Damien

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J’ai bien fait de regarder de quoi parler ce message, vu la teneur de ce dernier la personne doit être assez stressée et il vaut mieux que je lui réponde maintenant.

(Heure : 22h51)(message Damien : Bonjour. Non tu ne me déranges pas ne t’inquiète pas, je suis là pour ça.

Il n’y a pas de soucis tu peux tout me dire.)

(heure 22h53)(message Angel : Alors voilà, je me lance ^^’’

Il y deux ans je me suis fait un piercing, étant donné que j’étais mineur je n’ai pas pu le faire dans un salon de perçage classique. Ces derniers temps j’ai fait des recherches sur les IST et les MST et me suis rendu compte que l’hépatite C pouvait se transmettre dans ce genre de milieux.

Là où je veux en venir c’est : est-ce que tu pourrais m’aider à trouver un moyen de me faire dépister sans que mes parents ne soient au courant ?)

Je ne m’attendais pas à une requête dans ce genre, c’est la première fois que quelqu’un me demande ça. Je me demande bien pourquoi ses parents ne doivent pas être au courant, ou encore la raison qui l’a poussé à se faire un piercing si jeune. Mais je n’ai aucunement le droit de demander ou de le juger sur les raisons de sa demande. C’est aussi ça être bénévole : écouter sans juger. Je lui réponds donc :

(heure 22h55)(message Damien : Je dois pouvoir trouver une solution. Je te recontacte quand c’est le cas d’accord ?

Je pense avoir besoin d’en parler à des bénévoles du Girofard pour qu’ils m’aident, tu m’autorises à leur en parler ?)

Je pense bien à lui demander son consentement pour en parler à l’association. S’il est venu me parler via ce biais c’est peut-être parce qu’il ne voulait pas leur en parler. Je ne veux pas lui causer de problèmes.

Il m’assure que c’est ok pour lui, je suis rassuré, je vais pouvoir demander de l’aide aux autres bénévoles, qui eux si connaissent mieux que moi.

Il est désormais presque 23h, il va falloir que j’aille dormir si je ne veux pas être un zombie demain.

(dessin zombie)

En ce moment ce n’est pas évidemment de dormir, de nombreuses choses tournent dans ma tête tout au long de la journée et cela ne se stoppe pas au moment de me reposer et de dormir.

Pourtant j’ai mis en place un nouveau système pour ne pas être submergé par les messages mais mon cerveau n’arrive pas à séparer lycée, bénévolat et vie privée on dirait. Peut-être qu’il va falloir que je retourne voir ma psychologue ? J’en parlerais à ma mère demain et je verrais ce qu’elle va me dire.

Le lendemain

Mon réveil sonne. Il est déjà 7h00 ? J’ai l’impression de m’être endormi il y a tout juste cinq minutes, j’espère vraiment que c’est juste une impression, sinon la journée s’annonce rude.

Je me glisse hors de mon lit et me dirige vers la cuisine pour prendre le petit déjeuner seul, ma mère étant déjà au boulot. En traînant sur mon téléphone je vois que j’ai de nombreux mails et messages en attente, je décide de les ignorer, je m’en occuperais cette après-midi, rien ne presse.

Quand il est l’heure, je pars de la maison pour ne pas louper mon train et profiter de ce précieux temps au calme que j’ai le matin au lycée. C’est mon moment préféré de la journée, soit je vagabonde dans les couloirs, ceux-ci étant à ma guise pour que je les observe sous une toute autre forme que le reste de la journée, soit je vais traîner au CDI et parler à la documentaliste des dernières nouveautés littéraires.

Aujourd’hui, je vais plutôt me balader dans le lycée, ça m’aidera à mettre un peu d’ordre dans ma tête, j’en ai bien besoin.

Le lycée a été construit dans l’idée que les couloirs ressemblent à des rues, on retrouve par exemple des caniveaux de chaque côté du couloir. Au lieu de montrer un endroit de passage je trouve que cela amène un aspect froid et impersonnel.

La plupart des poteaux sont en forme de crayons, je trouve cela plus approprié au lieu que les couloirs-rues, mais le mélange des deux est un peu étrange. Le lycée possède différents bâtiments et chacun a son esthétique, comme si chaque partie avait été construite à des années différents, par des personnes différentes. Il n’y a aucune harmonie entre chaque, mais c’est aussi ce qui fait la particularité de cet établissement j’imagine.

Profitant des quelques heures de battement que j’ai entre les cours et le bénévolat je mange en ville et vais à la bibliothèque. Je vais encore repartir les bras chargés de livres mais c’est pour la bonne cause ! Ça m’aidera à m’évader le temps d’une heure ou deux, et qui sait, peut-être que ça m’aidera aussi à être plus calme avant d’aller me coucher, à ne plus ressasser ce qu’il s’est passé durant la journée et à ne plus me dire ce que j’ai encore à faire. Rien que de me dire ça me donne envie de dérouler la liste des choses qu’il me reste à faire. Je secoue la tête pour éviter de me laisser envahir par ses pensées et entre dans la bibliothèque.

