Chapitre 2 Mauvais sangs

7 minutes de lecture

Sur le chemin du retour, je pensai à la réaction étrange de ma mère. Y avait-il un fond de vérité dans cette histoire de nourrice ? Je ne connaissais pas grand-chose du passé de ma famille, mis à part les grandes lignes. Ma génération était principalement tournée vers l’avenir, on se disait que le vingt et unième siècle serait l’ère de la paix. Nous étions jeunes et remplis d’espoir, tandis que les meilleures années de ma mère étaient derrière elle. En moi-même, je savais que ma grand-mère avait dû élever ma mère seule. Le traumatisme laissé par la guerre l’amena surement à s’inventer une vie imaginaire peuplée d’amis immortels. Une vie où mon grand-père serait toujours vivant. Elle se mit à la peinture et passa le restant de sa vie à représenter son monde invisible, tel qu’elle aurait voulu le voir.

À cette pensée, il me vint une idée. J’avais envie de tester quelque peu mon inconnue pendant qu’elle marchait derrière moi.

« Selon vous, vous seriez liée à ma famille depuis longtemps, que savez-vous à notre sujet ?

-Je sais que vous êtes originaires de Normandie, votre famille habitait autrefois sur Deauville. »

Sur ce point je devais bien admettre que c’était rigoureusement exact. Cependant, je voulais rester impassible afin d’en apprendre plus. Elle continua alors :

« Votre grand-mère était la fille d’un pharmacien. À 17 ans, elle voulait être actrice. Elle profitait de la proximité du casino pour se rapprocher de la haute société. En ce temps-là, les plus grands acteurs du moment venaient de Paris pour profiter des bains. »

À ce moment-là je devais reconnaître qu’elle m’avait donné des détails que j’ignorais. Peut-être avais-je affaire à la plus grande mythomane que la Terre ait portée, ou peut-être avait-elle fait des recherches avant de me rencontrer. Mais, je voulais toujours en savoir plus.

« Un peu avant la Guerre, elle est entrée en contact avec les nôtres.

-Les vôtres ? Répétais-je.

-Oui, ceux qui voient l’invisible. »

Inutile de vous dire combien elle avait piqué ma curiosité. Ma grand-mère croyait fermement à l’immortalité et aux choses invisibles. Elle prenait souvent le vent comme élément de comparaison. Celui qui agite les mers, déracine les arbres, abat les maisons, érode les montagnes, personne ne l’avait jamais vu. Le vent était de ceux là. Quels étaient les autres ? Mystère, elle prétendait avoir eu l’occasion de les voir, mais personne ne l’avait jamais prise au sérieux. Tout ceci n’était au mieux que le vestige d’un ancien folklore oublié.

Nous passions le pas de la porte, puis, je la fis entrer dans mon humble demeure. À première vue, « humble » semblait le mot juste. Mais je crois que « modeste » était celui qui me venait à l’esprit à seconde vue,… ainsi qu’à la troisième. Mais apparemment il en fallait plus pour effrayer la demoiselle. Elle ne semblait même pas éprouver la moindre angoisse à l’idée de se retrouver seule avec un homme plus âgé dans une pièce exigüe et cette assurance me déconcertait profondément. Je repensais alors aux instructions de ma mère. Devais-je vraiment me protéger de cette fille apparemment inoffensive ? Et si elle avait été armée, j’aurais eu l’air malin avec un katana de décoration. Ma mère ne serait pas là avant demain. J’avais donc toute la nuit pour percer le mystère de l’inconnue aux cheveux blonds.

Pendant qu’elle accrochait son manteau à mon perroquet, je lui demandai comment elle pouvait en savoir autant sur la jeunesse de ma grand-mère. Elle répondit :

« Je suis plus vieille que j’en ai l’air »

Afin de l’inciter à parler, je lui proposai alors un rafraichissement, mais je dus renoncer à cette idée après qu’elle m’eut fait comprendre d’un signe qu’elle ne voulut rien boire. Pendant que je me servais un verre de soda, elle s’assit sur mon lit et commença à me fixer avec autant de subtilité qu’une gargouille au pied d’une cathédrale. Alors que la situation devenait de plus en plus malaisante pour moi, je voulus briser la glace en lui proposant l’usage du tutoiement, chose qu’elle accepta. Je lui demandai ce qui la poussait à croire qu’elle eut pu connaitre ma grand-mère durant la Belle Epoque et pour être franc, je m’attendais à ce qu’elle me parle de réincarnation, où d’autres choses de ce genre. Mais ce qu’elle me répondit me fit l’effet d’une douche froide :

« Je suis un vampire. »

Sur le moment je bus de travers et manquai de m’étouffer. Pendant que je recrachais ma boisson par le nez, elle montra quelques signes d’inquiétude alors que je me noyais dans mon verre. Mais tout au long de la conversation, elle restait de marbre, me fixant de ses beaux yeux bleus, inlassablement. Au passage, je dois dire que son regard était envoûtant et intimidant à la fois. Il suffisait de la regarder dans les yeux pour ne plus pouvoir en décrocher. Mais il fallait que je me reprenne, car je n’étais pas encore convaincu par son histoire. Ne sachant pas vraiment de quelle manière je pouvais aborder le sujet élégamment, je mis la bienséance de côté et la lança directement dessus :

« Alors, comme ça, t’es un vampire ?

