Nous sommes lundi, ma sœur et moi nous dirigeons vers le CACIS de Bordeaux.

(dessin logo CACIS)

Louise voit bien que je stresse et elle n’arrête pas de parler, de la faculté, de ses professeurs, pour me faire penser à autre chose j’imagine. Ça ne marche pas beaucoup mais j’apprécie réellement l’effort.

Ça y est, nous sommes arrivés.

– Tu es prêt ?, me demande Louise.

– Oui, je réponds, enfin, je crois que je suis prêt. De toute façon c’est trop tard pour reculer, j’ajoute avec un sourire crispé sur mon visage.

Elle me prend la main et m’entraîne à l’intérieur.

Le dépistage s’est passé exactement comme me l’avait décrit Damien. Les personnes qui s’occupent de nous sont très sympas, attentives et à l’écoute. Celle qui s’occupe de moi a été très compréhensive par rapport à mon appréhension, elle a tout fait pour me rassurer, et je dois bien avouer qu’elle s’y est bien pris. Le plus important, elle n’a pas jugé les raisons pour lesquelles je suis ici.

Louise s’est fait dépister en même temps que moi dans l’autre salle. Cela a pris un peu plus de temps pour elle que pour moi car on lui a fait différents tests. Je me retrouve donc à devoir attendre seul dans la petite salle d’attente très colorée.

J’aimerais beaucoup pouvoir parler à Damien ou à d’autres personnes du groupe pour m’occuper l’esprit le temps d’une conversation. Mais je n’ai pas pris avec moi mon téléphone secret.

Il ne me reste plus qu’à patienter pendant trente minutes, sans aucun moyen de me distraire, avant d’avoir les résultats. Mon niveau de stress était déjà élevé quand je suis arrivé mais ce n’est rien par rapport à maintenant. Je savais comment aller se passer la consultation, grâce à Damien, mais là je n’ai aucune idée de ce que le résultat va indiquer.

Trente minutes et beaucoup de sueur plus tard, les deux personnes ayant fait nos tests reviennent avec les résultats. Pour nous en parler ils nous emmènent dans un bureau, on demande à être dans le même, c’est bien pour cela qu’on est venu ensemble.

– Commençons par toi Arthur.

Je déglutis difficilement.

– Ne sois pas si stressé, tu n’as pas de souci à te faire. Tes tests sont négatifs, tu n’as rien, m’annonce-t-elle avec un sourire et un visage qui paraît plus soulagé que tout à l’heure, elle devait s’inquiéter pour moi elle aussi.

Un soupir de soulagement m’échappe, je me tourne vers Louise, un large sourire collé aux lèvres et l’enlace. Elle me rend mon étreinte et me dit dans le creux de l’oreille :

– Je suis soulagée que tu n’aies rien.

– A vous maintenant Louise, celle-ci presse ma main fortement, comme si elle avait vraiment peur d’avoir quelque chose. Elle qui paraissait si peu stressée il y a quelques minutes encore.

– Je vous rassure, vous n’avez rien non plus. Cependant, il est important que vous continuez de vous faire régulièrement dépister étant donné que vous êtes active sexuellement parlant.

– Oui, bien sûr. Je reviendrais tous les trois mois comme j’ai pris l’habitude de le faire.

J’en ai appris plus sur ma sœur durant cette conversation que durant les derniers mois. Je sais si peu de choses sur sa vie actuelle, ça me donne un coup au cœur. Mais ça va changer. Elle est ma seule alliée à la maison et je tiens vraiment à la connaître et à créer un vrai lien avec elle.

Le soir, dès que j’ai accès à mon téléphone secret j’envoie un message à Damien pour lui parler des résultats :

(lundi 27 janvier, 22h31)(dessin message Angel : Salut ! J’ai été faire le dépistage avec ma sœur aujourd’hui et tout s’est passé comme tu me l’avais décrit, encore merci !!

Et les résultats sont négatifs, je n’ai rien ^^)

Il me répond dans la minute :

(22h33)(dessin message Damien : Bonjour. Je suis soulagé de savoir que tu n’as rien. Comment s’est passé la consultation ?)

