Le sceau des impôts brûle les yeux

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Un filet d’eau lui chatouilla le naseau gauche et le tira de ses rêves. Il s’était encore décalé de la zone sèche où il pouvait s’allonger sans subir de goutte-à-goutte. Sommeil agité par le manque d’or, sans doute. Ses pattes ne disparaissaient même pas sous un flot de piécettes, ce n’était donc pas assez pour dormir confortablement.

Opalis se secoua pour profiter des premiers rayons de soleil. L’aube sur ses écailles dessinait des motifs iridescents qu’il ne se lassait pas d’observer. Il attendait par la même occasion la livraison de viande, il ne fallait pas la rater comme la semaine précédente. Le livreur se trompait sans arrêt entre les morceaux de sanglier et de biche ! Au loin il devina une silhouette humanoïde chargée d’un lourd paquetage, qui volait péniblement. Sa grotte était loin de tout et devait être ravitaillée exclusivement par la voie des airs. Il était bien ici, même si ce n’était pas à la hauteur du loyer.

Le plafond trop bas par endroit rencontrait trop souvent son crâne à son goût, l’humidité pourrait ternir ses écailles d’opales et les grandes salles ne mettaient pas assez en valeur les petits tas de pièces qu’il possédait. Pourtant, son regard se portait avec bonheur sur la vue qu’il pouvait admirer tous les jours. Sa grotte juste à lui. Son premier chez lui depuis que ses parents l’avaient poussé à partir de son côté.

Ses pensées furent interrompues par les pas précipités du livreur qui atterrissait — très mal — sur son gazon. Ses ailes de chauve-souris collées à son corps d’humain ne le rendaient pas idéal pour le port de charges lourdes, malgré cela c’était tout de même lui qui le faisait. La ruralité et la difficulté de recruter des gens compétents.

— Belle matinée à vous, Opalis du Kirolis, le salua-t-il d’un air enjoué. J’ai une surprise pour vous ce matin !

— Vous avez préparé ma commande sans erreur pour une fois ? grommela-t-il.

— Heu… Je l’espère ? Mais non, c’est autre chose.

Alors qu’il laissait planer un instant de silence, Opalis le regardait comme si sa patience était déjà épuisée. Ce qui n’était pas loin d’être le cas. Les ailes sombres battirent pour masquer sa gêne alors qu’il tira de sa besace une lettre frappée du cachet des impôts. Le dragon plissa les paupières, agressé par la vue du sceau jaune et bleu, synonyme pour les dragons de bien mauvaises nouvelles. Une fois par décennie, ils devaient déclarer or, bijoux, pierres précieuses, armes ouvragées et babioles de valeur et en donner une partie au gouvernement. Une agonie pour un être autant attaché aux belles et brillantes choses. Ses soucis de cuissots de sangliers passèrent au second plan immédiatement.

D’un geste vif, il arracha le papier de la main du coursier et lui grogna de partir. Une patte de dragon n’était pas adaptée pour manipuler un objet aussi petit et fin. Cela le rendait toujours maladroit et il ne voulait pas s’humilier devant son livreur. Il s’enfonça dans la première salle et se débattit quelques instants afin de déchirer l’enveloppe d’une griffe sans abîmer le contenu. Avec un frisson d’appréhension, il sauta les lignes de politesse pour passer à la mauvaise nouvelle. C’était forcément mauvais puisque sa dernière déclaration datait de quatre ans. Est-ce qu’il s’était trompé ? Les impôts n’avaient-il pas assez prélevé de son trésor ?

« Yowah de Risoh qui vous est affiliée, étant la sœur de votre grand-père maternel, est décédée. Sans héritier direct, vous vous trouvez son plus proche descendant dans le royaume de Kesioh. Le devoir de répertorier et déclarer l’intégralité de ses biens, avant de pouvoir en jouir, vous incombe. Si vous refusez ce devoir, le royaume récupérera ses biens. Votre réponse est escomptée dans les six mois suivant la réception de cette lettre. »

C’était inattendu.

Yowah de Risoh ? Il se souvenait de l’avoir rencontré quand il était encore jeune dragonneau. Acariâtre et grincheuse, pas étonnant qu’elle n’ait jamais eu de compagnon et encore moins couvé d’œuf.

Dans l’enveloppe se trouvaient aussi des informations concernant l’emplacement de la grotte, le lieu de sa sépulture, bien loin de son domicile, ce qui suggérait un voyage au final tragique. Rien n’expliquait les raisons de son décès, mais Opalis devait bien admettre que cela l’intéressait peu. Son regard préféra se tourner vers les nombreux formulaires pour clamer son droit sur l’héritage. Certains pour confirmer son identité et celle de son linéage, d’autres pour assurer qu’il était en pleine possession de son esprit et qu’il comprenait les devoirs allant de pair avec cet héritage, et la liste était interminable.

Cependant, il n’était pas sûr de les remplir… Il fallait se déplacer, changer d’environnement, se casser les écailles à compter la moindre pépite d’or. C’était terriblement ennuyant et long.

De l’autre côté, elle devait se noyer dans sa richesse… L’idée que tout ce trésor finisse dans les coffres du roi de Kesioh lui tordait les entrailles.

Peut-être qu’il s’attachait inutilement à un lieu alors qu’il pouvait espérer mieux ? Peut-être que l’aube depuis la grotte de sa grande tante serait encore plus belle ? Et le matelas d’or qui devait s’y trouver améliorerait sans aucun doute son sommeil…

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Une intro qui, je l'espère, vous a plu ^^

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