Chapitre 7 : Parasite.

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Restaurants, shopping, bowling, les demandes de Judith variaient et s’étalaient en longueur. Elle payait Kley les mercredis après-midi pour qu’il l’accompagne durant ses repas, comme si elle souhaitait tester tous les restos et fast food du coin. L’idée de tomber sur des camarades de classe plongeait Erwan dans un stress permanent et il ne trouvait aucune excuse valable au cas où cela arriverait.

Leur groupe devenait populaire à l’école, Noah et sa clique, Judith et ses copines, c’était la bande hype du lycée. Ainsi tout le monde les associait, mais Judith et lui n'étaient pas assez proches pour justifier un temps de midi en tête à tête. Il aurait pu faire croire en une rencontre fortuite, mais comment expliquer son changement vestimentaire ? La politique du Major se distinguait : “Toujours sur son trente-et-un”.

Devrait-il prétendre s’être habillé pour une occasion ? Dans tous les cas, il ne voulait pas être découvert sous son apparence de “Kley”. À l’école, il se montrait négligé pour ne pas attirer l’attention. Avoir affaire à Judith était amplement suffisant, alors autant garder les autres filles à l’écart.

Un mois entier qu’il la supportait depuis la découverte de son secret, et plus d’un mois qu’il voyait sa tête tous les jours, non seulement à l’école, mais aussi les samedis soirs. Jamais Monsieur Gilles n’accepterait de lui vendre les services d’un de ses collègues de travail. Du moins, pas tant qu’elle ne serait pas majeure. Malheureusement, cela n'arriverait pas de suite et elle ne semblait pas se lasser de ce petit-jeu. Au fond de lui, Erwan savait qu’elle prenait plaisir à lui faire perdre son temps. L’essence de son travail ne l’intéressait pas. Il avait assimilé cette info dès leur premier rendez-vous. L’apparition de Judith dans sa vie avait depuis chamboulé tout ses plans.

Cette nuit-là, Kley rentrait à pied au Major après une énième soirée en la compagnie de ce “parasite”. Encore une soirée karaoké, qui finit en rires et en disputes. Afin de se changer les esprits, il avait décidé de prendre l’air tandis que le chauffeur l'accompagnait au dernier bus. Cette virée nocturne lui fit le plus grand bien. Elle cessa dès l’instant où il franchit la luxueuse porte en marbre de son deuxième foyer.

Monsieur Gilles ne manquait jamais à l’appel. Le réceptionniste le salua tandis qu’il se demandait depuis combien de temps il travaillait dans cet établissement. L'homme avait un certain âge, mais une peau très peu marquée par les rides. Il avait cela dit les cheveux blancs, mais un corps svelte, tout en longueur. 

Son plus grand atout restait sa chaleur derrière ses airs de gentleman :

  • Soirée difficile ? déduit ce dernier, aux cernes qu'il portait.
  • Si vous saviez… soupira Kley en déposant ses coudes sur le comptoir, ravagé par la fatigue.
  • Judith, n'est-ce pas ? souffla le réceptionniste. Cette jeune fille ne manque pas de tempérament et prend beaucoup de place.
  • Je n’ai pas le droit de dire du mal de mes clientes, débuta Kley, embêté. Mais oui, elle est un peu fatiguante.
  • Je la trouve très attachante au contraire !

La voix qu’il reconnut aussitôt irrita Kley. Dans un grand peignoir aussi noir que sa chevelure bien rangée, Adam apparut. Ce dernier s’appuya également au comptoir, du côté du réceptionniste, et en offrant la vue sur son torse sculpté. Il faisait face à son junior qui cherchait encore à savoir comment ce type résistait à la fatigue.

L’attitude fouineuse de l’apollon l’exaspérait, ainsi que la manière dont il paraissait toujours clinquant. 

  • En manque de clientes, Adam ? grogna-t-il.
  • Tu sais que je suis plutôt demander le dimanche. De plus en plus, d’ailleurs. Amen, déclama-t-il en lui adressant un clin d'œil.

Le ton qu'il employa sous-entendait quelque chose, et le comportement de Monsieur Gilles le confirma.

  • T'insinue quoi ? lui demanda-t-il en voyant le réceptionniste enfouir sa tête entre ses épaules.
  • Tout ce temps à t’occuper de Judith… Je crois que tes fidèles clientes sont en manque d’attention…

Une injure semblable à un aboiement sortit de la bouche de Kley qui attrapa violemment l’élégant homme par-dessus le comptoir. Celui-ci se défit de son emprise d’un revers de main et prit son temps pour remettre en place le col de son peignoir. Il lui lança ensuite un regard insistant, parcourant de haut en bas le jeune homme qui contenait tant bien que mal sa rage.

  • Il est inutile de s’énerver, ricana Adam.
  • Tu te fous de ma gueule ?! T’as aucun honneur ! Voler les clientes des autres, c’est…
  • Je n’ai rien voler. Elles sont simplement venues à moi, car tu es “inaccessible” ces derniers temps...
  • Parce que c’est ma faute, peut-être ?! À cause d’elle, je…
  • Quelle colère ! Ma parole, tu as vraiment besoin de te décharger. Ça fait combien de temps que tu ne l’as plus fait, dis-moi ?
  • Va te faire foutre, marmonna-t-il, le teint rougie.

