Arthur

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Un mois plus tard…

Je ne suis qu’à quelques rues du centre maintenant, encore quelques minutes et j’y serais. Mes mains sont moites, ma respiration saccadée, je n’ai aucune idée de comment cela va se dérouler une fois que je serais sur place.

La devanture du Girofard se dresse désormais devant moi. J’attends sur le trottoir d’en face d’avoir rassemblé assez de courage pour y pénétrer. Je me demande quelle va être la réaction de Damien quand il se rendra compte que je suis là.

(dessin devanture du Girofard)

Si je suis ici aujourd’hui c’est que cette semaine Damien a eu un comportement étrange alors que durant les quatre semaines précédentes, tout allait bien, tout semblait en ordre à sa place. Mais, comme je l’ai dit, cela n’a pas duré longtemps. Comme je m’y étais préparé je ne suis pas vraiment étonné, je suis reconnaissant d’avoir eu ces quelques semaines de joie.

Dès le lundi soir Damien a commencé à agir différemment. Je me suis dit que son rendez-vous avec sa psychologue l’avait fatigué, je ne me suis donc pas trop inquiété. Mais quand cela a continué le lendemain et aussi les autres jours de la semaine, l’inquiétude a commencé à grimper. N’ayant que les messages pour communiquer, c’est compliqué de savoir ce qu’il se trame s’il ne répond pas à ceux-ci.

Comme ces dernières semaines nous nous sommes rapprochés avec ma sœur j’ai décidé de lui en parler. De plus, je lui avais révélé mon homosexualité quelques jours auparavant, ce qui m’avait motivé c’est le fait qu’elle me parle de sa relation avec Ariel.

En parler à quelqu’un, me confier, m’a un peu soulagé. Elle non plus ne savait pas trop comment je pouvais faire pour savoir ce qui n’allait pas. Puis soudain, une idée m’est venu, il fallait que je le vois. J’ai fait part de mon idée à Louise, qui m’a tout de suite mise en garde sur les risques que j’encourrais si je sortais. Mais cela ne m’a pas freiné, au contraire. En ce moment, notre père est moins présent, pas physiquement mais mentalement. Il a toujours la tête ailleurs, il oublie même parfois de venir vérifier si je dors à vingt trois heure. Sa tête est accaparée par les problèmes avec l’entreprise, ce qui nous laisse un peu plus de liberté.

L’idéal, j’ai pensé à cet instant-là, serait d’aller à une permanence le rencontrer. J’étais sûr de ne croiser personne que je connais là-bas. D’autant plus que les temps famille du samedi sont souvent annulés ces temps-ci pour permettre à mon père et ma mère de continuer de travailler afin de régler tous ces problèmes.

J’ai décrit mon plan à Louise pour voir si elle pensait que c’était faisable, sa réponse a été « oui » et elle m’a même donné quelques petites astuces pour me « déguiser » au cas où je croiserais une connaissance de l’école ou de la famille. En me préparant avant de sortir je me sentais tout excité, je me suis senti comme un agent secret, un espion, ou encore une star que l’on ne doit pas reconnaître.

Avant de passer la porte, je me suis regardé une dernière fois dans le miroir. Mes cheveux châtains et bouclés plutôt reconnaissables sont camouflés sous un bonnet qui traînait au fond d’un tiroir, au lieu de mes petites lunettes rondes je porte de grandes lunettes rectangles, un ancienne paire ayant appartenu à ma sœur, je n’y vois pas grand chose avec mais je devrais pouvoir me débrouiller, et enfin, je porte de vieux vêtements que je ne mets jamais, un pantalon gris patte d’éléphant et un pull en laine violet. J’ai sans doute l’air un peu ridicule mais au moins je suis méconnaissable.

