Inspection surprise !

7 minutes de lecture

Le soleil sur ses écailles le réchauffait tandis qu’il se prélassait. Sa terrasse était aménagée depuis plusieurs mois, des fleurs fraîchement plantées dégageaient un doux parfum et un trou lui permettait de se rouler confortablement. Galdur n’avait rien rapporté d’étrange, mais il était loin d’avoir fait des travaux dans toutes les pièces. Opalis n’était pas rassuré, mais pouvoir profiter de son pactole, après des mois de galère, c’était tout de même un sacré calmant pour ses nerfs.

Ydulria se tenait à peu près tranquille, car il avait payé un jardinier pour la rempoter et lui donner un peu d’engrais il y a quelques semaines. Il l’avait aussi rapprochée de la porte d’entrée pour que l’air frais et la lumière lui parviennent de plein fouet. Elle restait peu polie envers lui cependant.

Ses matinées se résumaient à prendre le soleil et apprécier le paysage à couper le souffle qui s’étalait sous sa montagne. Par beau temps il voyait même les premières civilisations, les fumées qui s’élevaient des chaumières. L’après-midi, en revanche, l’ennui commençait à se faire doucement sentir. Opalis testait des occupations diverses et variées pour s’occuper l’esprit et ne plus penser à Yowah et ses activités… irrégulières. Rien que le mot était difficile à penser.

Malgré l’espoir qu’il avait eu d’oublier les lettres, il les revoyait en détail et à chaque fois il était un peu plus persuadé de sa culpabilité. Trafic et vol d’œuvres d’art. Opalis n’aurait jamais imaginé cela d’elle. Et l’ouvrier mort… Comment avait-elle pu faire cela ? C’était au cours d’une de ses réflexions que des coups retentirent contre sa porte. Cela le surprit tellement qu’il trébucha et s’écroula museau le premier contre le sol dans un grand bruit.

— Qu’est-ce que tu fous encore ? s’irrita Ydulria.

De nouveaux coups le poussèrent à vite se relever. Il secoua la patte en direction de la plante pour lui signifier de se taire. Le battant s’ouvrit en grand et son regard toujours un peu troublé par la chute, il aperçut une gobeline à lunettes la main encore levée pour toquer. Elle se redressa et s’annonça :

— Bien le bonjour, je suis Madame Bouriou, inspectrice des impôts. Vous avez tardé à ouvrir.

— Oh ! Heu bonjour, désolé je suis tombé à cause de la surprise. C’est pas tous les jours que quelqu’un monte jusqu’ici.

Elle rajusta ses lunettes et s’imposa pour passer le seuil. D’un œil, il pouvait la voir évaluer sa demeure, sans gêne. La gobeline déposa ses affaires sur le sol juste à côté du meuble d’Ydulria et extirpa de son sac une plaque de bois qui servait d’écriteau portatif.

— Je vous stipule donc que je vais procéder à l’inspection de votre domicile pour vérifier l’exactitude de votre précédente déclaration, découlant de l’héritage que vous avez reçu. Vous ne pouvez vous y soustraire selon l’article n° 1 du code fiscal. Veuillez me laisser faire mon travail, et n’intervenir seulement lorsque je vous le demande.

Opalis la guida à travers la caverne, et la regarda évaluer chaque tas d’or, coffres et sac. Il lui suffisait d’un coup d’œil pour compter approximativement la valeur de ce qu’elle voyait. Salle après salle, elle posait quelques questions pour vérifier que les biens correspondaient à ce qu’il y avait sur sa déclaration.

Le dragon suivait, rongé par la nervosité. Lui n’avait rien fait de mal, et il avait confiance en sa déclaration, pourtant il était stressé par la situation. Pourquoi ? Il n’arrivait pas à poser la griffe dessus, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’avant que la gobeline frappe à la porte il songeait à toutes les preuves qui pointaient vers sa grande tante et ses activités… hors légalité. Est-ce que ça pouvait se voir dans ses yeux ? Il avait l’impression que la situation allait lui exploser à la figure d’un instant à l’autre. Il tâcha de contrôler ses réactions physiques dont il n’avait pas conscience jusqu’ici, et arrêta de basculer son poids d’une patte sur l’autre.

Plusieurs heures s’écoulèrent ainsi, et il se détendit peu à peu.

— Très bien, tout semble en ordre. Je vais pouvoir remplir les papiers d’inspection, déclara Madame Bouriou avec un sourire.

Avec ces mots, il eut l’impression que le voile qui pesait sur son futur venait de se lever. Cette dernière épreuve passée, il visualisait tout ce qui s’ouvrait à lui : d’abord le fruit d’Ydulria presque à maturité, peut-être une dragonne intelligente, une visite de ses parents… La gobeline rangea ses fichiers dans sa sacoche et parut immédiatement plus décontractée maintenant que c’était terminé. Opalis fut même surpris quand elle lui demanda :

— Je peux faire un tour du reste de la propriété ? Elle est très jolie.

— Heu oui, bien sûr.

Il n’aimait pas l’idée de la laisser vagabonder dans sa maison, mais la mettre à la porte serait trop suspect. Alors il lui montra le jardin tant qu’il faisait encore jour, pour apprécier le mélange du paysage et des compositions florales. Puis il lui montra les salles intérieures, telles que la pièce de vie où il entassait plusieurs matériels d’arts différents. Des ébauches de toiles non terminées, à la gouache, à l’aquarelle ou à l’encre. Des morceaux de bois où il avait tenté de graver avec son feu des formes abstraites.