Dès qu’on entre on est aspiré par le calme, la sérénité, enfin c’est ce que moi je ressens, et j’espère que les autres usagers aussi. Je dis bonjour aux personnes de l’accueil et me dirige directement vers mon endroit habituel, le deuxième étage où se trouvent les romans jeune public.

Mon péché mignon, et je n’en ai pas honte, ce sont les romances. Une fois plongé dans ce genre de bouquin plus rien ni personne ne peut m’en sortir, pas même ma mère ou mon chien. Toutefois, j’évite d’en amener au lycée, ce serait une raison de plus pour mes harceleurs de revenir m’embêter.

Quand je relève la tête du livre que j’étais en train de feuilleter il est déjà l’heure de partir, cela m’attriste un peu de devoir quitter la bibliothèque mais ce qui l’attend est aussi une chose que j’aime faire, et puis c’est aussi un engagement, je ne peux pas m’en dégager sans prévenir.

Une fois arrivé au centre je pose mes affaires dans un coin et me dirige vers Loïc pour lui dire bonjour, mais surtout pour lui demander où pourrait aller Angel pour se faire dépister sans que ses parents ne soient au courant, même si j’ai déjà une petite idée je préfère vérifier au près d’un bénévole adulte.

– Salut Loïc !

– Salut Damien ! me répond-il en reprenant mon ton enjoué.

– Dis moi, un adolescent du groupe voudrait savoir où il pourrait se faire dépister sans que ses parents ne le sachent ? J’ai pensé au CACIS et au CHU de Bordeaux, est-ce qu’il y a d’autres structures que j’ai oubliées ?

– Les deux que tu viens de citer sont très bien, notamment le CACIS car c’est une de leur spécialité, l’hôpital ça fait peut-être plus peur pour juste un dépistage. Et il y a aussi la Maison départementale de la Santé et le Centre de santé Pavillon de la Mutualité.

– D’accord, merci beaucoup !

La discussion s’enchaîne sur la permanence d’aujourd’hui, sur mes « missions ». Il me demande aussi comment se passe les échanges sur le groupe. Je lui parle de mes difficultés à tout séparer.

– Tu sais si tu te sens trop débordé tu peux nous le dire et on trouvera une solution pour que tu en aies moins à faire. Le but ce n'est pas que tu finisses sur les rotules, m’annonce-t-il avec un regard inquiet.

– Je sais bien mais c’est comme si j’avais pris un engagement, et c’est un peu le cas. Les adolescents du groupe s’attendent à pouvoir parler à quelqu’un de leur âge, qui rencontre les mêmes difficultés qu’eux. Ce n’est pas contre vous évidemment, mais il y a que moi qui peut m’en occuper, dis-je d’une traite.

– Je sais bien, répond-il en riant, je sais bien que je ne t’enlèverais pas ça de la tête, mais on pourrait peut-être trouver un moyen de te soulager ?

– Merci beaucoup, mais vous m’aidez déjà beaucoup en me permettant de répondre aux messages pendant les permanences, dis-je pour le rassurer.

– D’accord d’accord je laisse tomber, concède-t-il, un air résigné sur le visage. En tout cas n’hésite pas à venir nous voir si tu te sens surchargé ou si tu ne sais pas comment gérer telle ou telle situation.

– Pas de soucis chef, je réponds en faisant un salut militaire.

Les habitués commencent déjà à arriver, nous nous dirigeons comme un seul homme vers la porte pour les accueillir. Cette relation mi-professionnelle et mi-amicale entre Loïc et moi est vraiment agréable, elle change des autres relations que je peux avoir.

Serré entre deux autres passagers du train j’arrive à extirper mon téléphone de ma poche. Je profite du trajet, qui s’annonce long, pour envoyer un message à Angel. Ne pouvant pas faire grand-chose d’autre j’ouvre l’application de solitaire et lance une partie.

Arrivé à mon arrêt je descends du train, un soupir de soulagement m’échappe une fois mes pieds posés sur le quai, je peux enfin respirer sans avoir la cage thoracique comprimée par mes voisins.

Malgré la fatigue je me dépêche de rentrer chez moi, pour me motiver j’imagine le canapé avec ses plaids qui m’attend. Mon pas s’accélère sans que je n’en donne l’ordre, ma ruse fonctionne à merveille on dirait.

A peine ai-je tourné la clé dans la serrure que ma mère m’attend derrière la porte. Quand j’ouvre la porte elle me saute dessus et me fait un câlin. Tori arrive derrière en courant pour me sauter dessus.

– Tu m’as manqué mon ange, me glisse-t-elle au creux de l’oreille.

– Tu m’as manqué aussi maman, dis-je en l’étreignant à mon tour et en caressant mon chien d’une main.

