Chapitre 4 Les liaisons douteuses

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La nuit passait et je commençais à fatiguer. Isa mis fin à la conversation et suggéra de prendre du repos pendant qu’elle veillerait à mon chevet.

« Tu as vraiment été la nourrice de ma mère ? Lui demandai-je.

-Bien sûr. Je l’ai vu enfant, je l’ai vu grandir et j’ai dû partir pour raisons personnelles.

Après une brève toilette, j’étais disposé à dormir pour mieux reprendre notre conversation le lendemain. Mais alors que je me blottissais sous ma couverture, je remarquais que mon invitée restait immobile à me fixer dans le noir.

-Tu comptes me regarder dormir toute la nuit ?

-C’est gênant ?

-Un peu oui.

-Je suis désolée, je ne dors pas la nuit.

Le plus gênant était surtout ses yeux de loup qui brillaient d’un bleu puissant et me fixaient dans le noir. Un simple reflet de lune sur son visage suffisait à les révéler et à faire rejaillir tout l’éclat. Deux magnifiques pierres de turquoise brillantes parfaitement disposées derrière quelques mèches blondes. Ces yeux là avaient dû ensorceler bien des hommes. Leur pouvoir hypnotique m’empêchait de trouver le sommeil.

-Je n’arriverai pas à dormir si tu continues à me fixer comme ça. Pourrais-tu trouver une occupation pendant au moins six heures ?

-Une occupation ?

-Il y a de la lecture, des jeux vidéo, des DVD. Choisis ce qui te chante tant que c’est en silence et loin de mon lit. »

Elle resta perplexe pendant un instant, le temps d’examiner mon ordinateur portable. Je réalisai que cela devait être la première fois qu’elle en voyait un. Je fis alors l’effort de lui allumer et d’y brancher le casque. Après quelques minutes, je pus constater que j’avais été bien inspiré. La technologie d’aujourd’hui a bien été étudiée pour être la plus intuitive possible, car si même un vampire du dix-neuvième est en mesure d’apprendre à s’en servir, plus rien n’est impossible. Les yeux de loup avaient trouvé leur maitre. Ils ne pouvaient plus en décrocher. Le pouvoir d’attraction d’un écran était donc supérieur à celui du regard d’un vampire, quelle ironie !

Au cours de la nuit je fus réveillé plusieurs fois. Inconsciemment je pense que je voulais vérifier que tout allait bien. C’est peut-être normal de faire de l’insomnie quand on dort à moins de trois mètres d’un super-prédateur. Isa était toujours là, lisant inlassablement des nouvelles de notre monde moderne. Les fiacres avaient laissé place aux voitures et les HLM avaient remplacé les vieux quartiers. Je la voyais parfois du coin de l’œil, se retenir de rire, était-elle passée aux vidéos de chats ? Allez savoir. Plus tard dans la nuit, je la vis adopter une expression de colère mêlée à de la frustration pendant que les lumières de l’écran scintillaient vivement. Je me suis dit en moi-même : « Ah ! Elle a trouvé Battlefield ! Elle apprend vite. »

Le lendemain, alors que les premiers rayons du soleil pénétraient péniblement dans ma chambre entre deux rideaux, j’ouvris lentement une paupière, puis remarqua que le visage d’Isa était très proche du mien. Par conséquent, je sursautai avant de tomber du lit et de m’emmêler les deux pieds dans ma couverture.

« Oh bordel ! M’écriais-je, qu’est-ce que tu allais faire !

-Du calme, je voulais juste voir si tu dormais toujours.

-C’est vrai, c’est sûr ? Rien d’autre ?

À ce moment ma diction n’était pas encore très claire, j’avais le cœur qui battait la charge et je me tenais le cou par réflexe, tout en tremblant.

-Ne t’inquiètes pas, j’ai été bien élevée… Tu n’as tout de même pas cru que j’allais te…

-J’avoue que l’idée m’a traversé l’esprit.

-Tu me vexes, ce n’est pas le genre de la maison.

-Désolé, c’est juste… On m’avait dit de faire attention.

