Éradication de nuisible

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L’odeur de poisson empuantissait toute la caverne. Cela ne faisait qu’une heure que le piège attendait ses proies et Opalis n’en pouvait déjà plus. Tant que le pot était fermé, il avait réussi à vider une des salles de trésors pour y installer les fausses pièces de bois, mais à son ouverture…

Ses sens délicats avaient été agressés si violemment qu’il avait fui à l’extérieur, sans penser à Ydulria. Malgré sa propre odeur de rejets racinaires, elle se plaignait abondamment de l’émanation nauséabonde qui s’infiltrait partout.

— Reviens me chercher, espèce de lâche !

Allongé à l’extérieur, il l’entendait à travers la porte fermée. Elle n’arrêtait pas de l’interpeller dans l’espoir d’être sortie de la caverne. Vu la taille de son pot et le poids qu’elle devait faire, avec toute la terre et ses nombreux feuillages, Opalis se voyait mal la déplacer facilement donc il ne tentait rien.

— Bourreau ! Criminel ! Sadique !

Il devait l’avouer, c’était aussi une manière détournée de se venger un peu de la dure vie qu’elle lui menait. Depuis qu’il était arrivé, il ne se souvenait pas d’avoir entendu une phrase non insultante sortir de cette plante toujours de mauvaise humeur. Elle lui tapait sur les nerfs sans arrêt, et comme il n’était pas un dragon du genre à martyriser en retour, il ne répondait que peu. Opalis sentait sa patience à son égard s’amenuiser peu à peu. À cause de la fleur, elle deviendrait peut-être encore plus terrible et rien qu’à cette pensée il frissonna. Heureusement qu’un « enchantement du dragon » était à la clé. Le nom l’intriguait et l’excitation d’y goûter le faisait tenir.

Il s’écarta encore pour ne plus l’entendre, en gardant tout de même un œil sur la porte d’entrée. La présence d’un dragon dans les parages devait s’être ébruitée, mais des voleurs pouvaient être assez stupides pour tenter le coup. Les heures passèrent et le moment d’enfin exterminer ses invités indésirables arriva. Il se prépara à affronter l’intérieur et respira l’air frais une dernière fois. Ses poumons de dragon étaient puissants, il comptait dessus pour ne pas inspirer avant de s’être débarrassé des lutins trésors.

La porte s’ouvrit en grand, et ses naseaux agressés se fermèrent. L’or toujours sur la pierre étincelait si fort qu’il voyait à peine Ydulria au fond du hall, laissant tomber ses longues feuilles dramatiquement vers le sol. Sa chlorophylle s’agita en sentant la lumière de fin d’après-midi et elle revint à la vie tout aussi dramatiquement.

Il ne s’arrêta pas devant elle et s’engagea dans la salle du trésor. Le poisson qu’il avait déposé au fond était amputé de nombreux morceaux de chair. Les pièces de bois camouflées d’or étaient parfois secouées par de minuscules mouvements. Il réussit à apercevoir du coin de l’œil des petits bouts de peaux dorées qui se figeaient dès que son regard tombait dessus.

Il ne prit pas plus de temps avant de remplir ses larges poumons et de cracher un feu digne du soleil dans la grotte. Sa colère contre ces petits profiteurs et le retard qu’il prenait l’alimentait. Il dirigea les flammes dans les moindres recoins, des cris d’agonie retentirent pendant quelques secondes. Son feu se tarit. Les cendres obstruaient sa vision, voletaient dans toute la pièce, se déposaient sur les murs, les plafonds et ses écailles.

De ses pattes et sa longue queue il fouilla les tas de charbons encore incandescents au sol pour vérifier que la totalité du contenu était incinérée. Au moindre doute il forçait pour sortir encore des flammes bien que sa réserve soit faible. Il toussait de plus en plus et sortit enfin pour prendre l’air, tandis qu’Ydulria se plaignait toujours en fond. Maintenant qu’il était débarrassé des lutins, il devait s’assurer qu’ils ne reviennent plus jamais. Le lendemain il est prévu de retourner au magasin de magie rustique — avec de l’argent cette fois-ci — pour acheter des sorts de protection divers et peut-être un moyen de nettoyer toute cette suie.

