Arthur

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Quand je rouvre les yeux je suis toujours étalé sur le sol de la cuisine, mon père me surplombant. Je n’ai dû tomber dans l’inconscience que quelques secondes.

– Où étais-tu espèce d’incapable ? enrage mon père. Non ! Ne dis rien, je ne veux pas savoir ! Tu n’es qu’un ingrat, je ne souhaite qu’une chose, que tu partes d’ici au plus vite. Si le lendemain de ta majorité tu n’as pas d’endroit où aller je te mets à la rue. C’est compris ? me lance-t-il, sur un ton qui ne laisse aucun doute sur sa sincérité.

– Oui père, je lui réponds, les yeux baissés vers le sol, il ne faudrait surtout pas que je le « provoque » en le regardant dans les yeux.

Il part de la pièce sans une excuse ou de l’aide pour que je me relève, il est sûrement parti se réfugier dans son bureau. Je me relève tant bien que mal en m’accrochant au plan de travail à côté de moi.

Arrivé devant le couloir je trouve ma sœur m’attendant, le visage froissé par l’inquiétude. En m’entendant arriver elle se redresse et s’avance vers moi. Elle a dû entendre notre père s’énerver contre moi et a décidé de m’attendre pour me soigner après.

– Ça va Arthur ? Question bête pardon, excuse moi, se rattrape-t-elle aussitôt.

– Ne t’excuse pas, je dis avec difficulté avant de me mettre à tousser, ce qui me fait encore plus mal.

Ma sœur s’inquiète encore plus et me demande où il m’a frappé. Je lui dis que je me rappelle de son poing s’écrasant sur mon visage, de mon corps et de ma tête heurtant le sol suite à ce coup, puis plus rien.

D’un geste de la main elle me demande si elle peut soulever mon tee-shirt, je hoche la tête. Elle soulève donc délicatement ce dernier. Vu la grimace que je vois se dessiner sur son visage ce ne doit pas être joli à voir. Je regarde et vois un énorme hématome entre mes côtes et mon ventre, il a dû continuer à me frapper pendant mon inconscience.

Louise me guide jusqu’à mon lit où elle me fait m’allonger. Elle part quelques instants et revient avec une poche de froid qu’elle pose sur l’hématome, je ne cille même pas au contact du froid, comparé à ce que vient de me faire mon père ce n’est rien. Ma sœur reste silencieuse, j’apprécie qu’elle ne me pose pas de questions, elle sait que je lui en parlerais si j’en ressens le besoin plus tard.

(dessin poche de froid)

Sans que je ne m’en rende compte le sommeil me rattrape. Quand je me réveille je sens de gouttes d’eau froide rouler sur mon ventre, la poche s’est complètement décongelée, cela doit faire un moment que je dors.

– A table ! hurle ma mère.

Je me lève, me rhabille correctement et me recoiffe. Une marque commence à se former autour de mon œil, il faudra que je cache ça lundi pour aller à l’école, je demanderais à Louise de me prêter du maquillage.

Pour ne pas me faire engueuler encore plus je me dépêche d’aller manger. Durant tout le repas j’essaie de faire comme si rien ne s’était passé, mon père fait de même. Malgré tout ma mère a bien dû voir les regards noirs que son mari m’envoyait. En tout cas, elle ne dit rien pour l’instant.

Cette fois-ci mon père est à l’heure pour me prendre mon téléphone, je suppose qu’il le sera aussi pour vérifier si je dors. Que je sorte sans son autorisation n’a vraiment pas dû lui plaire, et le fait que je tente de rentrer par derrière, en toute discrétion, en croyant échapper à ses foudres, n’a fait qu’empirer les choses.

Comme tous les soirs depuis plus d’un mois nous nous envoyons des messages avec Damien. Il est rare que ce soit lui qui envoie le premier message, je ne le prends pas pour moi, je sais bien que ce n’est pas son truc. Pourtant aujourd’hui c’est le cas, et cela me fait très plaisir.

(samedi 29 février 22h31)(dessin message Damien : Re-bonjour ! Cela m’a fait très plaisir de te rencontrer aujourd’hui, j’espère qu’à l’avenir on pourra encore se voir.)

Son message est adorable, IL est adorable. Je lui réponds sans tarder.

(22h32)(dessin message Angel : Ça m’a aussi fait très plaisir de te rencontrer.)

J’aimerais bien lui trouver un surnom, ça peut paraître bête comme idée mais je trouve que cela donne l’impression d’être plus proches, plutôt que de simplement s’appeler par nos prénoms. Je lui demande donc quel surnom il aimerait que j’utilise :

(22h32)(dessin message Angel : Dis, j’aimerais te trouver un surnom, est-ce que tu aurais une idée ?)

