Chapitre 1 Une mystérieuse inconnue

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Pour moi comme pour beaucoup de gens, le monde se résumait à l’expérience sensorielle. Je voyais, je sentais et j’entendais, alors je me disais « ça est ! ». J’avais une totale confiance en mes cinq sens et j’étais loin d’imaginer que mon propre cerveau pourrait me mentir. Pourtant, il suffisait qu’une vitre soit bien nettoyée pour que je la percute, ou qu’un son soit trop strident pour que je ne l’entende plus, mais qu’importe. Au-delà de notre champ de perception, il y avait ce que j’appelais « le monde invisible ». Ma grand-mère me racontait parfois des histoires datant de l’époque où elle avait mon âge. Elle prétendait avoir été en contact direct avec des personnes ayant accès au monde invisible. « Qui sont ces personnes, lui demandai-je alors, où sont elles maintenant ? - Le jour venu tu les rencontreras, me disait elle, elles ne manqueront pas de venir à toi. » Elle les appelait tantôt « les immortels » ou encore « les témoins du passé », bien sûr je me doutais qu’elle ne parlait en aucun cas d’académiciens, ou de gens célèbres, mais je voyais plutôt dans son témoignage l’idée qu’elle se faisait de survivants d’une époque qui l’avait marqué. Des miraculés qui auraient maintes fois échappé à la mort.

Je suis Alexandre Perez, j’ai trente ans, je vis seul en province dans un appartement de banlieue. Régulièrement, je travaille comme intérimaire en métallerie. Ce n’est pas toujours facile, mais cela paye bien. Le bricolage comme beaucoup de choses repose sur des principes physiques. La matière se déforme selon sa densité et la fusion s’opère selon l’énergie transmise. J’aimerais que ce soit aussi simple avec les individus. Mais le fait est que les lois de la physique sont impuissantes sur les relations. Tout ce qui lie les êtres appartient encore une fois au monde invisible. J’avais entendu des histoires à propos des énergies, de l’existence de l’âme, ou de la vie après la mort. En moi-même j’avais envie d’y croire, mais une partie de moi me disait de rester méfiant vis-à-vis des « on dit ». Beaucoup de légendes ayant un fond de vérité trouvaient une explication scientifique avec le temps. C’était ce qui me permettait d’affirmer que le surnaturel d’aujourd’hui deviendrait le naturel de demain. Je crois que c’eût été la meilleure formule pour décrire le changement qui eut lieu au cours de mon ancienne vie.

Je me souviens de ce jour-là. Les sons, les odeurs dans l’air, les lumières de la ville. Comme tous les vendredi soir, je décidais de sortir pour décompresser. Je n’étais pas du genre à faire la tournée des bars, je laissais cela à la nouvelle génération. Il me fallait une atmosphère moins pesante. Je m’étais découvert une passion naissante pour l’infographie, alors, afin de trouver l’inspiration, je prenais des photos de tout ce que je pouvais. Motifs, textures, architecture, ciel, tout était bon à prendre pour quelqu’un qui n’aimait pas dessiner. Tout, sauf les individus.

Alors que je m’apprêtais à rentrer chez moi, je ressentis soudain un étrange frisson. Le même type de sensation qui vous met mal à l’aise lorsque vous vous savez observé. Il y avait quelqu’un derrière moi et mon instinct l’interprétait comme une menace potentielle. Reprenant mon sang froid, je gardais mon calme et décidai de rejoindre la foule. Telle la brebis ressentant la présence du loup, la recherche du groupe est un réflexe profondément ancré. Dans le pire des cas, il me restait l’option du combat et enfin celle de la fuite, mais avant cela, il était plus raisonnable d’identifier mon prédateur. Je serrais ma clé toujours au fond de ma poche et j’envisageais de m’en servir comme arme improvisée. Mes amis me conseillaient de viser la gorge, voire les yeux. Moi, j’étais prêt à essayer les deux, pour les conséquences on verrait plus tard.

