Damien

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Un mois plus tard…

Les messages s’enchaînent, j’y réponds sans vraiment réfléchir, c’est devenu un automatisme. J’aime ce que je fais, et pourquoi je le fais, mais aujourd’hui je ne suis pas dans mon assiette. Mon attention ne cesse de s’envoler, et il devient de plus en plus difficile pour moi de la rattraper.

Mon impression, cette impression de bonheur, n’a pas disparu, mais elle s’est décalée, une pièce a été bougée et je ne sais pas comment faire pour le remettre à sa place.

Depuis un mois des souvenirs de ma relation avec Tristan se présentent devant mes yeux à tous moments, que ce soit la journée ou la nuit, que je sois à l’école ou à la maison. Cela devient vraiment douloureux de revoir tout cela. J’ai l’impression d’être revenu dans le passé, juste après que Tristan ait rompu avec moi, quand j’étais vraiment au fond du trou.

La honte m’a envahi. J’avais honte de ne pas m’en être encore remis, j’avais honte d’être si faible, je me sentais ridicule. Mais au bout d’un mois je ne me sentais toujours pas mieux, alors j’ai décidé de ne pas laisser Tristan m’envahir et me détruire à nouveau. J’en ai parlé à ma psychologue lundi de cette semaine.

Grâce à nos conversations précédentes elle a pu faire le lien avec Angel, ou plutôt avec nos échanges de messages. Mon inconscient a assimilé ceux-ci à ceux que j’ai eu avec Tristan avant que notre relation commence. Il est vrai qu’à cette époque nous passions notre temps à nous parler, il ne se passait pas une heure sans que je n’ai un message de lui. Avec le recul je sais que c’est une forme de manipulation, de contrôle.

Quand elle m’a expliqué cela je me suis vraiment senti mal. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée que mon inconscient associe quelque chose d’agréable, nos bavardages avec Angel, à des souvenirs douloureux, un début de relation toxique. Que mon cerveau compare Angel à Tristan ça n’avait, et n’a, toujours aucun sens. Le premier est une boule de gentillesse pure, alors que le second est un être assoiffé de pouvoir. J’ai de suite écarté l’hypothèse qu’Angel soit en réalité ce genre de personne, je n’y crois pas une seconde.

Après le rendez-vous, c’est comme si tout était devenu flou, mes pensées s’enchaînaient avec, d’un côté, celles qui défendaient Angel et ses bonnes intentions, et de l’autre, celles qui le diabolisaient, me montraient les points communs du début de notre relation avec celui de Tristan et moi.

Je suis rentré chez moi sans m’en être vraiment aperçu, je n’ai même pas remarqué mon chien réclamant sa dose de papouilles, je flottais toujours. Loin d’être sur un nuage de bonheur, c’était un nuage rempli de honte et de colère envers moi-même, je m’en veux toujours d’ailleurs. Ma mère a de suite remarqué que quelque chose n’allait pas et nous en avons parlé. Par la suite j’ai décidé de prendre du temps pour m’éclaircir les idées, nous nous envoyons moins de messages avec Angel, et j’avoue que cela fait comme un vide après un mois à se parler tous les jours.

En arrivant ce matin, nous sommes samedi, pour le bénévolat j’ai expliqué comment je me sentais, sans trop donner de détails non plus, à Loïc, il a compris et m’a donné comme « mission » de répondre aux messages. Je lui suis reconnaissant d’être aussi compréhensif.

Dreling !

Quelqu’un vient de passer la porte du centre, je relève la tête pour voir qui c’est et l’accueillir, le bureau étant en face de la porte j’ai une vue directe. En face de moi se tient une jeune personne vêtue d’un accoutrement bien étrange. Elle ne me voie même pas et regarde directement dans la salle, comme si elle cherchait quelqu’un. Ses épaules se baissent ainsi que son regard, j’en déduis que ses recherches ont été infructueuses. Peut-être pourrais-je l’aider ?

– Vous cherchez quelque chose ? je lui demande.

Je le vois qui sursaute, il ne m’avait vraiment pas vu, cela me fait sourire intérieurement. Il me détaille de son regard bleu perçant. Après quelques secondes il me dit :

– Damien ?