(22h34)(dessin message Damien : Alors là, tu me poses une colle. Je n’ai aucune idée. Le seul surnom que j’ai c’est « mon ange », ma mère m’appelle tout le temps comme ça. A part celui-là je n’en ai jamais eu.)

Je trouve cela triste qu’il n’ait jamais eu de surnom de la part d’ami.e.s ou de camarades de classe.

(22h35)(dessin message Angel : En tout cas, celui que te donne ta mère est adorable. J’avais pensé à Dam est-ce que ça te convient ?)

Je préfère lui demander son accord pour utiliser ce surnom, j’aimerais le plus possible éviter de déclencher la remontée à la surface de mauvais souvenirs.

(22h36)(dessin message Damien : Cela me convient très bien.)

Après ce message je le vois qui écrit, mais aucun message n’apparaît. Cela dure quelques minutes, puis finalement ce message apparaît :

(22h40)(dessin message Dam : Tu es sûr qua ça va ? Tu as l’air moins expressif (entends par là que tu utilises moins d’émoticônes qu’habituellement).)

Il a remarqué. Il a remarqué un si petit détail. J’ai l’impression qu’il me connaît déjà par cœur. C’est perturbant, et à la fois plaisant.

(22h41)(dessin message Angel : Je suis juste fatigué, ne t’inquiète pas. Aujourd’hui a été une journée riche en émotion.)

J’évite consciemment de lui parler de ce qu’il s’est passé avec mon père. Je ne veux surtout pas qu’il s’inquiète pour moi. Et d’un autre côté j’ai honte, honte de mon père et de sa violence mais aussi honte de me laisser faire. En plus, ce que je lui réponds n’est pas un mensonge, je suis réellement fatigué, peut-être plus par le coup à la tête qui m’a sonné plus que par les émotions d’aujourd’hui, mais au moins ça a le mérite d’être la vérité.

(22h43)(dessin message Dam : D’accord. N’hésite pas à me le dire si je peux faire quoi que ce soit. Repose toi bien, on se parle demain.)

Même après tout ce temps à parler par messages, les siens me paraissent toujours plus froids, mais je sais qu’en réalité il s’inquiète pour moi.

(22h44)(dessin message Angel : Oui, passe une bonne nuit, à demain !)

Le lendemain mon père annonce au dîner que les temps famille le samedi vont reprendre. Personne n’ose dire quoi que ce soit, on a tous remarqué qu’il avait repris du poil de la bête, mieux vaut ne pas le contredire si on ne veut pas finir comme moi la veille.

Après le repas il me demande de venir le voir dans son bureau. Arrivé devant sa porte, l’angoisse monte. Je ne sais pas pourquoi il m’a demandé de venir le voir seul, j’ai un mauvais pressentiment. J’espère que ce n’est pas pour me frapper, je ne me rappelle pas avoir fait quoi que ce soit qui aurait pu l’énerver depuis hier soir.

J’arrête de réfléchir et je toque. Il me hurle de rentrer, une fois cela fait il me fait signe de fermer la porte derrière moi, cela ne fait qu’augmenter mon angoisse, qui, je le pensais, était déjà au maximum, il faut croire que mon père a ce pouvoir sur moi.

Il m’annonce qu’une nouvelle idée lui est venue en tête cette nuit pour être sûr de ce que je fais : il va installer un traceur GPS sur mon téléphone. Comme cela il va pouvoir suivre le moindre de mes mouvements, savoir où je suis à n’importe quel instant.

(dessin boussole)

En revenant dans ma chambre je m’assois à mon bureau. Je reste là à fixer le mur blanc en face de mes yeux. Je n’en reviens pas, il a réussi à trouver quelque chose pour me contrôler encore plus qu’il ne le faisait déjà. Comme si la peur qui m’habitait chaque fois que je faisais quelque chose n’était pas suffisante. Comme si les coups qu’il m’infligeait dès que quelque chose ne lui plaisait pas n’étaient pas suffisants.

Je reste un moment le regard scotché sur ce mur trop blanc, trop parfait. Une envie me démange, celle de prendre un feutre et de gribouiller sur le mur, comme un enfant. J’aimerais tant casser ce cocon si parfait aux yeux des autres et enfin pouvoir montrer la souffrance qu’il cache. J’aimerais tellement pouvoir être moi, sans aucun maquillage recouvrant les coups, sans aucun déguisement cachant mon identité, sans aucun mensonge sortant de ma bouche concernant ma famille.

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