04 - Une mer d'écailles

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18e jour de la saison du soleil 2448

- Non! hurla Azéna. Je ne te laisserai pas t'enfuir!

La jeune dragonnière serra son arc et se mit à courir en direction de la maison voisine. Dans la folie de l'adrénaline, elle sauta.

- Azéna! cria Sérus à son tour. Arrête-toi!

Au rebord du toit, il fixa sa sœur adoptive avec effroi alors qu'elle réussit son saut de justesse et continua sa course pour disparaître dans la noirceur de la nuit que pour ne réapparaître qu'à la lumière des lampadaires.

- Bordel de merde de fillette sans raison, cracha-t-il en se préparant à son tour à sauter.

Il ne réussit pas à rattraper Azéna, mais il put la traquer en suivant les lampadaires et les sons des flèches qu'elle tirait. Sa sœur adoptive jeta un coup d'œil rapide de temps en temps en sa direction pour s'assurer qu'il ne lui ait rien arrivé.

Après quelques sauts de toit en toit, il s'arrêta pour reprendre son souffle et, enfin, l'intrus fit demi-tour.

La créature exécuta un croc-en-jambe en passant à côté d'Azéna qui s'effondra lourdement sur un toit. Il s'arrêta pour observer la jeune femme se relever avec fatigue, puis il posa son regard intimidant sur Sérus. Il s'élança et sauta sur la petite maison sur laquelle se trouvait le jeune homme. Sérus dégaina son épée et eut tout juste le temps de balancer son arme avant que son ennemi ne l'atteigne.

Un rugissement bestial déchira la nuit comme le tonnerre.

L'intrus se figea au dernier instant et la cime de l'épée lui écorcha légèrement le haut du torse. Sa cape se fendit, créant une ouverture. Sérus déglutit avec misère. Ses yeux écarquillés braqués sur l'entaille, il n'osa pas lever le regard. Azéna approcha de derrière; elle ne voyait pas l'horreur que son frère avait devant lui.

- Qu'est-ce qui ne va pas? cria sa sœur. Défends-toi. Qu'est-ce que tu fais?

Sérus retrouva son courage et balança son épée à nouveau. La créature esquiva son coup en roulant sur le côté.

Soudainement, Azéna sauta en bas de la maison.

- Azéna! hurla Sérus complètement paniqué par la pensée que sa sœur adoptive puisse s'être tuée dans la chute.

Un instant passa.

Une mer d'écailles argentées s'éleva d'où la dragonnière était tombée. Deux yeux féroces d'un améthyste liquide fixaient Sérus. Des muscles puissants permettaient à l'énorme dragon de se tenir en altitude devant lui. À chaque battement d'aile, un souffle ébouriffait légèrement les cheveux du jeune homme. Tyrathralent retroussa sa lèvre supérieure, révélant ses énormes dents qui l'empêchaient de complètement fermer la bouche. Sur son dos se tenait Azéna encore un peu surprise de l'apparition soudainement de son dragon.

- Merci, dit-elle. Mais, j'étais capable de me débrouiller seule.

- Têtue, répliqua Tyrath. Une chance que je suis rapide et que j'ai pu amorcer ta chute. Tu as sauté un peu trop tôt, idiote.

Sérus cligna des yeux Une deuxième série de battement d'ailes accompagnait celui de Tyrath.

À la droite du dragon argenté se trouvait un membre du vol bleu. Les écailles de Buhrikthrienhaj ressemblaient à des gemmes de couleur saphir. Il était d'une beauté sophistiquée contrairement à Tyrath qui ressemblait plus à un dragon sauvage. Il paraissait plus logique et calme; plus vieux malgré qu'il partageait la même taille que Tyrath.

- Est-ce que Fayne est en sécurité? demanda-t-il à Sérus.

Clairement, son accent fut trop épais; de la perspective de Sérus, tout ce qui sortit de sa bouche fut que grognements étranges. Irrité, le dragon bleu retourna à sa langue maternelle qu'Azéna réussit à comprendre uniquement parce que sa phrase était simple:

- Sottises de cordes vocales!

Sérus hésita, perdu dans le regard du dragon. On dirait que ses yeux s'étendaient sur des kilomètres de turquoise très profond. Son souffle sentait la pluie fraîchement tombée d'une tempête.