Cela me surprend qu’il connaisse mon nom. Mais en y repensant il a certainement vu mon badge avec mon nom inscrit dessus, j’ai vraiment la tête ailleurs aujourd’hui.

– Oui, c’est ça, je lui réponds.

– C’est Angel, du groupe Discord.

Je suis surpris, je ne m’attendais pas à le voir ici. Je ne l’ai même pas reconnu, il est si différent de sa photo de profil. Je devine que son « déguisement » est justement là pour éviter qu’on ne le reconnaisse. Je ne sais pas pourquoi il fait ça et je vais me retenir de lui demander, c’est beaucoup trop indiscret.

Afin de continuer notre conversation plus calmement je lui fais signe de me suivre dehors.

– Désolé de ne pas t’avoir reconnu tout de suite, tu as l’air si différent de ta photo de profil, dis-je.

Un sourire apparaît sur son visage et il me répond :

– Tu peux dire que je suis ridicule hein. C’est fait exprès pour que personne que je connaisse ne puisse me reconnaître.

– Oh d’accord !

Je ne lui en demande pas plus, c’est à lui de m’en parler quand il en a envie.

– D’ailleurs, que fais-tu ici ? je lui demande.

Je remarque que son visage devient plus sérieux.

– Hum, j’étais inquiet pour toi, tu avais l’air plus distant que d’habitude alors je me suis dit qu’il t’était peut-être arrivé quelque chose. Mais peut-être aussi que tu ne veux plus me parler, que tu en as marre de nos discussions et que tu ne trouvais pas de moyen de me l’annoncer alors tu as décidé de t’éloigner au fur et à…

– Je t’arrête tout de suite, me coupe-t-il.

Son visage devient encore plus inquiet. Je n’aurais jamais pensé qu’il s’inquiéterait autant que cela pour moi, nous nous connaissons à peine. Cela me touche réellement qu’il soit venu me voir pour s’assurer de comment j’allais en personne, il est si facile de mentir par message, alors qu’en vrai, en face à face, cela s’avère être une tâche bien plus complexe. Ce qui m’étonne c’est qu’il pense vraiment que je veux couper les ponts avec lui. Je me sens encore plus coupable d’avoir fait ça, j’aurais dû lui dire que je serais moins présent.

– Si j’étais moins présent ce n’est pas du tout parce que je veux m’éloigner de toi d’accord ? Je suis sincèrement désolé de t’avoir autant inquiété, je m’en veux vraiment de t’avoir mis dans cet état, je m’empresse de le rassurer, essayant d’être le plus sincère possible.

Son visage se détend et il soupire, comme si je venais de lui enlever un énorme poids de ses épaules. Sachant qu’il est anxieux c’est sûrement ce qu’il ressentait.

– Pfiou, je suis en partie soulagé, mais pas entièrement parce que tu ne m’as toujours pas dit ce qui n’allait pas.

C’est vrai que j’ai inconsciemment évité la question, j’étais trop concentré sur comment Angel avait dû se sentir.

– Oui, excuse-moi. Si je te parais plus distant c’est que je le suis, pas parce que je veux m’éloigner de toi comme je te l’ai dit tout à l’heure, mais parce qu’en ce moment de mauvais souvenirs remontent à la surface et avec ma psy on a trouvé la cause, et… Excuse-moi mais ce n’est pas vraiment le bon endroit ni le bon moment pour en parler, je veux vraiment être sincère avec toi sur tout ça, on peut se voir après la permanence pour continuer notre discussion ?

J’étais lancé mais ce n’est pas vraiment sérieux de partir sans prévenir les autres bénévoles. Il me répond que ça ne le gêne pas d’attendre et je retourne travailler à contrecœur.

Mes yeux sont fixés sur l’heure, j’ai l’impression que le temps n’avance pas et c’est une sensation horrible. J’aurais aimé évité de laisser Angel encore dans l’attente pendant vingt minutes. Dès que l’ordinateur indique seize heure je range tout et sors en faisant juste un signe de la main pour dire au revoir aux autres bénévoles.

Arrivé dans le petit parc où m’attendait Angel je le vois allongé sur un banc, l’air perdu dans ses pensées. Son visage me fait vraiment penser à un ange, avec son teint pâle et ses boucles dorées dépassant de son bonnet. Il porte bien son nom, Angel.