Sur le trajet l’excitation ressentie en enfilant mon déguisement s’est transformée en angoisse. Et si son éloignement, sa distance, n’était pas dû à un problème mais au fait qu’il ne veut plus me parler ? Ce serait encore plus ridicule que je me pointe à son « travail » dans ce cas-là, je risque d’être la risée de tout le monde

Non, stop ! Là c’est mon anxiété qui parle. Même si c’était le cas, même s’il s’éloigne de moi car je ne l’intéresse plus je sais qu’il ne se moquerait pas de moi devant tous les autres, il n’est pas ce genre de personne. Je n’ai pas le droit de penser qu’il serait capable de faire une telle chose alors qu’en fait il est la personne la plus bienveillante que je connaisse.

Je pense que je suis prêt. De toute façon maintenant que je suis là c’est trop tard pour faire marche arrière, je n’ai pas fait tout cela pour rien.

Je traverse la route, je respire un grand coup et je pousse la porte, un carillon annonce mon arrivée, quelques regards se tournent vers moi, notamment ceux des bénévoles. Je ne sais pas à quoi ressemble Damien mais je sais qu’il est le seul bénévole adolescent ici, je devrais facilement le repérer grâce aux badges que ceux-ci portent.

Un rapide coup d’œil dans la salle m’informe que Damien ne s’y trouve pas, je ne repère que des bénévoles dans la trentaine.

– Vous cherchez quelque chose ? me surprend une voix proche de moi.

Quand je baisse la tête je remarque quelqu’un installé au bureau en face de la porte d’entrée, je ne l’avais pas remarqué avant, trop absorbé que j’étais dans ma recherche. Cette personne a l’air assez jeune, cela pourrait être lui. Son badge confirme ma théorie.

(dessin du badge de Dam)

J’hésite tout de même à l’appeler directement par son nom. Cela pourrait lui paraître bizarre que je sois venu ici alors que l’on se connaît à peine. Je secoue la tête pour chasser cette pensée déjà écartée il y a quelques minutes. Inspire, expire, et lance toi.

– Damien ?

– Oui, c’est ça, répond-il d’un air intrigué.

– C’est Angel, du groupe Discord.

Il reste silencieux une minute avant de se lever et de me faire signe de le suivre dehors.

– Désolé de ne pas t’avoir reconnu tout de suite, tu as l’air si différent de ta photo de profil.

Je remarque qu’il choisit soigneusement ses mots pour ne pas dire que je suis beaucoup plus ridicule que sur la seule photo de moi qu’il a vue. Je lui réponds, un sourire collé au visage :

– Tu peux dire que je suis ridicule hein. C’est fait exprès pour que personne que je connaisse ne puisse me reconnaître.

– Oh d’accord ! il ne fait aucune remarque sur le fait que je ne donne pas plus d’explications que cela, il a l’habitude que je fasse cela avec nos messages. D’ailleurs, que fais-tu ici ? Me demande-t-il.

C’est le moment de vérité, je vais enfin savoir s’il m’ignorait juste ou qu’il y a quelque chose qui ne va pas de son côté.

– Hum, j’étais inquiet pour toi, tu avais l’air plus distant que d’habitude alors je me suis dit qu’il t’était peut-être arrivé quelque chose. Mais peut-être aussi que tu ne veux plus me parler, que tu en as marre de nos discussions et que tu ne trouvais pas de moyen de me l’annoncer alors tu as décidé de t’éloigner au fur et à…

– Je t’arrête tout de suite, me coupe-t-il.

Oh non, il va me dire qu’il ne veut plus que l’on se parle. Je reste figé, je n’ai pas envie d’entendre ce qu’il va me dire, j’ai envie de fermer les yeux et de boucher mes oreilles, je ne veux pas savoir la suite.

– Si j’étais moins présent ce n’est pas du tout parce que je veux m’éloigner de toi d’accord ? Je suis sincèrement désolé de t’avoir autant inquiété, je m’en veux vraiment de t’avoir mis dans cet état.

Je n’ai aucune difficulté à croire ses paroles, il a l’air vraiment peiné de ce qu’il s’est passé.