-Je peux comprendre ça. Bon puisque tu es réveillé, on pourrait peut-être déjeuner ensemble ? »

Ce n’était pas une mauvaise idée, j’avais moi-même très faim. En revanche, je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais donner à manger à quelqu’un comme elle. Mangeait-elle comme nous ? Possible, mais son comportement ressemblait un peu trop à celui des félins. Elle guettait, mâchouillait, griffait et était plutôt tactile dans son genre. Peut-être voulait-elle laisser quelques phéromones chez les gens avec qui elle se sentait bien. Tout comme mon chat le faisait chaque matin, elle était venue près de mon visage pour réclamer sa nourriture. À cette pensée, je me suis rappelé que j’avais un chat avant qu’elle ne débarque dans ma vie.

« Tybalt !

-Pardon ?

-Mon chat ! Je ne l’ai pas vu depuis hier soir, tu ne l’as pas… ?

-Mangé ? Non. Trop maigre.

-Ne plaisante pas, il doit bien être quelque part.

-Une plaisanterie ? Hem, ton chat se trouve dans la cage d’escalier, deux étages plus haut, je peux l’entendre d’ici. »

Nous quittâmes l’appartement à la recherche de la pauvre bête. Sa localisation était exacte. Mon chat avait eu peur de l’inconnue aux cheveux blonds et avait préféré me laisser me débrouiller seul avec elle. Alors que j’envisageais l’idée de le réprimander, Isa m’arrêta :

« Ne lui en veux pas, les animaux ont du mal avec moi. »

C’était peut-être vrai ces histoires d’animaux qui ressentent le danger. Mon chat avait-il vraiment senti la présence d’un prédateur ? Pouvait-il vraiment faire la différence entre un être humain normal et un buveur de sang ? Mystère. Mais si vampires et chats étaient de lointains cousins, peut-être qu’il n’était pas impossible de les faire s’entendre. Mis à part la lévitation et le venin anesthésiant, ils avaient globalement les mêmes dons pour la prédation. Pourtant, il suffisait que j’approche mon chat d’Isa pour que celui-ci hérisse le poil. Et aux feulements, Isa répondait en sortant ses crocs et en faisant briller ses yeux.

« Cette petite bête sera de meilleure humeur une fois que je lui aurai donné son repas. À propos, qu’est-ce que tu prends le matin ?

Malheureusement je n’eus pas le temps d’entendre la réponse. À peine eût-elle ouvert la bouche que le contenu d’un seau d’eau se déversa sur nous.

Derrière moi, se trouvait ma mère, cette brave femme, munie de son crucifix.

« Alex, écartes toi d’elle s’il te plait. Dit-elle.

-Moi aussi Élisa, je suis ravie de te revoir, répondit Isa en recrachant de l’eau.

-Maman ! C’est pas ce que tu crois ! »

Ma mère posa un Ostie sur le front d’Isa qui ne jugea pas utile de l’en empêcher. Elle continuait de fixer ma mère d’un regard blasé, les cheveux trempés, pendant qu’elle était occupée à réciter un Notre Père. Lorsqu’elle eut fini, Moi et mon chat, nous regardâmes avec anxiété ce qui allait se passer. Après un long silence, Isa releva lentement la tête puis cracha le restant d’eau, qu’elle gardait dans sa bouche, sur ma mère. Devant l’absurdité de ce qui venait de se passer, Isa éclata de rire et sauta dans ses bras.

Après quelques explications devant un déjeuner, il se trouve que ma mère craignait qu’Isa ne soit revenue pour assouvir une quelconque vengeance sur sa progéniture. Elle était au courant depuis longtemps que ma grand-mère avait fondé un refuge pour vampires égarés. Isa était perdue et rejetée par ses congénères. C’était une adolescente rebelle jugée incontrôlable. Elle avait besoin d’être encadrée par une famille qui prendrait soin d’elle le temps de son sevrage. Malheureusement la guerre n’a pas épargné les vampires. J’appris par ma mère que les vampires de France avaient presque tous disparus. Les Allemands ayant eu vent de leur existence s’étaient débrouillés pour les éliminer. Il était donc possible de tuer un vampire par le feu, la décapitation, ou encore une balle bien placée. Mais dans toutes circonstances, la tête était le point faible et non pas le cœur. En revanche, l’eau bénite et les crucifix restaient sans effet. Ma mère venait d’en faire l’expérience, Isa n’était pas un démon. Il fallait plutôt la voir comme une évolution avancée de l’être humain. Un chaînon manquant entre l’homme de Neandertal et Cro-Magnon.

