Arthur

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J’ai bien réfléchi durant tout le reste de la semaine. Je ne vais pas aller me faire dépister seul, cela me paraît évident. Mais cela veut dire qu’il faut que j’en parle à quelqu’un, si possible quelqu’un en qui j’ai confiance. Il n’y a pas un million de possibilités. Je vais en parler à ma sœur.

J’y ai réfléchi longuement, je me suis imaginé des dizaines et des dizaines de scénarios dans ma tête. Nous ne sommes pas si proches l’un de l’autre mais même si elle refuse de m’accompagner je sais qu’elle n’en parlera à personne. Je vais lui parler aujourd’hui en rentrant de notre sortie en famille.

D’ailleurs, cette semaine ce temps en famille a été des plus bizarres. On sentait qu’il y avait des tensions dans l’air, sans doute ces problèmes avec l’entreprise familiale, mais personne n’osait dire quoi que ce soit. Mon père paraissait écrasé et fatigué. Mon frère paraissait tendu et stressé. Mais ma mère elle paraissait beaucoup moins inquiète qu’eux, comme si elle savait ce qu’il se passait et qu’il n’y avait aucune raison de se faire du souci.

Bref, ce ne sont pas mes affaires de toute façon, je n’ai pas à m’en soucier. On ne m’a jamais inclus dans cette affaire de famille alors je ne vois pas pourquoi je m’y intéresserais maintenant.

Après le dîner je vais trouver ma sœur dans sa chambre pour lui parler. En arrivant devant la porte la boule que j’avais au ventre grossit encore. Je toque.

(dessin main qui toque)

La porte s’ouvre sur son visage dubitatif, elle se demande sûrement ce que je fais là. Elle me fait signe d’entrer et referme la porte derrière elle.

– Désolé d’arriver comme ça Louise mais je voulais te parler de quelque chose.

– Ne t’excuse pas, dit-elle en s’asseyant par terre sur son tapis. Je t’écoute vas-y, m’informe-t-elle en me faisant signe de m’asseoir moi aussi.

– Alors, je sais qu’on parle pas souvent tous les deux mais je ne voyais pas à qui d’autre m’adresser.

Je la vois me faire un léger sourire, comme pour m’encourager à continuer.

– Je voudrais aller me faire dépister car il y a deux ans je me suis fait un piercing et j’ai appris récemment que dans un lieu de perçage des IST pouvaient se transmettre. Le truc c’est que j’ai peur d’y aller seul et je ne peux demander à personne d’autre de m’accompagner à cause de papa, enfin bref tu comprends, elle hoche la tête avec un air navré pour me le confirmer.

– Donc, si j’ai bien compris, tu voudrais que je t’accompagne c’est ça ?

A sa façon de formuler la question j’ai peur de sa réponse. Je hoche la tête tout de même, sans oser la regarder.

– C’est d’accord, j’en profiterais pour me faire dépister aussi alors.

J’ai relevé la tête brusquement, je ne m’attendais pas à ce qu’elle accepte aussi facilement.

– Tu as regardé les horaires ? Tu sais déjà quand on va y aller ? me demande-t-elle.

– Euh, je bégaie, tout va trop vite, je n’ai même plus le temps de réfléchir. Hum, je pensais pas que tu accepterais aussi vite.

– Pourquoi j’aurais hésité ? On est là pour s’entraider après tout, surtout avec Paul en permanence en train de nous surveiller.

Ah oui, c’est vrai, elle appelle notre père par son prénom. Sûrement parce qu’elle ne le voit pas vraiment comme un père.

– Oui, tu as raison, je réponds.

Nous nous mettons d’accord sur le jour où nous irons nous faire dépister. Ça nous prend quelques minutes parce qu’il faut accorder mon planning et le sien en fonction des heures d’ouverture du CACIS. On tombe enfin sur un moment qui nous convient : lundi prochain, c’est-à-dire le lundi 27 janvier.

– Une dernière chose Arthur, m’interpelle Louise au moment où je me rapproche de sa porte, je peux voir ce fameux piercing ? un sourire espiègle éclaire son visage.

Je remonte mon tee-shirt et descends légèrement mon pantalon pour le lui montrer. Ça me gêne un peu, mais en voyant son sourire grandir encore plus ma gêne s’envole.

– Pas mal dis donc, ça te va vraiment bien, me dit-elle d’une voix qui, me semble-t-il, est remplie de fierté.