Je lui dis qu’en arrivant j’étais stressé mais que le pire ça a été l’attente des résultats, je précise quand même que le fait que la personne qui se soit occupé de moi soit très sympa et que j’ai eu ma sœur avec moi tout du long m’a vraiment aidé.

Le contraste entre nos messages est flagrant. Au delà de la façon de parler, qu’il a très professionnelle, l’apparence de nos messages est aussi complètement différente. Contrairement à moi il n’utilise aucun émoticône, et il met même des points à la fin de ses phrases ! Ses messages ne transmettent en aucun cas ses sentiments, même lors de discussions non-professionnelles.

(dessin versus)

Nos conversations sont souvent à propos de moi et cela commence à me gêner, je lui demande donc comment s’est passée sa journée à lui.

(22h37)(dessin message Damien : J’ai eu une plutôt bonne journée, j’ai revu ma psychologue et cela m’a vraiment fait du bien, je me sens plus serein maintenant.

Et toi, comment s’est passée ta journée hormis le dépistage ?)

Je me demande bien pourquoi il a été chez une psychologue, mais cette curiosité n’est pas saine. Ce sont ses rendez-vous personnels, je n’ai pas le droit de lui demander pourquoi ou qu’est-ce qu’ils se sont dits. Cela ne me regarde en aucun cas, nous ne nous connaissons pas encore assez pour partager ce type de confidence.

Aujourd’hui a été une banale journée de cours, tous aussi ennuyeux les uns que les autres, c’est ce que je lui réponds.

(22h39)(dessin message Damien : Oh, alors comme ça tu n’aimes pas les cours ?)

(22h41)(dessin message Angel : Disons plutôt que la façon dont on nous enseigne ne me plaît pas particulièrement ^^’’)

(22h42)(dessin message Damien : Je vois, je comprends ton point de vue. Qu’est-ce qui te semblerait plus adéquat ?)

On continue de bavarder jusqu’à ce que je doive aller me coucher, à mon plus grand regret. Les journées continuent de s’égrener, et avec elle nos bavardages tardifs. Les sujets de discussions ne se tarissent jamais avec lui. Je n’ai pas besoin de réfléchir à ce que je vais dire après, comment le formuler, quel va être sa réaction, etc. Nos discussions sont naturelles et très reposantes. J’adore discuter avec lui. Tout au long de mes journées je récolte les choses que je vais lui dire. Plus les jours passent et plus je suis impatient de lui parler le soir.

Ces derniers temps, Louise et moi nous parlons régulièrement. Il m’arrive d’aller le soir dans sa chambre pour bavarder, ou l’inverse. J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi nous ne nous parlions pas auparavant mais je me rejouis que ce soit le cas maintenant. L’autre jour j’ai appris qu’elle était en couple avec un.e certain.e Ariel, iel est non-binaire et iel préfère les pronoms neutres.

Au fil des jours j’ai remarqué que nous avions plus de points en commun que je ne le pensais. Même si, à un moment donné, nous avons cessé de nous parler nous avons, en quelque sorte, quand même grandi dans la même direction. Ce qui, je le sais, n’est pas du tout le cas avec mon frère Elias. Lui c’est vraiment le fils à papa contrairement à nous.

Sur le groupe Discord, je continue de discuter régulièrement avec les autres mordus de mangas, c’est en quelque sorte salvateur de pouvoir en parler à des personnes qui aiment cela au moins autant que moi.

Ces dernières semaines, j’ai l’impression que tout va bien, tout est à sa place : à la maison ce n’est pas parfait mais maintenant j’ai ma sœur comme alliée ; côté groupe Discord tout va bien aussi avec mes acolytes fans de mangas ; et enfin, mais pas des moindres, Damien et moi sommes devenus très proches, en tout cas de mon côté il est l’ami le plus proche que je n’ai jamais eu.

Je sais bien qu’il est possible que tout cela s’écroule demain, c’est trop parfait, mais je n’ai pas envie d’y penser, pas maintenant. Je veux en profiter à cent pour cent tant que je peux. Et puis : « advienne que pourra » pour la suite.