Suspect jus de fruit

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 — Avant de commencer, madame Clémentine, j’aimerais savoir qui d’autre que vous était présent à Agrume’s house ce jour-là. Vous m’avez parlé de votre demi-frère, mais aussi d’une gouvernante, c’est ça ?

 — Oui, Pierrot et Madeleine.

 — Excusez-moi, est-ce que vous avez de quoi écrire… ?

 — Je m’en occupe !

 Lisa sauta sur l’occasion. Récupérant ses coussins, elle retourna à l’intérieur de son tableau afin de s’installer à son petit bureau sur la droite. De là, elle pouvait prendre note et écouter ce qui se dirait. Quitte à se rendre utile, le portrait vivant préférait de loin jouer la secrétaire plutôt que l’espionne. Agatha fit répéter les prénoms à la vampire afin que Lisa puisse les noter. Hélas, Clémentine enfant n’avait jamais demandé son nom de famille à sa gouvernante. Son insouciance de l’époque risquait de leur mettre des bâtons dans les roues de la brouette.

 — Je n’ai plus jamais revu ni Madeleine ni Pierrot par après. Je ne pense pas qu’ils soient rentrés en Sicile, par contre. Quand j’ai pu revenir à la maison des années plus tard, elle était à l’abandon le plus total. J’ai supposé qu’ils étaient restés ici. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous en dire plus sur eux…

 — Ce n’est pas grave, nous pourrons peut-être retrouver Pierrot Demarbre. Quant à votre gouvernante, de quel type de monstre s’agit-il ?

 — C’était une goule de ma mère.

 Agatha acquiesça lentement. Quand elle interrogeait un témoin, elle essayait de paraitre la plus professionnelle et polie possible, à l’image de son détective préféré. Elle voulait donner une bonne impression. Mais sous la table, discrètement, elle avait commencé à asséner Romulus de coups de pied. Celui-ci dirigea vers elle un regard suspicieux. Il lut dans ses yeux un appel à l’aide, réfléchit, puis réprima un petit rire.

 — Et c’est quoi au juste, une goule ? demanda-t-il pour éviter à son amie de paraitre inculte.

 — Oh, c’est un humain au service d’un vampire. Les vampires transforment certains humains en goule pour les servir. Une goule est forcée d’obéir aux ordres du vampire qui l’a transformée. En échange, la goule obtient une longévité aussi longue que la nôtre, mais il doit s’abreuver de sang périodiquement.

 — Ça devient une sorte de demi-vampire, en quelque sorte, résuma le commissaire. Sans transformation en chauve-souris, ni haine de l’ail… En fait, ce sont surtout de parfaits serviteurs.

 — Et comment est-ce que vous changez les gens en goule ? demanda Agatha, intriguée.

 — Un vampire doit faire boire de son propre sang à celui qu’il compte transformer.

 Juliette laissa s’échapper un tel glapissement que tous se tournèrent vers elle, surpris. La petite gorgone paraissait médusée. Son regard passait de Clémentine à Agatha sans rien dire, bouche ouverte. Quand elle réalisa qu’elle était devenue le centre de l’attention, elle baissa la tête et l’enfonça plus profondément sous son bonnet, comme pour disparaitre. La petite sorcière, ne comprenant pas ce qui venait de se passer, décida revenir sur le sujet qui l’intéressait.

 — Donc Madeleine votre gouvernante est une goule. Je suppose que Pierrot, votre demi-frère, est une gargouille. Qui d’autre se trouvait sur place ?

 — Ma tante, la sœur de mon père, Tata Opale. J-Je suppose que c’est elle qui s’est occupée de Pierrot, après la mort de mon père. Elle venait souvent nous voir, en Sicile, mais elle vivait ici, à Halloween.

 — Quelqu’un d’autre ? Des domestiques ?

 — Je n’en ai pas le souvenir. Si, il y avait un monsieur, un peu plus vieux… Mais il ne faisait rien de spécial, pas le ménage, pas de corvées… J’ignore qui il était. Je pense que c’était une autre goule de maman, mais qui résidait à Halloween toute l’année…

 — Ce n’est pas grave, si je trouve votre frère et votre tante, ils pourront peut-être me renseigner. C’est tout ?

 — Non, il y avait une dernière personne. Une sirène. Je me souviens qu’elle venait jouer du piano avec papa… Peut-être une élève ? En tout cas, pour éviter les déplacements, elle a résidé à Agrume’s House pendant quelques jours. Je me souviens qu’elle était très belle.

 Agatha adressa un regard en direction de Lisa pour s’assurer que ses annotations suivaient. Les petites cellules grises de la sorcière étaient déjà en liesse. Clémentine lui avait présenté une belle brochette de suspects potentiels, mais elle allait d’abord devoir déterminer l’identité de certains d’entre eux. Hélas, le commissaire ne leur serait d’aucun secours. Il leur avait avoué n’avoir participé à l’enquête que de très loin, car il était encore novice à l’époque. Interroger Pierrot et Opale Demarbre semblait la solution la plus prometteuse.

 — Je crois que j’ai fait le tour des questions pour le moment, madame Clémentine. Nous allons vous laisser.

 — Oh, vous reprendrez bien un verre de jus de fruit ?

 — Je veux bien, accepta la sorcière après une moue d’hésitation tandis que les autres refusaient poliment.

 Clémentine Tarocco revint avec un gobelet rempli sous le regard presque scandalisé de Juliette. Elle eut un mouvement au moment où son amie but une gorgée, mais sa main retomba piteusement. Les autres, qui s’étaient levés de table pour partir et avaient attrapé le cadre de Lisa, n’avaient pas remarqué son attitude troublée. La gorgone suivit le groupe, en retrait, veillant à être la plus éloignée possible de la vampire.

 Sur le pas de la porte, Clémentine remercia une dernière fois Agatha d’avoir accepté sa requête. Ils allaient prendre congé quand la petite sorcière se retourna une dernière fois, l’air soucieuse.

 — J’ai oublié de vous demander. Comment est-ce que vous avez été mise au courant que j’avais déjà mené des enquêtes policières ? La feuille de Chou n’a jamais donné mon nom.

 — C’est ma notaire, Maitre Allègre, qui m’a raconté vos exploits avec les Pumpqueen. Elle gérait le testament dans l’affaire et la famille lui a parlé de vous et de vos déductions.

 — D’accord, je comprends. Au revoir, madame Clémentine !

 — A bientôt !

 Alors qu’ils descendaient les marches de l’escalier pour retourner au rez-de-chaussée, Lisa fit passer son bras en dehors de son tableau pour tendre à Agatha son carnet. Tout s’y trouvait, même le cri de Juliette. Agatha sourit en passant en revue les noms et les anonymes. Voilà qui promettait d’être une enquête bien différente des précédentes. Cette fois-ci, elle devrait sûrement se contenter des témoignages. Difficile de croire qu’une preuve subsistait encore quelque part, si la police avait déjà fait son travail.

 — Agatha, dis…

 La sorcière releva la tête. Juliette s’était rapprochée, la mine à la fois soucieuse et effrayée.

 — Un souci, Ju’ ?

 Avant de répondre, la gorgone jeta un regard derrière son épaule, comme pour s’assurer qu’ils n’étaient plus suivis.

 — Tu te sens comment ?

 — Hum, bien, pourquoi ?

 — Parce que… Je crois qu’elle t’a transformée en goule !

 Agatha la regarda d’abord sans comprendre. Puis elle comprit et pouffa de rire.

 — Mais non, voyons ! C’était juste du jus d’orange sanguine !

 Quoique … ?

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