– Pfiou, je soupire, je suis en partie soulagé, mais pas entièrement parce que tu ne m’as toujours pas dit ce qui n’allait pas.

Je suis moi-même étonné de mon audace, peut-être va-t-il me trouver trop intrusif et cette fois-ci il va vraiment s’éloigner de moi.

– Oui, excuse-moi. Si je te parais plus distant c’est que je le suis, pas parce que je veux m’éloigner de toi comme je te l’ai dit tout à l’heure, mais parce qu’en ce moment de mauvais souvenirs remontent à la surface et avec ma psy on a trouvé la cause, et… Excuse-moi mais ce n’est pas vraiment le bon endroit ni le bon moment pour en parler, je veux vraiment être sincère avec toi sur tout ça, on peut se voir après la permanence pour continuer notre discussion ?

Je ne m’étais pas préparé à cette éventualité, que je reste plus longtemps que cinq minutes. En regardant l’heure je remarque qu’il est aux alentours de quinze heure quarante. Après quelques secondes d’hésitation je lui réponds par l’affirmative, après tout mon père ne risque pas de remarquer mon absence, enfin je l’espère.

Pour passer les vingt minutes d’attente je décide de m’installer dans le petit square en face du centre. Je m’allonge sur le banc et admire le ciel, les arbres.

(dessin banc)

Tout paraît si parfait quand on ne regarde pas vers le bas. Un de mes rêves serait de pouvoir voler, pas comme une créature magique avec des ailes et tout le tintouin, ni comme un super-héros avec des super-pouvoirs, mais plutôt comme quand on nage dans l’eau. Ce serait si parfait d’être au dessus du monde, de tous les problèmes qui y sont, de survoler tout ça, de ne plus avoir à s’en préoccuper.

Sans que je ne m’en aperçoive le temps file et bientôt ce n’est plus le ciel et les arbres que je vois au dessus de moi mais le visage de Damien qui a l’air de se demander ce qui peut bien se passer dans ma tête en ce moment.

– Angel ? m’appelle-t-il de sa douce voix.

Je souris et rougis à la fois, mon surnom résonne si bien dans sa bouche, il pourrait le répéter indéfiniment sans que je ne m’en lasse.

– Angel ? Répète-t-il.

Mince je suis encore en train de rêvasser !

– Oui, oui, je suis là, désolé, je m’empresse de dire en me redressant. Au fait, mon vrai prénom c’est Arthur, Angel est juste un pseudo.

– D’accord, tu préfères que je t’appelle comment ?

Je ne m’attendais pas à ce qu’il me pose cette question, je pensais qu’il utiliserait mon prénom et oublierait vite mon pseudonyme.

– Angel ça me va, je lui réponds, une pointe de joie pointant le bout de son nez en moi.

– Je peux m’asseoir ? me demande-t-il en pointant du doigt le banc.

– Oui bien sûr, je lui réponds, me décalant un peu pour lui permettre de s’asseoir à ma droite.

Une fois assis sur le banc il ferme les yeux une seconde, souffle et se lance :

– Depuis un mois, depuis que nos conversations sont devenues journalières, des souvenirs de la relation avec mon ex-petit ami me reviennent régulièrement. Cette personne m’a fait beaucoup de mal, c’est suite à notre relation que je suis allé voir ma psychologue actuelle. Il y a quelques mois j’avais cessé de la voir car ça allait mieux. J’y suis retourné pour des problèmes de sommeil dus au stress. Lundi je lui ai parlé de ces souvenirs qui remontaient à la surface, je n’osais pas lui en parler avant, j’étais honteux d’en être toujours affecté après tant de temps. Comme je lui avais parlé de toi durant les rendez-vous précédents elle a tout de suite fait le lien entre nos conversations et celles que j’ai eu avec Tristan avant que l’on se mette ensemble. Cela m’a fait un choc que ce soit nos conversations qui aient fait remonter tout ça. Inconsciemment j’associais nos discussions à quelque chose de douloureux, alors qu’au contraire j’adore nos échanges, si je pouvais je te parlerais toute la nuit, m’avoue-t-il, l’air sincèrement énervé contre lui-même. C’est pour ça que je me suis éloigné, j’avais besoin de temps pour réfléchir à tout ça, pour remettre de l’ordre dans ma tête. Je veux arrêter de t’associer à lui, je sais que tu n’es pas lui, je le sais pourtant…