- On la trouvera, dit Azéna à la place de son frère. Elle doit encore être au même endroit.

- Où? questionna Buhrik qui retourna à la langue commune.

Azéna qui était habituée à l'accent des dragons, réussit parfaitement à le comprendre. Elle lui pointa en direction de la petite maison de Gannia. Buhrik s'y dépêcha, laissant les autres derrières. Entre temps, la créature avait disparu.

- Bon, allons s'y, dit Azéna, frustrée.

Le cri strident d'une femme la secoua. La dame pointait Tyrath du doigt, fit demi-tour et traîna sa graisse aussi rapidement qu'elle le put en direction de la tour des gardes.

- Génial, murmura Sérus. On va encore devoir faire face à la colère de père. En plus durant le festival de la Passion... Oh, ce n'est pas une bonne chose.

- On s'en fout, rétorqua Azéna. Il faut rattraper cette créature. Allez, bouge-toi! Elle ne gagnera pas une course contre Tyrath.

Tyrath bomba le torse et se posa sur le toit dans un nuage de poussière. La vieille maison grincha sous le poids du dragon.

- Dépêche-toi, grogna Azéna. Monte.

Sérus enfourcha Tyrath et s'installa derrière sa sœur. Le dragon poussa un grognement d'irritation, jeta un regard noir à Sérus comme avertissement et prit son essor.

Une fois à la hauteur du Grand Clocher, il maintint son altitude et sonda Nothar. Les habitants n'étaient que des petits points affolés.

- C'est une sensation merveilleuse, n'est-ce pas? demanda Azéna.

- Si on veut, répliqua Sérus avec banalité.

Buhrik et Fayne les rejoignirent en peu de temps. Le dragon bleu jetait des coups d'œil sur sa dragonnière de temps en temps comme pour s'assurer qu'elle était toujours là.

- Elle ne va pas tomber, lui assura Azéna. N'est-ce pas, Fayne?

Fayne ne répondit pas; elle se contentait de fixer le sol et de s'agripper au cou de son dragon comme si sa vie en dépendait. Buhrik se mit à ronronner, comme une mère qui tente de rassurer son enfant.

- Je suis là, murmura-t-il.

- Là! rugit soudainement Tyrath.

Une ombre lointaine sautait de toit en toit en direction du château. Derrière lui, une longue queue traînait sous sa cape qui dansait dans les brises fraîches. Il s'immobilisa et leva les yeux lorsque les deux dragons rugirent. Telles deux flèches qui perçaient le ciel, ils plongèrent vers leur cible.

Comme s'il jouait avec eux, la créature attendit patiemment que les dragons furent à sa portée avant d'esquiver leur emprise. Buhrik attaqua après Tyrath. Les deux dragons tentèrent en vain de renfermer la créature entre leurs massives pattes arrière. Alors que Tyrath s'avérait trop lent, Buhrik encore plus retardataire, devait se sentir presque idiot à jouer à ce jeu. Le son amplifiant de griffes claquantes attira les habitants à proximité. Bientôt, les clameurs des villageois s'entremêlèrent aux grognements des dragons.

- Des monstres! hurla un homme. Appelez les gardes!

Le boucher lança sa hachette et manqua le flanc de Buhrik de près. Le dragon bleu garda son calme et prit de l'altitude. La lueur de la lune passait au travers de la fine membrane translucide de ses ailes, créant un verdâtre magnifique.

Un garde équipé d'un arc arriva sur place et fixa la scène sans trop savoir quoi faire. Une femme lui donna un coup de sac à main et hurla des injures. Alors que le garde se battait avec la vieille folle, il lâcha prise de son arc. Le boucher le ramassa, prit une flèche du carquois, et banda l'arc. Il visait Tyrath. Il fut trop lent; lorsqu'il décocha, le projectile fut évité avec aise.

Sérus sauta sur le toit en face de la créature. Il dégaina son épée et fit signe à la créature qu'il lui accordait la première attaque. La créature de désintéressa de lui rapidement car, elle était occupé à éviter l'emprise des dragons. Insulté, Sérus prit l'offense, mais la créature en avait eu assez. Elle grimpa aux jambes de Buhrik qui se tortilla dans tous les sens en tentant de se débarrasser d'elle comme si elle était une puce. Elle sauta sur un arbre, puis au sommet du mur extérieur qui entourait la ville. Une brise fit claquer sa cape. La créature croisa le regard d'Azéna de ses yeux perçants, mais étrangement approbateur avant qu'elle ne se jette de l'autre côté de la muraille.

