Perdre le papier les plus important ? Jamais !

6 minutes de lecture

Les jades coulaient dans sa paume et terminaient dans le sac en velours vert dédié à cette pierre. Des tas d’autres sacs de couleur s’étalaient devant lui. Il était enfin temps de compter les pierres précieuses pour clôturer sa déclaration d’héritage. Et heureusement ! Sa date limite s’approchait à grands pas…

Son regard se perdit un instant dans le vide en pensant à tous ces mois passés à vivre entouré de richesses sans pouvoir les dépenser. C’était une véritable torture, il mourrait d’envie d’aménager la grotte selon ses goûts, mais ne pouvait puiser dans ses réserves personnelles. Opalis les avait déjà largement entamées en achetant des talismans de protection contre les nuisibles tels que les lutins trésors. Les morceaux de cuivre gravés de runes torsadées ornaient dorénavant chaque ouverture. La sécurité d’esprit apportée lui avait permis de terminer rapidement la comptabilisation des pièces d’or malgré les plaintes régulières d’Ydulria.

L’odeur de brûlé mélangée au poisson fermenté continuait d’imprégner la grotte et bien sûr cela incommodait la plante au-delà du supportable. Elle pouvait passer des heures à gémir en boucle les mêmes réclamations impossibles. Cependant il se demandait si ce n’était pas un effet secondaire du fruit qu’elle était en train de produire. Depuis une semaine, une petite cosse verte s’élevait au centre de ses feuilles et poussait lentement. Les promesses qui flottaient autour le faisaient saliver d’avance. Les mois d’attente seraient longs…

Heureusement, ils s’adressaient de nouveau la parole sans hurler. Opalis avait mis du temps à accepter qu’il ne puisse la convaincre de retirer ses allégations, car elle les croyait véridiques. Il ne pourrait que tenter d’argumenter quand il aurait des preuves solides, avec ce vendeur. Maintenant ils ne parlaient plus de Yowah : le dragon se contentait d’écouter ses réquisitions sans fin, et la plante s’agaçait quand il l’interpellait pour combler le vide. Ils trouvaient une espèce d’équilibre précaire.

Il réfléchissait tout de même à accéder à certaines demandes d’Ydulria, comme la rapprocher de l’entrée pour qu’elle profite du soleil en abondance. Par la même occasion, ses moyens lui permettront bientôt de personnaliser quelques pièces selon ses goûts, et il se voyait bien profiter d’une belle terrasse à flanc de falaise.

Pour accomplir ce rêve, il devait terminer ses comptes. C’était son objectif du jour, et il ne se coucherait pas tant qu’il ne l’avait pas atteint. Les flammes des torches se reflétaient sur les pierres polies. La soirée commençait et il n’avait même pas envie de croquer les côtes de biche qui l’attendait dans son garde-manger.

Les dernières pierres faisaient grandir le sentiment d’accomplissement en son cœur. Le dragon faillit rosir de plaisir en prenant le rubis taillé comme une griffe qui marqua la fin. Il nota sur le parchemin ses caractéristiques et souffla. L’héritage de sa grande tante était enfin répertorié.

— C’est fini !

Il se permit une petite danse de la joie avant de quitter la salle.

— Tu entends Ydulria ? J’ai terminé !

Avant qu’il n’allume la torche, il discerna la plante qui sortait de son sommeil avec un mouvement de feuille brusque. Il la connaissait maintenant tellement bien qu’il savait exactement ses humeurs et ses mimiques. Était-elle irritée par son cri ou par le fait qu’il ait fini ?

— Pas besoin de s’époumoner, frémissa-t-elle. C’est pas si incroyable que ça…

— Je ne te laisserai pas me gâcher ma joie, Ydulria. Je vais enfin pouvoir passer à autre chose et profiter, sourit-il de tous ses crocs.

Après tant de temps concentré sur cet unique projet, il avait du mal à envisager la suite. Mais pour l’instant, il avait bien le droit à quelques heures de repos bien mérité.

Il s’assoupit après avoir copieusement mangé, satisfait d’avoir enfin terminé. En avance par-dessus le marché. Il eut l’impression de n’avoir dormi que quelques minutes quand il se redressa dans le noir. Une pensée venait de le traverser.