Une odeur de bois brûlé se mélangeait à celle du poisson, lui rappelant les jours heureux où il avait appris à cracher ses premières flammes en compagnie de ses parents. Cela faisait plusieurs décennies qu’ils étaient partis dans un autre royaume et qu’il n’avait plus de nouvelles d’eux. Les dragons étaient des êtres peu avides de liens sociaux et familiaux. Alors il n’était pas inquiet ou même vexé de ce manque d’attention. Peut-être penseraient-ils à le contacter pour son premier siècle, un passage très symbolique pour un dragon ? Alors qu’il rentrait, sa nostalgie fut entachée par la voix criarde d’Ydulria :

— Ah bah maintenant ça sent le cramé en plus du poisson ! Ta caverne va puer pendant des semaines après ça, c’est le karma qui te punit de m’avoir abandonné à l’intérieur, l’accusa-t-elle.

Opalis la voyait au bout du couloir, et la colère le surprit si vite qu’il ne put se retenir de gronder :

— Ce n’est pas si grave pour toi, ils ne t’ont rien grignoté d’important alors arrête de tout ramener à toi.

— Tu ne te rends pas compte ! J’ai l’impression qu’on a brûlé toute ma famille à côté de moi, c’est horrible pour mes nerfs si fragiles. Surtout alors que je suis en train de préparer le fruit le plus précieux pour toi.

— Si tu as une si grande valeur, alors qu’est-ce que tu fais là ?! Pourquoi personne de plus « méritant » ne t’a acheté ? Peut-être qu’en fait… tu ne vaux rien et tu as juste peur que je me débarrasse de toi ? C’est peut-être ce que je devrais faire pour avoir la paix… menaça-t-il pour la blesser.

Son visage feuillu adopta un air offensé et elle parut prendre une décision impulsive, poussée par la colère.

— Ta grand-tante de malheur, en voilà la raison ! Elle m’a acheté à un vendeur au marché gris en échange d’une énorme livraison mystère. Mais si tu veux me vendre n’hésite surtout pas, je serais bien mieux ailleurs que dans cette grotte puante.

Son intonation très sérieuse, sans l’once de drame habituel, stoppa le dragon dans son élan. Sa parente sur un marché à la limite de la légalité ? D’après les souvenirs qu’il avait de cette dragonne, c’était totalement impossible. Elle était certes désagréable, mais cela ne l’empêchait pas d’être très raffinée et proche de la haute société. Elle voyageait même souvent pour profiter de sa fortune dans des hôtels de luxe. Pas du tout du genre à flirter avec l’interdit.

— Ydulria ce n’est pas possible. Dis-moi la vérité au lieu de sortir des inepties, hésita-t-il.

— C’est la vérité ! Je n’ai jamais su contre quoi elle m’a échangé, mais elle a toujours été étrange. Elle n’était pas claire cette dragonne, je te le dis !

— Des mensonges ! Pourquoi tu n’aurais rien dit jusqu’ici ?

— Je parle pas mal des morts, c’est mauvais pour le karma. Crois ce que tu veux, je sais ce que j’ai entendu du fond de ma caisse.

La confusion s’emparait de lui à mesure qu’il essayait de comprendre ce que la plante clamait. Il ne voulait pas lui montrer que cela le faisait réfléchir, qu’elle avait le pouvoir de lui faire douter de sa famille. D’un regard dédaigneux, il disparut dans ses salles au trésor pour ranger l’anarchie environnante.

Il occupa sa soirée par la reproduction des parchemins épargnés par les lutins trésors. En avoir deux copies, stockées en des endroits différents, était plus sûr comme le lui avait prouvé cette infernale journée. Ydulria se taisait, ne frémissait même pas, et il ne chercha pas à continuer la conversation non plus. Ce qu’elle lui avait dit tournoyait dans ses pensées sans qu’il parvienne à y mettre de l'ordre. Elle devait avoir mal compris la situation et l’évaluer selon un angle négatif, car elle haïssait sa grand-tante. À vouloir trouver des défauts à tout prix, Ydulria devait s’être convaincue elle-même d’une fausse réalité.

Une idée germa dans son esprit… Pour lui prouver le contraire, il pouvait essayer de demander au revendeur les détails de la transaction ? Opalis pourrait alors s’assurer que rien n’était illicite et faire taire les accusations de la plante une bonne fois pour toutes. Mais retrouver ce vendeur après des années ne serait pas une tâche facile et il devait déjà terminer de comptabiliser son héritage pour sa déclaration. La fin du délai se rapprochait plus vite qu’il l’avait estimé, surtout avec le retard provoqué par les lutins trésors.

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