Je l’appelle doucement pour éviter de lui faire faire un bond, il sourit et ses joues rosissent un peu mais il ne se redresse toujours pas.

– Angel ? je répète.

Son visage se réveille soudain et il se remet en position assise, l’air gêné que je l’ai surpris en train de rêvasser.

– Oui, oui, je suis là, désolé, dit-il. Au fait, mon vrai prénom c’est Arthur, Angel est juste un pseudo, ajoute-t-il comme s’il venait juste de s’en rappeler.

– D’accord, tu préfères que je t’appelle comment ? je demande.

Il a l’air de réfléchir un peu avant de me répondre. Au bout de quelques secondes il me répond finalement, un sourire naissant sur ses lèvres :

– Angel ça me va.

– Je peux m’asseoir ? je lui demande en pointant bout du doigt le banc où il se trouve déjà.

– Oui bien sûr, me répond-il, me dégageant une petite place à sa droite.

Une fois installé je me lance, sinon je sens que je vais me débiner, je lui explique tout, les souvenirs, le lien qu’a réussi à faire ma psychologue entre nos échanges et ces souvenirs. Mais je lui précise bien que ce n’est aucun cas sa faute, que ce n’est pas lui le problème mais mon stupide inconscient.

Durant tout mon monologue il m’écoute attentivement, je me sens vraiment en confiance, on pourrait se parler des heures durant que je ne m’en lasserais pas.

– Merci de t’être confié à moi, cela me touche vraiment. Je suis désolé de t’avoir fait souffrir inconsciemment, me dit-il.

Je refuse qu’il dise cela et m’apprête à lui couper la parole pour lui dire qu’il n’y est pour rien, que c’est juste mon inconscient qui me joue des tours. Mais il ne me laisse pas le temps de parler et reprend :

– Je sais que ce n’est pas vraiment ma faute mais je tiens à m’excuser quand même.

Je suis vraiment soulagé de m’être confié à lui, un léger sourire se dessine sur mon visage sans que je ne m’en rende compte. J’avais peur de la réaction qu’Angel aurait pu avoir mais au final ça s’est très bien passé, il a été très compréhensif et bienveillant.

– Je te devais bien ça après tout ce que tu as fait parce que tu t’inquiétais pour moi, je lui dis.

– C’est normal, tu es mon ami après tout, répond-il, le regard baissé comme s’il était gêné de dire cela.

Nous continuons de discuter encore quelques instants. Je remarque qu’il jette régulièrement des coups d’œil à sa montre et qu’à chaque fois son visage se crispe d’inquiétude un instant avant qu’il ne replonge dans notre conversation et se détende de nouveau.

Cependant, il me fait savoir qu’il est temps qu’il rentre et nous nous enlaçons pour nous dire au revoir. Cette embrassade a été maladroite d’un côté comme de l’autre, nous ne savions pas trop comment s’y prendre, nous connaissant déjà mais nous voyant pour la première fois seulement.

Dans le train du retour je pense à Tristan et à Angel, je me demande bien pourquoi mon esprit a lié les deux, ils sont totalement différent. En tout cas, voir Angel m’a permis de me rendre compte qu’il est lui aussi un être humain et que cesser de lui parler sans le prévenir n’est pas la solution à mon problème. Je dois continuer de lui parler, parce que c’est quelque chose qui me fait du bien. Peut-être qu’à force mon cerveau arrêtera de l’associer à Tristan ? Je l’espère sincèrement ;

Les trente minutes de trajet sont passées rapidement et me voilà déjà dans ma rue, sur le point d’entrer dans l’immeuble. Je déverrouille la porte, entre, gravis les escaliers, insère la clé dans la serrure, la tourne, pousse la porte et le referme derrière moi. C’est dingue toutes ces petites choses que l’on fait tous les jours et dont on ne se rend même plus compte.

Je vais dans la cuisine, espérant y trouver ma mère, mais tout ce que je trouve est un post-it qu’elle m’a laissé sur la table, indiquant qu’elle est partie faire des courses.

(dessin post-it)

Je lui envoie un message pour la prévenir que je suis rentré, et je lui rappelle aussi de prendre mes céréales. Sa réponse ne tarde pas, elle me dit qu’elle sera de retour dans une vingtaine de minutes. En attendant je décide d’entamer mes devoirs.