Tyrath rugit et s'élança à ses trousses, mais Azéna l'arrêta en tirant sur les rênes vers l'arrière.

- Pourquoi pas? grogna-t-il. Il se moque de nous. Il mérite que je lui arrache les entrailles et que je les dévore.

- J'ai un pressentiment bizarre, expliqua-t-elle. Nous l'attraperons un jour. Ça...

La voix d'Azéna fut enterrée par la clameur de la foule qui ne cessait d'accroitre. Tyrath atterrit sur la muraille et poussa un rugissement si puissant que le son assourdissant réverbéra sur les bâtiments et fit trembler leurs murs. Les villageois se turent et se recroquevillèrent sur eux-mêmes, tremblants de peur.

Une trompette résonna, puis des sabots de cheval suivirent.

- C'est père, dit Sérus. Il est revenu. Descendons.

Fayne hocha de la tête et Buhrik obéit, mais Tyrath l'arrêta d'un grognement ferme. Buhrik s'immobilisa.

- Pas avant que ces fous rentrent chez eux, cracha Tyrath en fusillant les villageois du regard.

Buhrik attendit la décision de Fayne, mais celle-ci semblait indécise.

- Ne soit pas idiot, rugit Tyrath. Ils veulent nous découper en morceaux pour vendre nos écailles à des chamans ou encore pire, des nécromants.

- Ce n'est pas de leur faute, dit Fayne. Ils se sentent en danger lorsque vous êtes à proximité.

- C'est à eux de nous juger? Je ne crois pas.

- La réputation des dragons n'est pas très bonne dans ce coin. Ils vous craignent.

Tyrath renifla et détourna la tête.

- Pourquoi en est-t-il ainsi? questionna Buhrik.

Une dizaine de chevaux gris tournèrent le coin et s'arrêtèrent devant la maison au-dessus de laquelle se trouvait Buhrik et Tyrath. Chacun d'eux était monté d'un chevalier. Celui du milieu portait une bannière violette décorée de l'insigne du royaume : une simple aspérule blanche.

- Les troupes de père, murmura Sérus. Descendez immédiatement.

Le chevalier portant la bannière parla:

- Seigneur Bayrne Kindirah de Nothar, annonça-t-il de sa voix puissante et claire.

Les trois chevaliers du milieu laissèrent place à Bayrne. Les habitants se mirent à genoux. Fayne et les chevaliers baissèrent la tête en signe de respect. Bayrne fit signe qu'ils pouvaient se relever et disposer. Derrière lui, les frères et sœurs d'Azéna étaient habillés de leur plus bel habit et montaient de puissants chevaux. Ils avaient accueilli leur père aux portes de la cité comme la tradition le voulait. Argent jeta un regard désapprobateur en la direction d'Azéna, puis elle lui sourit.

« Désolé Argent, songea Azéna. Je sais que tu veux mon bien en prenant garde à moi, mais c'est dans ma nature de me mettre les pieds où je ne dois pas. »

Ce n'est que lorsque les habitants furent dispersés que le seigneur fixa les trois jeunes adolescents avec rage.

- Pour l'amour de l'Aspérule, rugit-t-il, essayez-vous d'attirer la colère de Noktow avec tout ce saccage?

- Père, commença Sérus. Il est...

Bayrne fit signe à Sérus de se taire. Il resta immobile pendant quelques longues secondes, puis il tourna la tête en direction de sa fille adoptive.

- Qu'as-tu encore fait? Tu ne peux donc pas rester tranquille? C'est le festival d'Elysia, Mère de la lumière et de l'euphorie. N'a donc tu pas un peu de respect pour tes créateurs, particulièrement celle qui te donne toute ta joie?

Azéna ouvrit la bouche, mais elle fut coupée par Bayrne sans qu'elle n'ait la chance de prononcer un mot.

- Non ! cracha-t-il. J'en n'ai assez de tes histoires d'espions ou je ne sais quoi. Il n'y a personne qui...

Tyrath grogna et le cheval de Bayrne s'agita. Le seigneur en resta inébranlable. L'un des chevaliers calma la monture à sa place. Azéna gloussa. Tyrath bomba le torse avec fierté.

