MOI, L'INCONNUE

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Reina

"La haine donne une raison de vivre."

De Michel Bélil / Greenwich

La haine a ce petit quelque chose de personnelle, elle offre parfois à celui ou celle qui l'éprouve la force virulente et corrosive de réussir. Bien plus d'un discours plein de bonne volonté, la condamne comme un simple instrument de malveillance. Or, cette haine qui émerge au plus profond de mon âme pour la famille Tellier est le moteur qui me permet de respirer encore aujourd'hui. Sans elle je serais sans doute déjà morte et enterrée, tout comme mes parents dans la seule chose que Bernard Tellier a laissé à ma famille. 

Le caveau familial.

Une concession perpétuelle de plus de quinze mille euros au cœur du cimetière Père-Lachaise de Paris.

Debout au milieu du salon de tante Ella, j'observe mon reflet dans le miroir sans me voir réellement. Ce qui est sans doute normale à ce stade puisque la femme dans la glace ne me ressemble absolument pas. Son apparence me débecte, rien d'elle ne trouve grâce à mes yeux, ni sa coiffure stylisée, ni son maquillage sophistiqué, ni les bijoux onéreux, ni sa robe de grand couturier, ni même ses escarpins chics. À ce stade, le mythe de la femme et des chaussures sexy est le cadet de mes soucis. Tout de cette fille là est superficielle mais je ne peux plus rien y faire. Maintenant et jusqu'à nouvelle ordre c'est celle que je suis devenue et surtout c'est celle que je dois être.

Reina Castel, fille unique, digne héritière de Vincent et d'Hélène Castel. D'ailleurs, il m'a été très difficile d'abandonner le nom de famille de mon père au profit de celui de mon oncle, le mari de ma tante Ella. Mais quel d'autre choix avais-je ? Aucun. Si je veux pouvoir mener ma vengeance à bien c'est l'unique moyen de faire oublier au Tellier que Grâce et Sébastien Bourgeois ont eu une petite fille. Aucun d'entre eux ne doit soupçonner qui se cache derrière Reina. En y pensant un regain de colère me submerge. Une rage folle m'étreint l'âme car les sacrifices auxquels j'ai dû consentir au fil des années à cause de cette vendetta ont été de plus en plus nombreux.

Alors que je m'examine d'un œil critique, dégoûtée au possible, ma tante s'approche de moi d'un pas prudent. Elle me prend doucement par les épaules et me souffle.

_ Es-tu certaine de vouloir faire ça, ma chérie ?

Calme et sans aucunes hésitations dans la voix, je confirme mes intentions.

_ Je ne vais certainement pas abandonner, mère.

Troublée par l'emploi de son nouveau statut, ma tante insiste.

_ En es-tu sûre ma belle ?

Elle souffle et reprend.

_ Mon ange, tu te cantonnes si adroitement à ce rôle que tu me fais un peu peur. Je sais pertinemment que je suis celle qui t'a poussé dans cette direction, mais avec le recule, je demande s'il ne vaut pas mieux pour nous deux d'oublier tout ça.

Furieuse, je me détache d'elle, me retourne et lui rétorque sèchement.

_ Penses-tu que je suis devenue cette personne pour oublier ? Penses-tu que j'ai façonné toute mon existence en fonction de cela pour arrêter, mère ?

Je plonge mes yeux verts dans les siens si parfaitement identique aux miens et réplique.

_ Je ne peux pas les tuer, mais cela ne m'empêche pas de vouloir qu'ils crèvent. Tu peux me croire quand je te dis qu'ils sont tous mort un millions de fois dans ma tête. J'éprouve de l'irritation à la seule pensée de leur existence. Pendant que mes parents pourrissent dans la tombe, que le corps de ta petite sœur Grâce disparaît comme des grains de sable, Bernard Tellier vit toujours. Entouré de privilèges, présentant au monde l'illusion d'une famille parfaite, alors qu'il a précipité un homme vers la ruine juste par convoitise. Alors je te prie de ne pas exiger de moi l'impossible ?

Mes paroles, déclamées avec une tendre sérénité, ressemblent à une caresse mortelle.

Ne me laissant pas poursuivre mon laïus, ma tante bien-aimée me prend dans ses bras tentant de me réconforter. Or, il y a longtemps, que je n'ai plus besoin de consolation, mais je la laisse faire sans me dérober.

Elle m'effleure les cheveux et susurre au creux de mon oreille.

_ Reina ma chérie, rien n'est gravé dans la pierre, la vie prend parfois des chemins imprévisibles. Tu peux encore laisser tomber au contraire parce que je n'ai jamais voulu te gâcher la vie. Cependant plus t'enfonce dans cette histoire et plus j'ai la conviction qu'en t'engageant sur ce chemin, tu gâches peut-être ta seule chance d'être heureuse. Je regrette de t'avoir initié parce que le temps passant, tu enterres graduellement la fille candide que tu étais. Malgré tout, je t'aime Reina.

Alors que je m'apprête à lui répondre, quelqu'un toque à porte.

_ Entrez, dit ma tante qui se détache de moi.

Félix apparaît et annonce.

_ La voiture est prête madame, puis-je vous y conduire ?

_ Un instant Félix, je dois encore m'entretenir avec ma fille.

_ Très bien, madame.

Celui-ci referme à peine la porte qu'Ella me questionne à nouveau.

_ Reina ?

Elle dit rien de plus essayant de lire en moi, mais je reste ferme.

_ Je suis décidé, mère.

Sans un mot supplémentaire, nous sortons du séjour pour nous orienter vers Félix notre chauffeur. Méticuleux, celui-ci se dresse déjà devant la porte afin de nous guider dans la voiture.

Pendant les quelques minutes de trajets dans le trafic parisien, qui nous conduisent au dîner de gala suivi d'une vente aux enchères privée au profit de l'association The children for peace, je ferme les yeux visualisant l'objectif de la soirée. Pensive, je m'interroge sur l'issue du plan conçu par tante Ella. Non que je sois particulièrement inquiète, mais je me demande quand même s'il est possible que je réussisse là où tant de femmes ont échoués. Mais alors que je me fais cette réflexion la voix d'Ella raisonne en moi comme à chacun de mes doutes.

"- Règle numéro deux : l'homme propose, la femme dispose. Maintenir le pouvoir, c'est se faire désirer."

Devant la vaste salle de Gala, le carton d'invitation est soigneusement présenté. Et nous sommes de fait installer à notre immense table qui joute directement avec celle de la famille Tellier au grand complet. Point positif et stratégique, je me retrouve comme prévu face à celui qui va devenir ma proie. La porte d'entrée dans l'antre des Tellier.

Les heures s'enchaînent sans que rien ne se passe, ma patience est mise à rude épreuve. Je les observe tous, la fureur circulant dans mes veines. Leur bonheur me donne envie de vomir. Ceux qui n'ont jamais connu la haine ne peuvent comprendre mon tourment. Hantée, mon aversion à leur égard ne m'octroie aucun répit. Elle me ronge aussi sûrement que le regard séducteur que me lance soudain Nicholas. Et tout compte fait, je respire ! enfin, je vais me venger ! Il ne m'aura jamais ! Si j'étais une autre femme, je tomberais fatalement amoureuse de lui, mais je ne suis pas n'importe quelle fille. De plus, je perçois la voix de tante Ella qui me murmure.

- Règle numéro un : pas d'amour, l'amour ça vous tue. Baise-le pour qu'il soit accro, mais ne tombe jamais amoureuse de lui.

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