Fort heureusement, ce ne fut pas nécessaire. À ma grande surprise, la personne qui me suivait était une jeune fille. À première vue, elle semblait plus jeune que moi. Je lui aurais donné vingt ans à peine, tout au plus. Blonde, cheveux longs, taille moyenne, petite jupe plissée et manteau redingote évoquant les uniformes des grenadiers d’autrefois. Peut-être était-elle une étudiante perdue.

Que me voulait-elle ? De l’argent ? Constatant son style vestimentaire elle ne semblait pas en avoir besoin. Cherchait-elle une aide quelconque de ma part ? Malgré le fait que j’accélérais le pas, elle me suivait toujours. J’abandonnais alors toute méfiance et décidai de lui poser directement la question.

« Avez-vous besoin de quelque chose ? Lui demandai-je alors.

Elle sembla surprise par mon initiative et bredouilla quelques paroles maladroites. Sur le moment, j’eus peur de m’être laissé entrainer par mes angoisses et de l’avoir abordé pour rien.

-Comment ? Vous voulez dire que vous saviez que j’étais derrière vous ? »

À cette question je dois dire que je me retrouvais moi-même perplexe. À aucun moment je ne m’étais retourné, ni ne l’avais entendu, pourtant, pour je ne sais quelle raison, je la savais derrière moi.

-Qui êtes-vous, pourquoi me suivez vous ?

-Je vous demande pardon si je vous ai fait peur, c’est juste que je voulais faire votre connaissance. Je suis sûre de vous avoir déjà vu.

À l’évidence sa manière de s’exprimer semblait dater d’un autre âge. Son parler ne ressemblait en rien à celui des jeunes de la région. J’envisageais l’idée qu’elle puisse être de bonne famille, à cheval sur l’éducation et les bons mots.

-D’où me connaissez vous ? Lui demandai-je.

-Vous allez trouver cela grotesque, mais je suis une amie de madame votre mère, j’ai également connu votre grand-mère.

Techniquement c’était possible, ma grand-mère avait vécu jusqu’en 2001. Quant à ma mère, il lui arrivait parfois de côtoyer des jeunes.

-Quels rapports entreteniez-vous avec ma mère au juste ?

-J’étais sa nourrice ! »

Ces derniers mots avaient fini d’achever ma crédulité momentanée. Je soupçonnais alors une éventuelle caméra cachée organisée par des étudiants en manque d’inspiration ou un quelconque canular. Afin d’y mettre fin au plus vite, je pris résolument mon téléphone et appelai ma mère afin de lui faire part de ma rencontre avec cette fameuse « nourrice ». Mais lorsque que j’eus abordé la question avec elle, son ton changea du tout au tout et elle me demanda une photo. Bien entendu je m’attendais à ce qu’elle le prenne sur celui de la plaisanterie, mais elle fut prise par le doute après qu’elle m’eut demandé le nom de la jeune concernée.

« Isa » me répondit celle-ci.

Après avoir entendu ce nom de sa bouche, ma mère me lança des instructions claires :

« Rentre chez toi, fermes tes rideaux, prend ton katana, barricade toi dans ta chambre et ne la laisse pas y entrer, sous aucun prétexte, tu m’entends ! »

Je signifiai à ma mère que sa réaction me paraissait quelque peu exagérée et que par ailleurs, mon katana, chose qu’elle avait toujours détesté, n’était qu’une imitation non tranchante. Elle marqua un silence puis me lança ces derniers mots.

« Ne bouge pas, j’arrive ! »

Que ma mère prenne la peine de se déplacer en pleine nuit pour venir me voir, c’était déjà beaucoup. En revanche, j’avais du mal à comprendre le sens des précautions qu’elle me recommandait d’adopter face à cette jeune fille qu’elle semblait finalement connaitre. Mais je convenais qu’elle s’était peut-être un peu emportée et connaissant mon père, il aurait tôt fait de la dissuader de prendre la route tard le soir. Un SMS vint confirmer mon hypothèse et me conforta dans l’idée de ne pas trop prendre au pied de la lettre les instructions que je venais de recevoir.

Voyant que ma nouvelle « amie» s’efforçait de me montrer son plus beau visage d’ange, je fus tenté d’accéder à sa requête en lui offrant l’hospitalité dans mon modeste appartement. Proposition à laquelle elle répondit : « D’accord ! »

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