-C’est bien ce que je viens de dire.

-Et tu le vis comment ? C’est cool ?

-Je fais avec.

-Et tu as des dents ?

-Bien sûr.

Réalisant la stupidité de ma question, je réfléchis un instant et je me dis que si cette personne pensait réellement être un vampire, elle n’aura eu qu’à se faire poser des prothèses dentaires. Voulant en avoir le cœur net, je reformulai ma question.

-Je veux dire par là tu as des vrais crocs de vampire ?

-C’est un peu gênant, je n’aime pas trop les montrer.

-Ben voyons ! »

En la provoquant un peu je me disais que j’arriverais à la confondre dans son imposture. Elle serait forcée de me laisser inspecter sa dentition et j’aurais mis fin à son délire.

Devant mon insistance, elle s’exécuta. Elle commença par se mordiller la lèvre inférieure, puis à l’aide de son doigt, retroussa une partie de sa lèvre supérieure. C’est alors que je vis une canine particulièrement aiguisée apparaitre. Ce qui se passa ensuite défiait l’entendement. Sa dent pointue s’allongea sous mes yeux pour gagner au total deux bons centimètres de longueur. J’eus d’abord un réflexe de recul face à ce phénomène. Puis, je lui fis signe de ne pas bouger pendant que j’inspectais de plus près la capacité de cette dent à être rétractile. Avec le bout de mon doigt, je cherchais une éventuelle liaison entre sa vraie dent et une prothèse, mais malgré mes investigations, il fallut bien reconnaitre qu’il n’y avait rien. Cette dent longue était bien la sienne. Elle prenait racine dans la gencive et était constituée d’un assemblage d’ivoire et d’émail comme n’importe quelle dent au monde. Elle avait cependant quelque chose en plus : elle était tranchante comme un rasoir. Autant admettre qu’une quenotte de cette taille était parfaitement taillée pour la viande crue. Malheureusement, je l’ai appris en en faisant l’expérience. Il eut suffit que j’en effleure la pointe pour que je m’entaille une phalange. Je repris alors mon pauvre doigt meurtri et le serrais à l’aide de ma main gauche.

À la vue de mon sang, elle paniqua et se confondit en excuses, les larmes aux yeux. Il faut dire qu’il y avait de quoi affoler, l’entaille était relativement profonde et le sang qui en coulait ne semblait pas vouloir s’arrêter. Elle prit alors ma main et d’un signe, tenta de me rassurer par rapport à ce qu’elle projetait de faire. Elle mit mon doigt dans sa bouche, et cela malgré mes objections puis commença à lécher la plaie. Oui, c’était plutôt embarrassant à voir et je vous assure que j’aurais voulu y échapper, mais je crains que c’eût été impossible. Effectivement, elle fit le vide dans sa bouche et pendant qu’elle retenait mon autre main avec les siennes, aspira mon doigt de toutes ses forces.

Cependant, après un bref instant de panique, je constatai avec effroi que je ne sentais plus mon doigt. Le reste de mon corps était comme paralysé, glacé, mon doigt, lui semblait avoir disparu. Que lui était-il arrivé ? L’avait-elle mangé ? Tout comme mon rationalisme.

Heureusement non. Elle finit par me libérer et je tombai, à bout de force, à ses pieds. Elle me prit dans ses bras et essaya de me relever.

« Toutes mes excuses, je n’ai pas pu m’en empêcher ! Je ne pouvais pas te laisser saigner par ma faute. Ne dis rien à ta mère je t’en prie !

-Bordel mais c’était quoi ça ?

-J’ai guéri ton doigt, mais je t’ai anesthésié.

-Comment ! »

Lorsque je pus enfin bouger, je dus bien me rendre compte que la plaie avait cicatrisé, ne laissant qu’une différence de ton sur ma peau. C’était miraculeux, même si je ne sentais toujours pas mon doigt.

J’avais entendu parler d’animaux hématophages possédant une salive aux pouvoirs similaires, mais je ne pensais pas un être humain capable de développer une compétence comme celle-ci. À l’instar des moustiques et de certaines chauves-souris et poissons, la salive de cette femme avait un pouvoir anesthésiant.

C’était donc vrai, cette femme était bien un vampire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire PubliusScipio ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0