Il a l’air maintenant désemparé. En le voyant comme ça je sens mon cœur se serrer. Je le crois quand il me dit tout ça, il a l’air tellement sincère. Qu’il soit capable d’être aussi honnête et sincère envers quelqu’un m’impressionne, j’admire son courage.

– Merci de t’être confié à moi, cela me touche vraiment. Je suis désolé de t’avoir fait souffrir inconsciemment, sa bouche s’entrouvre comme s’il allait parler, sûrement pour me dire que je n’y suis pour rien mais je ne lui laisse pas le temps de continuer : je sais que ce n’est pas vraiment ma faute mais je tiens à m’excuser quand même.

Un léger sourire se dessine sur son visage, je le sens soulagé de s’être confié.

– Je te devais bien ça après tout ce que tu as fait parce que tu t’inquiétais pour moi.

– C’est normal, tu es mon ami après tout, dis-je, gêné.

Au bout de quelques minutes de bavardage plus léger je lui fais savoir qu’il va être l’heure pour moi de rentrer. En se quittant on s’enlace brièvement, nous sommes tous les deux un peu gênés mais c’est normal, c’était la première fois que l’on se voyait en vrai.

Sur le chemin du retour mes pensées se déroulent, elles sont le tapis sur lequel je flotte jusque chez moi. Cette première rencontre a été géniale, enfin de mon côté en tout cas, j’espère que c’est aussi ce qu’il en pense.

La date de notre rencontre est un peu spéciale, nous nous sommes rencontrés le 29 février, cette date n’est là qu’une fois tous les quatre ans, c’est une date exceptionnelle, rare. J’ai envie d’y voir le signe d’une rencontre exceptionnelle, qui n’aurait pu se passer qu’aujourd’hui.

Remarque sur fait que inconscient de Dam ait pensé que c’était un début de relation amoureuse, Angel se demande si ce serait ce que Dam ressent inconsciemment, s’imagine que quelque chose pourrait avoir lieu mais s’arrête dans ses pensées, se trouve horrible de penser à cela après ce que lui a confié Dam.

Il est exactement pareil en vrai que durant nos échanges de messages, il dégage toujours l’impression d’être un adulte. Pas dans le sens où il fait plus âgé, mais dans le sens où il paraît plus sage, comme s’il avait déjà vécu une vie avant celle-ci. Cela se voie dans sa façon de se comporter mais aussi plus particulièrement dans sa façon de parler, la tournure de ses phrases, le niveau de langage qu’il utilise, mais c’est surtout ce qu’il dit qui me donne cette impression.

Tout ça pour dire que je l’admire. Durant tout le temps de la rencontre je me suis retenu de rester tel un poisson, bouche ouverte en le fixant, tellement j’étais en admiration. J’aurais pu rester toute l’après-midi, la soirée, et même la nuit, avec lui tellement il est captivant, mais c’est la peur qui m’en a empêché. Elle m’a ventousé les pieds au sol pour éviter que je ne m’envole, libre. Non pas la peur de Damien, mais la peur de mon père, de sa réaction si jamais il s’apercevait que je n’étais pas à la maison. Je regardais sans cesse ma montre, tentant de me résoudre à partir, et ça n’a pas été facile, je me répétais en boucle que cinq minutes de plus ne changeraient rien.

Arrivé devant ma maison j’en fais le tour et passe par la porte de derrière pour ne pas me faire repérer. Mais c’était sans compter sur mon père qui avait prévu que je passerais par là. A peine ai-je croisé son regard qu’il me frappe déjà, m’envoie à terre, et me fait tomber dans les vapes.

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