— Je vois que vous testez plein de choses, vous devez trouver le temps long par ici, non ?

— En effet, l’ennui est compliqué chez les dragons. C’est très connu.

— En plus, il est chiant quand il s’ennuie, radota Ydulria depuis le hall.

— Qui est là ?

La gobeline se retourna brutalement et se dirigea vers l’entrée. Sa posture redevint sérieuse et elle fixa Opalis dans l’attente d’une réponse.

— J’ai une plante qui parle, c’est un peu compliqué. Je lui ai dit de se tenir tranquille le temps de la visite parce qu’elle est très bavarde et elle vous aurait dérangé. J’aurais dû vous dire qu’elle était là.

— En effet, vous auriez dû.

La bouche de la gobeline s’était transformée en une fine ligne. Elle fixait Ydulria dont le visage grossier s’était affiché sur sa feuille principale. Elle rouvrit sa sacoche pour en tirer une feuille vierge et son crayon. Opalis était figé, il n’osait plus respirer. Que faisait-elle ? Ses doigts griffus griffonnaient frénétiquement et le bruit du frottement risquait bien de le rendre fou si elle n’expliquait rien.

— Je vais choisir de croire que vous ignoriez l’existence de la déclaration concernant les habitants non indépendants, comme cette plante. J’ai donc noté de vous envoyer les papiers pour remédier à cette erreur.

Opalis laissa échapper un soupir de soulagement qui fit dresser un sourcil suspicieux à Madame Bouriou. Il se reprit et balbutia des excuses et un remerciement un peu tremblant.

— Cependant…

— Oui ?

Opalis sourit, désireux de montrer sa bonne volonté.

— Je vais vérifier les dernières pièces pour m’assurer qu’il n’y ait pas d’autres habitants non déclarés. Je vais commencer par celle-ci, dit-elle en désignant la statue de dragon festoyant sur une oie.

Le garde-manger avait grandement diminué depuis qu’il se faisait livrer chaque semaine. Il avait suspendu au plafond quelques bouquets d’herbes aromatiques et des condiments sur les étagères pour les jours où il souhaitait relever le goût de la viande.

Alors qu’elle faisait le tour de cette pièce, son pied buta sur une aspérité du sol. Au ralenti, Opalis la vit perdre l’équilibre et se rattraper au mur. Sauf que cela n’eut aucun effet. Sa main s’était enfoncée dans la paroi et elle poussa un cri en la voyant disparaître derrière une illusion.

Opalis, la gueule ouverte par le choc, voulut se précipiter à son secours, mais elle hurla :

— Restez là où vous êtes.

Dans sa paume se trouvait une petite fiole qu’elle broya avec force. Avant même que la poussière ne tombe au sol, elle était entourée d’une aura écaillée irisée. C’était une mesure de protection nécessaire pour les contrôleurs afin d’éviter les agressions, incinérations, disparitions, malédictions et autres —ions. Ce sort était rare, car il nécessitait une écaille de dragon. Et il avait mis deux des siennes sur le marché récemment… Elle poussa sa main dans l’illusion en gardant un œil sur lui et un cliquetis retentit dans la pièce.

Malgré tous ses efforts pour accomplir les procédures dans les règles, tout s’écroulait par une découverte au hasard d’une chute malencontreuse. Opalis sentit que la situation lui échappait. Le bâtisseur humain avait bel et bien créé une salle secrète pour Yowah. Ce qui voulait dire… qu’elle était allée jusqu’à le tuer pour qu’il ne la dénonce pas. Alors que la réalisation horrifiée le frappait, un pan du mur derrière lui glissait sur le côté.

Son odorat su bien avant de le voir. C’était de l’or. Beaucoup d’or.

Son cœur semblait vouloir sortir de sa cage thoracique et avec la panique, il perdit presque le contrôle de ses flammes. Le dragon d’opale se retourna vers la gobeline pour tenter de lui expliquer qu’il ne comprenait pas, mais il vit sur son visage qu’elle ne le croirait pas. Elle s’était déjà fait son avis sur lui et l’agitation d’Opalis ne faisait que renforcer l’impression de sa culpabilité.

— Je sais de quoi ça à l’air, mais je vous jure que je ne savais pas que c’était là ! C’est la première fois que je vois tout ça !

Il fit un grand mouvement d’aile pour tenter d’appuyer ses dires et Madame Bouriou recula précipitamment.

— Vous êtes en état d’arrestation. Les chefs d’accusation seront déterminés au cours des investigations. Si vous ne coopérez pas, je serais obligée d’utiliser des mesures restrictives.

Elle tendait les mains devant elle dans une tentative de l’apaiser. Dans sa sacoche attendaient des rubans enchantés capables d’immobiliser n’importe quelle créature. Étant donné qu’il ne voulait pas avoir les ailes entravées, il les replia. La gobeline envoya un bâillon ensorcelé lui barrer la gueule avant de l’escorter hors de sa propre grotte. L’humiliation lui brûlait la gorge, quand il passa devant Ydulria. Elle était bien réveillée, et ses yeux globuleux se posèrent sur le dragon avec un sourire vainqueur.

— Ah ben ça ! Le karma t’a rattrapé sans que tu t’y attendes au final.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Manon Gougne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0