- Tu oses rire lorsque je te parle, s'abasourdi Bayrne. Surveille ta langue si tu veux la garder, jeune fille. Tu appartiens peut-être à une famille noble, mais ton titre ne te protégera pas pour toujours si tu continues à le déshonorer.

Tyrath montra les dents et fouetta sa queue dans tous les sens. Ses petits yeux violets défièrent le regard du roi.

- Ça va, rassura Azéna en lui donnant une petite tape amicale sur le flanc.

Bayrne pointa sa fille d'un doigt autoritaire.

- J'ai à faire à toi, délinquante. Allons souper. Immédiatement. Votre mère nous attend.

Tyrath fit demi-tour.

- Attend! ordonna Bayrne en pointant trois chevaux tenus par un chevalier. Azéna viendra à la maison sur un cheval comme il se doit. Il en sera de même pour Sérus et Fayne.

Offusqué, Tyrath secoua la tête. Il expira une bouffée d'air puissante.

- Ça va pour cette fois-ci, dit Azéna. Ne t'en fais pas. On n'a déjà assez d'ennuis. Vaut mieux faire comme il veut.

Tyrath grogna, fit la moue et atterrit. Buhrik l'imita. Ils attendirent que leur dragonnière fût sainte et sauve au sol avant de repartir dans les bois. Buhrik jeta un coup d'œil inquiet en direction de Fayne avant de disparaitre au loin.

Azéna monta le cheval blanc tacheté de noir, Sérus le brun foncé au museau blanc et Fayne le gris. Le chevalier à la bannière prit la tête, suivit de quatre autres chevaliers, puis de Fayne, des enfants Kindirah, de Bayrne et finalement, le reste des chevaliers.

- Pourquoi allons-nous si lentement? demanda Azéna à son père. Je croyais que nous étions pressés. Pourquoi ne pas prendre l'allure trot ou galop?

- Si, répondit Bayrne. Nous sommes pressés, mais j'ai à te parler avant que nous arrivions.

Azéna leva un sourcil interrogateur.

- Parle.

- Tu es une dame, que tu ne le veuilles ou non. Ce soir, nous avons des invités d'honneur et tu vas te comporter en dame, est-ce que c'est bien compris?

- Tu veux dire que tu veux que je laisse mère me pouponner comme une fifille et que j'adopte un bon parler noble? Ummm? Comme ceci?

Bayrne ignora l'insolence de sa fille et ne lui accorda qu'un regard désapprobateur comme réplique.

- J'exige un effort de ta part. Aucune rébellion et aucune mention de ton métier. Si Tyrath fait une apparition, je le prendrai comme un affront et une pénitence de mort lui sera passé. Alors, soit obéissante ce soir si tu veux que je reste clément. Je n'ai pas envie de jouer de jeux.

Azéna le fixa d'un regard aussi froid que la glace. Elle savait qu'elle ne pouvait rien faire contre la volonté de son père. C'était lui le seigneur de Daigorn. Elle obéirait pour la protection de son dragon. Elle tenta de changer de sujet.

- Il est bien tard pour un souper.

- Nos invités d'honneur apprécient leur souper de minuit, expliqua Bayrne.

- Ce sont des gens bizarres.

- Habitue-toi.

- Pourquoi dis-tu cela?

Bayrne ne répondit pas. Son visage resta dur et sérieux alors qu'ils approchèrent du château. Il commençait à faire froid et un serviteur les attendait à la porte avec des capes à fourrure. Fayne et ses compagnons nobles descendirent de leur cheval. Les chevaliers partirent lorsque le roi leur donna l'accord.

- Mes invités sont-ils arrivés? Questionna Bayrne.

- Non, monseigneur, répondit le serviteur, mais ils arriveront bientôt. Vous devriez aller vous préparer, si je peux me permettre de le suggérer.

Le serviteur était un garçon de quatorze ans à la tignasse blonde en bataille. Il faisait jeune homme galant malgré son allure pauvre. Maigre, il était tellement en habitude d'être penché pour diverses tâche que son dos commençait à recourber. Comme à son habitude, ses yeux verts pâle s'arrêtaient sur Azéna pour un bref moment lorsqu'il l'apercevait. Gêné, il baissa le regard et offrit la première cape à fourrure à Bayrne.