A peine ai-je eu le temps de m’installer que le téléphone fixe se met à sonner.

(dessin téléphone fixe)

On fonctionne encore à la vieille école chez nous, entre les post-it et le téléphone fixe. Je décroche :

– Allô ? je demande.

– Oui bonjour, c’est le chef d’Alicia, puis-je lui parler ? Me demande la grosse voixau bout du fil.

– Bonjour, c’est son fils Damien, elle n’est pas là mais je peux lui faire passer un message si vous voulez, je lui réponds.

– Merci jeune homme. Tu pourras lui dire qu’elle peut effectuer une garde supplémentaire ce soir si elle peut ?

Je ne comprends pas pourquoi elle ferait une garde supplémentaire. La dernière fois qu’elle en a fait c’est quand on avait besoin de plus d’argent. Peut-être que c’est le cas et qu’elle ne m’en a pas parlé ?

– Jeune homme ? Tu es toujours là ? m’appelle-t-il.

– Oui oui, pardon. Je lui transmettrais votre message sans problème. Au revoir, lui dis-je en reprenant mes esprits.

– Merci bien. Au revoir jeune homme, dit-il avant de raccrocher.

Je retourne à mes devoirs, ils ne vont pas se faire tout seul malheureusement. Au bout de quelques minutes je remarque que je n’avance pas, un problème de mathématiques pourtant simple n’a toujours pas sa solution d’écrite. Cet appel m’a pas mal perturbé, je me pose des questions sur notre situation financière, ce qui m’empêche de me concentrer correctement. Je décide donc d’attendre le retour de ma mère pour que l’on en parle.

– Salut mon ange ! m’interpelle ma mère d’un ton guilleret quand elle rentre.

– Salut maman, je réponds, d’un ton beaucoup moins joyeux.

– Tu es sûr que ça va mon ange ? s’inquiète tout de suite ma mère.

– Oui, oui, ça va, ne t’inquiète pas, je la rassure.

Elle hoche la tête et s’éloigne vers la cuisine pour ranger les courses. Je la suis pour continuer notre conversation.

– Dis, ton patron a appelé tout à l’heure sur le fixe, je commence.

– Oh ! Il a laissé un message ? me demande-t-elle.

– Oui, il appelait pour te dire que tu pouvais faire une garde supplémentaire ce soir si tu peux, je lui réponds.

– D’accord, je vais le rappeler tout de suite, merci mon ange, me dit-il, comme si tout était normal.

– Je peux te demander quelque chose maman ?

– Oui vas-y mon ange, (incise à trouver)

– Pourquoi tu veux faire des gardes supplémentaires ? je vois déjà son visage s’affaisser, ce qui m’inquiète encore plus. On a des problèmes d’argent c’est ça ? je lui demande d’un ton très inquiet.

– Ne t’inquiète pas pour ça pour ange, ce n’est pas ton…

– Ne me dis surtout pas que ça ne me concerne pas ! je la coupe. Tu fais toujours ça quand on parle argent, mais ça me regarde d’accord ? On doit en parler s’il y a un problème.

– Je… hum… On n’a pas vraiment de problème d’argent à proprement parler. Je fais des gardes supplémentaires pour être sûre de pouvoir payer tes séances chez le docteur Salazar.

Soudain, tout se fige. Ma mère travaille plus, s’use au travail, pour que moi, son fils, je puisse aller voir ma psychologue toutes les semaines pour m’aider, me sentir mieux, guérir de mes traumatismes.

– Maman…

Je n’arrive pas à parler plus que cela. Les mots restent bloqués dans ma gorge. Je voudrais lui dire tellement de choses, mais ça ne sort pas. Je lui suis reconnaissant d’être aussi prévenante, d’être aussi bienveillante avec moi, mais je suis incapable de lui dire. Elle fait tout ça pour moi, n’attend pas spécialement de remerciements, ne se vante pas, ne s’en plaint pas.

– Maman, je répète, comme si ce mot voulait tout dire, comme si ce mot portait tout ce que je n’arrive pas à lui dire.

Elle s’approche de moi et essuie ma joue de son pouce, une larme solitaire y a coulé. Je l’enlace, du plus fort que je peux, en espérant que cette étreinte parvienne à lui transmettre tout ce que je ressens pour elle.

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