À la pseudo-cérémonie d’exorcisme, succéda de joyeuses retrouvailles. Isa, qui avait toujours les cheveux mouillés, fut intarissable sur l’enfance de ma mère. Ma mère faisant ses premiers pas, ma mère allant à l’école, ma mère en vacances,… toutes ces images arrivaient dans ma tête au fur et à mesure qu’Isa les évoquait.

« Élisa, je te demande pardon d’être partie sans donner de nouvelles. Je t’assure que je ne vous ai jamais voulu de mal, ni à toi ni à ta famille.

-Moi je te demande pardon pour l’eau bénite, mais pourquoi tu ne m’as pas appelée ?

-C’est que, j’ai un peu de mal avec les nouveaux téléphones. Je me suis réveillée quand j’ai reconnu ton odeur sur ton fils.

-Non ! Tu veux dire que tu sors d’hibernation ? Mais depuis combien de temps ?

Visiblement ma mère était plutôt à l’aise avec le sujet, mais je me demandais pourquoi ce n’était pas mon cas.

-Maman, pourquoi tu ne m’as jamais parlé des vampires ?

-Comment aurais-tu voulu que je te l’annonce ? Ton père m’aurait fait interner. Tous les vampires que ta grand-mère protégeait se sont enfuis pendant l’occupation. Isa fut la dernière à être restée, je te l’ai déjà montré en photo, tu ne t’en souviens pas ? »

Ma mère sortit une vieille photo de son portefeuille, datant des années 50. Je pouvais effectivement reconnaitre ma grand-mère jeune, ainsi que ma mère âgée d’environ dix ans et à côté d’elle, c’était bien Isa. Elle était coiffée et habillée différemment d’aujourd’hui, mais son visage n’avait pas changé.

« J’ai été blessée, affirma Isa, j’ai eu des problèmes il y a quelques décennies. J’ai dû prendre du repos pour m’en remettre. Est-ce que l’école vampirique existe toujours ?

-Il y a une école pour les vampires ? M’exclamai-je.

-Non, elle a fermé depuis longtemps tu sais bien, répondit ma mère.

-Oui, je sais ! Elle a fermé avant la guerre. Je veux dire par là : est-ce que les bâtiments sont toujours en place, ou ont-ils été détruits ?

-À ma connaissance, ils n’ont jamais été rachetés, les lieux sont condamnés. La dernière fois que je m’y étais rendu, ils étaient délabrés, mais toujours debout.

-Tant mieux, je vais devoir y faire un saut, il y a quelque chose que j’aimerais récupérer là-bas. Ensuite, j’aurais besoin d’aller à Paris.

-Tu cherches un trésor ?

-Le saint Graal des vampires.

-Je ne suis pas en mesure de t’y conduire moi-même, pourquoi tu ne demandes pas à…

Avant que ma mère n’ait le temps de terminer sa phrase, Isa mis son doigt sur sa bouche et murmura en direction de son oreille.

-J’aimerais éviter que « qui tu sais » soit au courant de mes recherches, vois-tu. »

Ces petites cachotteries avaient le don de m’agacer. J’en savais déjà trop et je brulais d’en savoir plus, peut-être aurait-il été plus sage de reprendre ma vie normale, mais j’étais aussi conscient que l’exaltation suprême ne se vivait qu’une seule fois. Aussi, je ne pus retenir ces mots :

« Moi, je t’accompagnerai ! »

Mais derrière l’exaltation, il y eut le malaise. Isa et ma mère étaient stupéfaites et me regardaient avec des yeux ronds.

« Tu sais, mon chéri, être un serviteur des vampires n’est pas de tout repos. Ta grand-mère l’a fait pendant plus de dix ans et il lui a fallu beaucoup de courage.