Cette discussion s’est super bien passée, je n’avais aucune raison d’être stressé. Je suis presque sûr que je pourrais lui faire mon coming-out sans risque. Pas aujourd’hui évidemment mais, cette discussion m’a vraiment mis en confiance, je sens qu’on pourrait être plus proche. Pour l’un comme pour l’autre je pense que ça serait bénéfique d’avoir quelqu’un dans cette maison sur qui on peut compter, quelqu’un à qui on peut tout dire.

Le soir même j’envoie un message à Damien pour lui dire que j’ai trouvé quelqu’un pour m’accompagner et qu’il n’a pas de souci à se faire faire, que je le tiendrais au courant des résultats. Il me répond dans la foulée :

(samedi 25 janvier, 22h34)(dessin message Damien : Bonjour, c’est super. C’est vraiment mieux que tu y ailles accompagné la première fois, je suis rassuré que tu aies trouvé quelqu’un. Est-ce que tu veux que je t’explique comment ça se passe pour te rassurer et te préparer ?)

Je ne m’attendais pas à ce qu’il me propose ça mais ça me soulage qu’il veuille bien le faire. Étant anxieux ça me rassure beaucoup de savoir ce qu’il va se passer et comment, comme ça je peux me préparer et ne pas paniquer lors de la consultation en me demandant ce qu’il va se passer ensuite tout le temps. Je n’hésite pas une seconde et répond positivement à sa proposition. Je reçois donc quelques minutes plus tard un long message détaillé de comment va se passer la consultation :

(22h38)(dessin message Damien : Quand tu vas arriver tu vas devoir te présenter à l’accueil et dire pourquoi tu viens ici. Ensuite on te fera attendre dans le petit coin salle d’attente jusqu’à ce que quelqu’un habilité à faire le dépistage soit libre. Puis on t’emmènera dans une petite salle. Le test que l’on va te faire s’appelle le TROD (Test Rapide d’Orientation Diagnostique), il consiste à te prendre juste une goutte de sang sur le bout du doigt. S’il se révèle positif là tu devras en parler à ton médecin pour qu’il te prescrive une vraie prise de sang pour faire un autre test pour confirmer ou infirmer ce qu’indiquait le TROD. Après trente minutes d’attente tu auras tes résultats.

Autre message : Si tu as d’autres questions n’hésite pas, je suis là pour y répondre)

Ça me touche vraiment qu’il ait pris le temps de tout m’expliquer. Je sais qu’il ne le fait pas spécialement pour moi, mais qu’il inclut les personnes anxieuses dans son travail me touche.

Nous, personnes anxieuses, sommes souvent critiquées car nous voulons toujours savoir ce qu’il se passe, à quelle heure, où, etc. et nous le sommes aussi pour plein d’autres choses. Cela ennuie les autres qui, par exemple, cessent de nous inviter à des sorties avec eux, ce genre de choses.

Cela m’intrigue qu’il m’ait proposé de m’expliquer dans les détails ce qui allé se passer, peut-être est-il lui aussi anxieux ? Je lui demande en essayant le plus possible de ne pas paraître indiscret, intrusif.

(22h41)(dessin message Damien : Non t’inquiète pas, tu peux me poser autant de questions que tu veux. Et la réponse est non, je ne suis pas anxieux, mais un proche, en l’occurrence ma mère, est anxieux.)

(22h43)(dessin message Angel : Oh d’accord ! ^^ Hé bien, je trouve ça très bien que tu inclus les personnes anxieuses, ou toute autre personne aimant savoir comment tout se déroule avant de le faire. En tout cas merci, ça m’enlève une grande part de stress ^^’’)

(22h45)(dessin message Damien : Je n’ai aucun mérite, je fais ce qui me semble normal de faire. Tu n’as pas à me remercier de quelque chose qui devrait être fait d’office.)

Dans son dernier message, on sent qu’il est en colère, pas contre quelqu’un mais contre ce manque d’inclusion générale. Je m’en veux un peu d’avoir déclenché cela, je m’excuse auprès de lui en espérant qu’il ne m’en veuille pas. Il me rappelle que je n’y suis pour rien, je suis soulagé qu’il ne m’en tienne pas rigueur.

La discussion s’enchaîne naturellement, nous parlons de tout et de rien jusqu’au moment où c’est l’heure pour mon père de s’assurer que je dorme. Ce soir, je n’ose pas reprendre mon téléphone, je préfère ne pas prendre de risques, sait-on jamais.

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