L. Bertolucci.

« C’est lui ! Dit-elle.

-Malheureusement, ce livre fait partie des ouvrages classés « rares ». On ne peut pas le consulter et il n’a pas encore été numérisé.

Isa fronça les sourcils et réfléchit un instant.

-Tu te souviens de ce que je t’ai dit à propos de mon approvisionnement ?

-Oui qu’il te fallait du sang humain pour retrouver ta force d’antan. Mais tu as dit aussi que tu ne pouvais plus mordre.

-Effectivement, mais je peux toujours lécher.

-Pardon ?

-Écoute, ma muselière m’empêche de te mutiler comme le ferait Isabelle, mais en admettant que tu te coupes tout seul, comme lors de notre rencontre, par inadvertance et qu’une petite goutte se mettait à perler sur ton doigt… Je dis ça, je dis rien…

- Ah non !

-Alex, s’il te plait !

Elle commençait à se pencher sur moi, ce qui me forçait à reculer jusqu’à en tomber de ma chaise. Son ton mielleux devenait de plus en plus effrayant.

-Voyons Isa, je ne peux pas m’entailler volontairement, d’abord je n’ai rien de tranchant sur moi.

Elle ouvrit son sac et fit semblant d’être surprise d’en sortir ce qu’elle y trouva.

-Oh tien, mais qu’est-ce que ça fait là ça ? Le couteau que les policiers m’avaient confisqué, juste à côté de cette petite bouteille de désinfectant. Ça alors, comme le hasard fait si bien les choses !

-Isa, NON ! Et arrête de ronronner !

-Bon, écoute, je te propose un truc. Je pose ton doigt sur la lame, je te tiens la main et à trois je tire un coup sec. Ça te convient ? »

Face à autant d’insistance, je comprenais que je n’y couperais pas, si je pus me permettre l’expression.

« Alex, je ne comprends pas, tu t’es coupé des centaines de fois dans le cadre de ton travail, comment peux-tu redouter un simple couteau ?

-C’est différent Isa, l’activité physique et le stress réduisent la douleur, la plupart du temps je ne m’en aperçois qu’à la fin de la journée.

-Allez, montre-moi que tu es un homme ! Je serai très douce, je guérirai ton doigt une fois que j’aurai le livre.

-Ça va, ça va, tu as gagné. C’est d’accord, on fait comme t’as dit. Je pose mon doigt et à trois tu tires.

-À la bonne heure ! »

Discrètement, je cachai le couteau derrière un livre. Comme elle l’avait dit, elle m’agrippa l’avant bras et se préparait à faire le mouvement qui déciderait de l’avenir de mon doigt. Moi je priais pour qu’il soit toujours en place lorsqu’elle aurait terminé.

« Tu es prêt ? Je compte, à trois : 1…3 ! »

Et lorsque retentit ce « trois », je lâchai le plus gros juron qu’il m’ait été donné de proféré au point que j’en aurais, je pense, bouleversé un charretier. Elle m’avait bien eu. Elle m’avait fait croire qu’elle allait respecter le décompte, mais tira mon bras au moment où je m’y attendais le moins. Je hurlais, je jurais, troublant le silence de la bibliothèque

Isa se dépêcha de prendre ce dont elle avait besoin. Elle reprit son couteau, puis emporta mon téléphone, je vis alors ses yeux briller et ses crocs sortir, probablement par instinct, pendant qu’elle disparaissait. Elle me lança :

« Tâche de gagner du temps je reviens ! »

Un jeune employé vint presque aussitôt à mon aide.

« Oh mon Dieu, monsieur, mais que vous est-il arrivé ? Demanda-t-il.

-Je me suis coupé sur une page, ça me parait évident !

Il inspecta le livre que j’avais utilisé pour dissimuler l’arme d’Isa.

-Dieu soit loué, le livre n’a rien.

-Vous m’en voyez rassuré, c’eût été dommage en effet, ajoutai-je ironiquement. Je suis à jour dans mes vaccins pour le cas où ça vous intéresse.

-Ah oui, excusez-moi ! Tenez, comprimez avec ça, je vous emmène, on va vous trouver un pansement. »

Il me tendit un mouchoir en papier que je m’empressais d’utiliser pour stopper le saignement après avoir désinfecté mon doigt.

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