-Je suis en fin de mission, je peux y arriver.

-Non, tu ne comprends pas, il va falloir prendre soin d’elle, la nourrir, te relever la nuit pour l’aider dans ses sorties nocturnes. Tu vas devoir vivre dans le noir, faire attention aux animaux, la protéger pendant qu’elle dort, trouver des donneurs de sang, sinon te laisser mordre. Tu n’auras plus une minute à toi. D’autant plus qu’Isa n’est pas comme les autres… »

Ma mère hésita un instant puis regarda Isa

« Je peux le dire ? Demanda-t-elle. »

Isa hocha la tête

« Isa est une reine.

-Comment ça une reine ? Les vampires ont une monarchie ?

-Disons plutôt qu’ils fonctionnent comme des colonies d’abeilles. Les reines assurent le renouvellement de l’espèce, c’est pourquoi elles sont convoitées dans le monde.

-Tu veux dire que seules les reines vampires peuvent transformer les humains en vampires ?

-Exactement. Et Isa est l’une des dernières de France.

-Mais pourquoi est-ce qu’elle n’en crée pas d’autres ?

-Impossible ! Une reine ne peut créer d’autre reine. Répondit Isa.

-Mais alors qui t’a créé toi ?

Isa hésita à répondre à cette question. Elle et ma mère se regardèrent pendant quelques secondes

-Mon créateur est décédé.

-Je suis désolé.

-Ce n’est rien. C’était il y a longtemps. Le problème est qu’il était le seul à pouvoir créer d’autres reines. Il appartenait à une race ancienne que l’on avait coutume d’appeler « les seigneurs ». Les plus anciens vampires à avoir marché sur la Terre. Et malheureusement, nous, leurs enfants, nous ignorons d’où ils venaient. »

Ainsi, les vampires et les humains avaient pour point commun de ne pas encore avoir percé le mystère de leurs origines. En résumé, les jeunes vampires étaient tous créés par une reine, qui elle-même était engendrée par un seigneur. Mais pour créer d’autres vampires, il fallait beaucoup d’énergie. Les abeilles avaient leur gelée royale, les vampires n’avaient que le sang humain. La difficulté qu’ils éprouvaient à s’en procurer expliquait pourquoi ils étaient en voie d’extinction. Sans lui, ils ne pouvaient exploiter leur plein potentiel. Comme Isa l’avait expliqué, le sang animal leur permettait juste de survivre, tandis que le sang humain leur donnait l’énergie dont ils avaient besoin pour se reproduire et protéger leur progéniture. Nous, humains avions une importance vitale. Sans nous, ils étaient perdus. De plus, lorsqu’un jeune vampire était transformé, il n’avait que quarante-huit heures pour se nourrir, sans cela il redeviendrait mortel et ne pourrait plus jamais se retransformer.

Ma mère me prit à part :

« Tu es adulte, si tu désires la suivre, je ne peux pas t’en empêcher, mais fais tout de même attention.

-Ne t’inquiètes pas maman, je ne pense pas qu’elle soit dangereuse.

-Non, je veux dire, fais attention à elle, qu’il ne lui arrive rien. Elle peut se montrer parfois imprudente.

-Je ne la quitterai pas des yeux.

Ma mère versa une larme, puis me serra dans ses bras. J’étais un peu gêné qu’Isa assiste à la scène, mais qu’importe.

-Bon, puisque c’est comme ça, prends ma carte bancaire, achètes ce dont elle a besoin en vêtements. Je prends Tybalt avec moi.

-Je peux avoir l’Audi ?

-Mmmh… Non ! Tu prendras le train jusqu’à Montparnasse, ensuite tu réserveras une chambre d’hôtel.

-Une seule ?

-Oui, Isa ne dort pas. Hé ! Pas de bêtises hein ? N’oublies pas qu’elle a trois fois mon âge.

-Évidemment, ça ne m’était pas venu à l’idée !

-Mmpf… Ah oui, si jamais elle s’excite, donnes lui de l’absinthe, ça va la calmer de manière radicale, mais pas trop, il y a des effets secondaires.

-Compris. »

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