— Merde ! Où est-ce que j’envoie tout ça ? hurla-t-il, paniqué.

— Aaaah ! sursauta Ydulria depuis le hall. Espèce de fou ! Tu veux que je fasse une crise de chlorophylle ?!

Il était déjà levé, s’éclairant avec ses flammes pour fouiller frénétiquement les papiers entreposés dans sa chambre. Il ne se rappelait même plus avoir vu l’information. Pourtant le service des impôts devait bien lui avoir donné ! Avec tous les rangements qu’il avait faits, il n’était plus très sûr d’où il avait mis le parchemin qui l’avait accueilli quand il était arrivé dans la grotte.

— Ydulria est-ce que tu te souviens où j’ai mis les feuilles des impôts ?

— Comme si je pouvais savoir ! Je suis enracinée ici, moi !

Il ne répondit pas. Dans sa tête, il passait en revue tous les archivages pour tenter de réveiller sa mémoire. Opalis passa les heures suivantes à éplucher les multiples piles de papier, les siens et ceux de sa tante, qui trainaient dans sa chambre. Avec la fatigue, les lignes se confondaient, se mélangeaient et les lettres devenaient floues. Impossible de se recoucher, il n’arriverait pas à refermer les yeux avant de trouver cette adresse.

Alors qu’il vidait totalement un coffre, sa griffe tapa contre le fond en bois et un bruit creux l’interpella. Il s’immobilisa et recommença pour être sûr de n’avoir pas halluciné de fatigue. Il y avait bien un faux fond. Après quelques secondes pour le désolidariser, des enveloppes décachetées tombèrent sur le sol. Elles étaient jaunies par le temps et craquelèrent quand il les ouvrit.

La première chose qui le désarçonna fut la destinataire : « Discrète ». Était-ce sa grande tante ? Pourquoi un surnom comme celui-ci ? Par la suite, il était question d’un collectionneur qui cherchait une œuvre spécifique et demandait à « Discrète » de lui procurer par tous les moyens. Même si les mots utilisés n’étaient pas exactement cela, c’était l’idée. Son cœur s’emballa à mesure qu’il prenait la mesure de tout ce qui était sous-entendu. Certaines étaient datées d’il y a plusieurs décennies, et la plus récente de deux ans environ avant sa mort. Il était question d’échanges, de paiement, de livraison, de rendez-vous… Jamais de détails, mais c’était inutile pour comprendre l’ensemble.

Tout cela donnait raison à Ydulria.

Yowah de Risoh, sa grand-tante, trempait dans des activités illégales. Il ne pouvait pas y croire. Les feuilles lui tombèrent des pattes. Sa fortune était peut-être entièrement bâtie sur le vol… Il ne fut pas long à comprendre que s’il dénonçait quoi que ce soit, son héritage lui serait arraché alors même qu’il n’en profitait pas encore. Sans réfléchir davantage, il incendia toutes les lettres, même celles qu’il n’avait pas parcourues. Les cendres s’envolèrent et bientôt il ne resta plus rien. Ne serait-ce qu’y penser lui semblait déjà trop dangereux.

Alors il enfouit toute cette scène et se secoua pour passer à autre chose. Il se focalisa sur l’objet de son insomnie. Il avait fouillé tous les coffres, lu tous les parchemins et il ne retrouvait pas le papier important. Opalis visualisait encore le moment où il l’avait déployé pour la première fois en arrivant ici. C’était si clair dans son esprit et pourtant il n’était pas là. Pour faire descendre sa frustration grandissante et se maintenir éveillé, il marcha de long en large, à travers toutes les pièces. Alors qu’il faisait un demi-tour dans une des salles au trésor, ses yeux tiquèrent sur un rectangle blanc à droite de l’ouverture. Sa patte s’arrêta en l’air et il se demanda s’il était si bête que ça.

— Non… Quand même pas ?

Le dragon n’en revenait pas alors même que sa mémoire se réveillait. Il y a plusieurs mois il avait suspendu le parchemin bien en vue pour le consulter si nécessaire. Et voilà qu’il s’était tellement incorporé dans le paysage qu’il ne le voyait même plus ! Un éclat de rire nerveux lui échappa alors qu’il parcourait les lignes. L’adresse était là, tout simplement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Manon Gougne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0