Tambouille et bottin

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 À deux mains, Clarisa touillait une mixture un peu pâteuse dans sa grande marmite. Elle devait y mettre plus de force que d’habitude, ce n’était pas normal. Pestant intérieurement, elle lâcha sa louche, agita sa baguette et fit défiler ses ingrédients autour d’elle. Quand le pamplemousse passa devant ses yeux, elle comprit ce qui lui était sorti de la tête. Ni une ni deux, la pharmasorcière lui jeta un sort pour qu’il se torde sur lui-même, libérant tout son liquide au-dessus de du récipient fumant. Vite, vite, il fallait mélanger ça au reste ! Tout n’était peut-être pas encore perdu. Du pied, elle actionna son soufflet, afin de raviver la chaleur des flammes. Plus les secondes passaient et plus sa préparation redevenait liquide.

 Rassurée, Clarisa pouvait poursuivre sa recette. Elle fit léviter trois cœurs de pierre qui s’émiettèrent tout seuls. Au fur et à mesure que les petits gravats plongeaient dans la potion, celle-ci changeait de couleur. Ce que sa fille aurait volontiers confondu plus tôt avec de la pâte à gaufre prenait une teinte verdâtre. La sorcière déposa sa baguette et attrapa quelques bâtons de vanille qu’elle ajouta à la préparation. Elle se saisit ensuite d’une fiole qu’elle déboucha à l’aide d’une formule connue d’elle seule. Une sécurité indispensable pour protéger son contenu : du venin de cobra. Elle ne versa que trois gouttes dans son chaudron. Plus serait dangereux. L’effet fut immédiat, le liquide passa au rouge sang.

 Contente d’avoir sauvé sa potion, Clarisa enchanta sa louche pour qu’elle continue de touiller à sa place. À l’aide d’un petit couteau spécial, elle entreprit d’ouvrir quelques coquillages encore frais. Pour gagner du temps, elle plaça les mollusques dans le mixeur, en compagnie d’écailles de requin. Elle détourna le regard avant d’activer l’appareil électrique, persuadée d’entendre leurs cris d’agonie. Pour finir, le nez couvert sous l’odeur nauséabonde qui se dégageait de ce smoothie maritime, la pharmasorcière en versa le contenu dans sa décoction.

 Enfin, la potion bloblotait sans bruit. Il ne restait plus qu’à laisser mijoter une petite heure et son philtre de silence serait fin prêt. Quelques gouttes suffiraient pour faire taire les langues de vipère et les donner au chat. Parlant matou, Miss Marple venait jeter un coup d’œil dans la cuisine, sûrement attirée par l’odeur du massacre de fruits de mer. Elle laissait derrière elle une porte grand ouverte.

 C’est alors que Clarisa remarqua Agatha dans le fauteuil du salon. Trop concentrée, elle n’avait pas entendu sa fille rentrer. Comme à son habitude, celle-ci était occupée à lire. Mais ce n’était pas un petit roman qu’elle tenait en mains.

 — Tu es tant en désespoir de lecture que tu dois te contenter du bottin de la ville ?

 Agatha sursauta et déposa un instant le gros volume de pages. Dedans, on retrouvait les numéros de tous les monstres peuplant Halloween. Ce n’était pas le type d’occupation qu’on imaginait pour une enfant, fut-t-elle grande lectrice. Néanmoins, Clarisa remarqua que sa fille avait aussi un stylo et un calepin sur les genoux.

 — Ah, maman, tu as fini avec tes préparations ? J’ai besoin de toi et j’aimerais aussi t’emprunter quelques ingrédients.

 — Tu veux préparer une potion ? demanda Clarisa en relevant un sourcil méfiant. Et qu’est-ce que tu comptes mijoter ?

 — Un élixir de parlotte !

 Sa mère souffla, amusée. Elle venait tout juste de préparer exactement le contraire. Cependant, si sa petite sorcière avait besoin d’une telle potion, cela ne pouvait dire qu’une seule chose.

 — Dans quoi est-ce que tu t’es encore embarquée ? On a tué le maire de la ville ?

 — Non, une vampire est venue me demander de l’aide pour prouver l’innocence de son papa !

 — Une vampire ?

 — Oui, mais c’est pas une Carotide ! C’est Clémentine Tarocco, mais tu ne connais sûrement pas, ça fait des années qu’elle n’est plus venue à Halloween et…

 — Je connais les Tarocco, l’interrompit Clarisa. De réputation, du moins… Mais dis-moi, tu parles de cette histoire où le mari a été accusé d’avoir assassiné sa femme ?

 — Tu connais ?

 — Agatha, c’était il y a plus de dix ans ! Tu n’étais même pas née !

 — Je sais, mais madame Clémentine a confiance en moi pour résoudre l’affaire.

 En disant ça, la petite sorcière avait levé haut son menton et s’était dandiné sur ses fesses, peinant à cacher sa fierté. Clarisa ouvrit la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Elle n’était pas sûre que ce soit une bonne idée. Plus elle y réfléchissait et plus elle y trouvait d’objections. Néanmoins, il y avait un détail non négligeable à prendre en compte : sa fille était particulièrement têtue. Si elle s’était donnée pour mission d’enquêter, même les punitions et menaces de sa mère ne pourraient l’en dissuader. Elles l’avaient déjà expérimenté. Agatha s’était montrée plus bornée qu’elle ne l’aurait imaginé. Sa fille, elle, parlait plutôt de persévérance. Même le commissaire n’avait pas réussi à freiner ses efforts. Alors à quoi bon se battre avec elle ?

 — Bien, mais tu utiliseras ton petit chaudron, le mien doit encore rester sur le feu un bon moment. Tu as besoin d’aide pour faire autre chose ?

 — Oui, tu connais pas mal de monde en ville, pas vrai ?

 — En tant que meilleure pharmasorcière d’Halloween, j’ai de nombreux clients, confirma sa mère avec une petite révérence.

 — Est-ce qu’une goule nommée Madeleine, ça te dit quelque chose ?

 — Madeleine… Madeleine… j’ai trois ou quatre clientes avec ce nom, mais pas de goule…

 — Il y en a cinq dans le bottin, tu saurais me dire si les noms te parlent ? Que je les élimine de ma liste.

 Clarisa se rapprocha pour lire les noms retrouvés par sa fille. Elle avait parcouru tout le bottin. Hélas, le carnet ne donnait que le nom, le prénom, la profession et un numéro de boule de cristal. Les relations de sa mère lui permettraient d’y voir plus clair. Elle put ainsi éliminer Madeleine Deverre, une sphynx, Deproust, une zombie, ainsi qu’Atricot, une sartyre. Ne restaient que deux noms, qui ne disaient rien à Clarisa : Bergamote et Aubeur. L’une des deux avait sûrement été la gouvernante de Clémentine.

 — Et ça, qui est-ce ? demanda la pharmasorcière en pointant deux noms qui n’avaient rien à voir avec le reste.

 — C’est le demi-frère de madame Clémentine et leur tante. Il faut que je leur demande si je peux passer chez eux pour leur poser des questions…

 — Et tu veux que ce soit moi qui le fasse, le présume ?

 Agatha rentra sa tête dans ses épaules en souriant, un peu gênée. Il y avait trois choses qu’Agatha avait en horreur. L’altitude, les légumes verts et les conversations avec des inconnus par boule de cristal. Sa maman pouffa puis prit le carnet pour passer l’appel, non sans recevoir un baiser de remerciement de la part de sa fille.

 — Merci, maman !

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