Un par un, il les habilla de leur cape à fourrure respective. Avant d'entrer, Bayrne lui glissa un mot.

- N'oublie pas de garder tes yeux pour toi, gamin. Tu n'es pas digne d'elle.

Azéna avait l'ouïe assez fine pour entendre ce que disait son père au garçon. Elle suspectait que le gamin la trouvait de son goût. Elle lui aurait donné sa chance, mais elle n'était pas intéressée par lui. Elle lui accorda tout-de-même un désolé silencieux avant de suivre son père dans la salle commune. Sa mère adoptive, Dame Rivatha, les attendait, enroulée dans une épaisse couverture de laine. Elle fixait dans le vide, perdue dans ses pensées et ne les remarqua pas.

- Ma douce, dit Bayrne avec un brin de quiétude.

Rivatha leva la tête et ses yeux s'illuminèrent.

- Vous êtes arrivés, dit-elle. Je vous attendais.

Elle sourit. Sa joie calmait toujours Azéna.

Ils s'installèrent sur les chaises. Bayrne prit place à côté de sa femme sur le sofa et passa un bras autour d'elle. Sa colère s'était éteinte.

- Quand nos invités arrivent-ils? demanda Rivatha. Est-ce que tout est prêt?

Une soudaine expression de peine et d'inquiétude traversa le visage de la douce dame. Bayrne effleura sa joue.

- Tout va bien se passer, rassura-t-il. Je te l'assure.

Rivatha jeta un subtil coup d'œil en direction d'Azéna. Celle-ci fit semblant de ne pas le remarquer.

- Tu sais que je déteste cette idée, insista-t-elle.

- Nous en avons déjà discuté plusieurs fois, répondit Bayrne. Maintenant, prend toi en main et soit digne d'une dame.

Rivatha hocha de la tête et se redressa. Un sourire forcé dominait son visage. Quelque chose ne tournait pas rond et Azéna le sentait dans ses tripes. Une vague d'anxiété s'empara de son âme. Elle devait sortir d'ici et consulter Tyrath.

- Père, est-ce que je peux m'absenter? demanda-t-elle avec le plus de politesse qu'elle pouvait rassembler.

Bayrne n'était pas son véritable père, mais il lui ordonnait de l'appeler ainsi en vain. Cette fois, elle se plia à sa volonté.

- Bien sûr, ma fille, répliqua-t-il en souriant. Par contre, ne tarde pas. Je ne veux pas que tu sois absente pour l'arrivée de nos invités d'honneur.

Il était trop gentil et cette attitude ne rassurait pas Azéna. Au contraire, elle s'attendait à devoir se battre avec lui pour cette permission. Elle lui jeta un regard interrogateur, puis fila.

À l'extérieur, dans la cour, elle fit face à face avec le jeune serviteur. Celui-ci l'observa avec stupéfaction, puis il rougit.

- Excusez-moi, ma Dame.

Il se tassa du chemin en faisant une révérence maladroite et trébucha ce qui fit rire Azéna et lui fit oublier son anxiété pour un instant.

- Fait attention à toi, conseilla-t-elle.

- Vous aussi, répondit-il dans un murmure gêné.

Azéna continua son chemin.

- Umm, où allez-vous? questionna-t-il.

- Je ne sais pas. Un endroit tranquille avant ce stupide soupé de minuit. J'ai besoin de penser.

- Je vous conseille le Grand Clocher.

- Merci, cria-t-elle afin qu'il puisse l'entendre alors qu'elle s'éloignait.

Elle le salua de la main. Il fit de même.

Azéna se rendit à la porte de la muraille le plus près et demanda aux gardes de la laisser monter. Avec un peu de négociation, elle fut allouée d'y aller sans escorte. Tout en haut du puissant mur, elle observa l'horizon. Là-bas brillait deux sphères violettes. Une silhouette gigantesque se mouvait dans l'obscurité. La créature prit son envol et s'approcha. Une deuxième resta percher sur un arbre grisonné par l'âge. Une paire de sphères turquoise somnolents les guettaient.

À chaque battement d'ailes retentissant dans la nuit, les gardes frissonnèrent. Même le capitaine de la garde gardait son arme proche à la venue de Tyrath.

- Il ne vous fera aucun mal, assura Azéna.

- On ne peut se fier à ces bêtes, ma jeune Dame, répliqua sèchement le capitaine. Elles sont indomptables.