Kley s’éloigna instantanément des deux hommes pour rejoindre l’ascenseur avec l’espoir de les voir disparaître. Trop lent à son goût, il jura en collant un poing dans la machine et emprunta les escaliers pour retourner dans sa chambre. Il pesta tout du long contre Adam. Il ne le supportait pas, car il le prenait toujours de haut. Il ne le supportait pas, car il attirait toujours les meilleures clientes. Il ne le supportait pas, car il avait toujours une longueur d’avance. Chacun de ses mots étaient pesés et destinés à le rabaisser, un peu plus que les autres jours. C’était un pauvre type, hautain, qui n’avait aucune notion de fidélité et de loyauté. Il le savait. Dès lors que Judith était apparue, il avait compris qu’il aurait moins de temps pour ses autres clientes, mais delà à ce qu’elles se réfugient chez ce crétin… L’idée lui était insupportable.

Et Judith ? Combien de temps allait-elle encore lui prendre ? Combien de clientes allait-elle remplacer et lui faire perdre ? Il en allait de même pour l’argent, sachant que les tarifs “safes” étaient les plus bas. Elle s’imposait non pas comme une cliente fidèle, mais permanente, l’empêchant de satisfaire les besoins de toutes ses autres amantes. Il pensait qu’elle en jouait, dans le but de le faire craquer.

En claquant la porte derrière lui, il évita de répondre au salut d’un collègue. Il arracha sa chemise et se jeta avec dans son lit. Tandis qu’il agrippait le bout de tissu, sa main libre prit le chemin de sa ceinture. Le bout en cuir fouetta son jeans et ses doigts jouaient des boutons qui sautèrent un à un. Il se regarda enfermer son sexe dans la paume de sa main grâce au miroir au dessus de son lit, puis ferma les yeux, s’attelant à sa tâche. Il n’y avait aucune retenue dans ses mouvements, rapides, pressés, presque incontrôlés. Un plaisir douloureux se concentra au niveau de son membre gonflé. Le plaisir tendait chacun de ses muscles et provoquait un feu dans son bras gauche. Il grignotait ses lèvres, retenant son souffle qui se délivrait en respiration saccadées. Un acte impulsif qui faisait apparaître une veine sur son front et d’autres le long de son cou. La libération tardant à venir, il mit un coup de bassin dans le vide et accéléra le va et vient. Des spasmes gagnait alors son corps. Il recouvrit le bout de son sexe de ses deux mains pour réceptionner le liquide chaud. Un long râle s’ensuivit, s’enfonçant un peu plus dans la couche matelassée du lit en position d'étoile de mer. Le regard qu’il se jeta à lui-même ne montra qu’un court soulagement, l’angoisse reprenant aussitôt le dessus, mêlé à un besoin urgent de tenir une femme dans ses bras.

***

Au rez-de-chaussée, l’homme qui lui avait valu tant de colère dégustait un café en compagnie de son compagnon préféré, Monsieur Gilles. Celui-ci buvait un thé chaud tout en jetant un œil aux dossiers. Une cliente, envoûtée par le charme d’Adam, et qui “passait par là”, demanda un rendez-vous avec Kley pour le mercredi à venir. Il dut l’éconduire, constatant que ce dernier servait déjà quelqu’un d’autre ce jour-là. Personne d’autre que Judith. Ne pouvant pas lui promettre une soirée en sa compagnie prochainement, il l’invita à reprendre contact avec eux le plus vite possible. La dame rebroussa chemin, jetant un dernier œil à l’homme séduisant qu’elle peinait à quitter.

  • Je suppose qu’elle reviendra, sourit ce dernier en la regardant s’éloigner.
  • Adam, est-ce vraiment nécessaire de l’énerver davantage ?
  • Ce Kley… Il est encore jeune, on ne peut pas lui en vouloir de s’énerver si facilement.
  • … En plus de la fougue adolescente, on doit lui accorder le fait que ce n’est pas évident pour lui.

Il y eut un blanc entre les deux hommes. Atterrir dans un tel endroit relevait rarement d’un premier choix.

  • Puis-je savoir comment diable te tiens-tu au courant de son activité sexuelle ?
  • Voyons, ça se voit à des kilomètres qu’il est frustré et puis, j’ai eu confirmation lorsque ses clientes ont déboulées les unes après les autres dans mon lit.
  • Il a sûrement peur de les perdre. Kley a un réseau solide pourtant, mais juste à cause d’une unique jeune fille…
  • Ça ne lui fera pas de mal de coucher avec une jeune fille de son âge, pour une fois, rit-il.
  • Elle a été claire. Judith cherche un homme plus mature, comme toi. Penses-tu vraiment qu’il puisse se passer quelque chose entre ces deux-là ? Ce sont des gamins et davantage quand ils sont ensemble. Ils se chamaillent sans cesse.

En guise de réponse, il tapota amicalement la tête du réceptionniste, comme il l'aurait fait avec un chiot. 

  • Je monte me coucher, déclara-t-il. J’ai une journée chargée demain, bonne nuit.

Le cordon de son peignoir traînait derrière lui tandis qu’il montait par l’escalier précédemment emprunté par Kley. À moitié-nu, il se promenait dans les couloirs, sans aucune pudeur. Les femmes qui sortaient des chambres en compagnie de leur jouet du soir ne pouvaient s’empêcher d’admirer l’homme qui fredonnait sur son passage. Il marmonnait quelques mots en anglais, arrivant au pas de la porte de sa chambre et fit tourner sa clé autour de son index, chantant maintenant à voix haute :

It’s love.

Yes, all we’re looking for is love from someone else.*

*C'est l'amour.

Oui, tout ce que nous cherchons est l'amour de quelqu'un d'autre.

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