- Cache-toi derrière ta barbe mal rasée dans ce cas. On ne dompte pas un dragon; on le respecte.

Le capitaine de la garde accorda un regard offusqué à Azéna.

- Tyrath m'apprend à devenir un avec le vent, continua-t-elle. Et le vent est libre; il est indomptable.

Azéna ne lui accorda même pas un regard. Fière et droite, elle se laissa tombée de l'autre côté de la muraille. Le capitaine tenta de l'agripper, mais il la manqua et faillit tomber avec elle. Lorsqu'il leva les yeux, il aperçut un dragon passé à sa droite. La créature fila, une silhouette féminine l'enfourchant, vers le Grand Clocher pour s'y percher.

- Que se passe-t-il? questionna Tyrath, ses yeux violets plongés dans l'inquiétude. Buhrik marmonne des paroles de chair et de fer s'entrecroisant. Ces bleus me donnent la nausée avec leurs visions bizarres.

- Rien ne s'est passé, répondit-elle, mais son regard disait le contraire.

Les traits de Tyrath s'endurcirent. Il montra les dents en silence.

- Mon père parle en énigme, expliqua Azéna.

Cette-fois, un grognement bref, mais féroce, retentit.

- C'était sage de ta part de me faire part de tes inquiétudes.

Azéna hocha la tête et se laissa bercer par le ronronnement de son compagnon. Une patte affectueuse vint la coller contre sa poitrine. Le rythme du battement du puissant cœur du dragon argenté l'apaisa momentanément.

Un marquage creusé dans la pierre du Grand Clocher attira son attention. Une longue ligne traversait la solidité de la vielle tour.

- On dirait le travail d'une griffe, dit Azéna. Probablement celles de Schareilatra ou...

À la lumière d'une torche accrochée au mur, elle effleura la pierre froide avec la douceur d'une mère. Cette marque était le signe d'un combat.

- La vouivre, murmura-t-elle.

Le regard de Tyrath durcit, puis il leva les yeux. Un peu plus haut, on y trouvait une multitude de marques semblables. Il y en avait trois différentes grosseurs. L'une d'entre elle se faisait rare mais, était la plus creuse et vicieuse. Azéna monta Tyrath et s'approcha de l'une d'elles. Lorsqu'elle y toucha, elle sentit quelque chose de visqueux, comme de la vielle boue. Elle repoussa son doigt et le frotta avec son pouce.

Avant qu'elle ne pose la question, Tyrath lui répondit:

- Le poison de la queue griffue d'une vouivre.

Azéna se dépêcha d'essayer son doigt.

- Ne t'inquiète pas, ricana-t-il, il faut que le poison entre dans ton sang pour qu'il t'affecte.

- Tu m'as laissé le toucher, dit-elle. J'aurai pu mourir.

- Oh, ne soit pas si dramatique. Je te surveillais. Laisse ça de côté et vient relaxer avec moi. Mmmmm? Qu'en dis-tu?

Il se roula en boule malgré l'espace limité qu'il lui était accordé. D'un air de chien battu, il fixa sa dragonnière avec un mélange d'affection et d'amusement. Azéna se croisa les bras, le traita de gros bébé et renonça à la bataille. Elle se blottit contre son ventre.

- Bientôt, tu ne pourras plus t'allonger ici.

- Je sais, répondit-il.

- Tu commences à être gras, taquina-t-elle.

- Qu'est-ce que tu me chantes là? grogna-t-il. Pas gras, mais grand et fort.

Azéna pouffa de rire. Elle adorait s'en prendre à son ego. Tyrath savait bien qu'elle ne le trouvait pas gros. Il lui jeta un regard à moitié amusé, à moitié accusateur.

- Tu devrais retourner avant que tu ne te mettes encore plus dans les ennuis.

- Je fais ce qui me plaît, répliqua-t-elle en croisant ses bras derrière sa tête comme si rien ne lui importait.

- Fais comme tu veux. Ce n'est pas moi qui suis contre ce principe.

Les deux amis discutèrent jusqu'à ce que le son alarmant de la porte principale qui s'ouvrait détourne leur attention. Plusieurs cavaliers pénétrèrent dans la cité et se dirigèrent vers le château.

- Je crois qu'il est temps que je rentre, dit Azéna.

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