Nous nous dirigeons ensemble vers la cuisine, où un délicieux repas concocté par ma mère nous attend. La table est joliment dressée, je devine que ma mère attendait mon retour avec impatience, peut-être veut-elle, elle aussi, discuter de quelque chose en particulier avec moi.

– Alors, comment s’est passée ta journée ? me demande-t-elle en m’asseyant.

– Longue journée, surtout que je ne dors pas très bien en ce moment, et toi ? je la questionne à son tour.

– Ma journée s’est plutôt bien passée. Je suis désolée pour toi mon ange. Je peux faire quelque chose pour t’aider ?

Je vois déjà une moue inquiète se former son visage, ne voulant pas l’inquiéter outre mesure je réponds :

– Non maman, ne t’inquiète pas, ça va rentrer dans l’ordre.

– Hum, dit-elle dubitative. D’accord, si tu le dis, se résigne-t-elle.

Je lui prends la main, la lui serre et souris pour lui faire comprendre que ça va aller.

– D’ailleurs, je voulais te demander quelque chose.

Je sens sa main devenir moite et l’anxiété la gagner.

– Hé, ne sois pas si anxieuse, tu peux tout me dire d’accord ?

Elle hoche la tête en guise de réponse. Elle se racle la gorge pour se donner une contenance et reprend.

– Je voudrais inviter quelqu’un à déjeuner ou à dîner si tu es d’accord.

Je ne m’attendais pas du tout à cette question, ça ne nous est encore jamais arrivé d’inviter quelqu’un à la maison. Après quelques secondes d’étonnement je lui réponds enfin :

– Bien sûr que tu peux inviter quelqu’un maman, ça ne me dérange pas, tu es chez toi après tout.

Je vois son corps se détendre petit à petit.

– Je peux te demander comment cette personne s’appelle ?

– Oui bien sûr, il s’appelle Chris, il utilise les pronoms il/lui. C’est juste un ami ne t’inquiète pas.

Cela me touche qu’elle précise ses pronoms, je lui ai expliqué les différents pronoms, féminins, masculins et neutre, il y a de ça deux ans.

Son corps s’est crispé de nouveau après ma question. Je sens bien que cela la stresse énormément.

– Je te sens très stressée par tout ça maman, ça va aller ?

– Oui, c’est juste que c’est la première fois que j’invite quelqu’un chez, je n’en ai jamais eu l’occasion chez mes parents et ici non plus. Il faut dire que je ne suis pas très sociable avec mes collègues, dit-elle avec un rire tendu.

– Viens là, lui dis-je en me levant et en l’invitant à m’étreindre.

Elle n’hésite pas et vient se lover entre mes bras, je la sens se détendre peu à peu. Nous nous rasseyons pour manger, et au bout de quelques minutes je me lance à mon tour.

– Tout à l’heure je t’ai dit que j’avais du mal à dormir tu t’en souviens ?

– Oui, oui, me répond-elle, intriguée.

– Je pense que c’est dû au fait que j’ai du mal à séparer le lycée, le bénévolat et ma vie privée, je sais pas comment expliquer… Le soir ça tourne dans ma tête, ça passe de l’un à l’autre sans me laisser une minute de répit, je tente d’expliquer maladroitement.

– Oui, je vois ce que tu veux dire mon ange. Étant une personne anxieuse cela m’arrive aussi lors de situations plus stressantes que les autres, comme les oraux à l’école par exemple, me confie-t-elle.

– Et comment tu fais pour que ça se calme ? je lui demande, je suis avide d’informations qui pourraient m’aider.

– Disons que j’ai appris à me préparer pour ses situations. Pour les oraux à l’école j’apprenais mon texte par cœur, ça me permettait de savoir quoi dire, j’avais quelque chose à me raccrocher. Mais dans ton cas ça m’étonnerait qu’apprendre à texte par cœur t’aiderait, m’avoue-t-elle avec un sourire triste.

– En effet, oui. Je pensais …, j’hésite un instant mais me jette finalement à l’eau, je pensais que je pouvais reprendre rendez-vous avec ma psychologue, peut-être que elle saurait comment m’aider ? je garde la tête baissée en attendant la réponse de ma mère.

– Relève la tête mon ange, dit-elle d’une voix douce.

J’obéis à ses ordres et relève la tête pour voir son visage arborant un léger sourire. Elle reprend :

– Tu n’as pas honte d’aller voir une psy d’accord ? Si tu penses que cela pourrait t’aider je ne peux que t’encourager à le faire.

Je hoche la tête en guise de réponse, reconnaissant d’avoir une mère aussi compréhensive.

Nous finissons de dîner calmement, en parlant de sujets plus légers. Une fois le dîner et les épisodes de notre série finis nous allons chacun dans notre chambre. La première chose que je fais est de m’étaler en étoile de mer sur mon lit, ça fait du bien après une aussi longue journée. Je roule sur le côté et attrape mon téléphone. Je vois qu’Angel a répondu au message que je lui ai envoyé tout à l’heure.

(22h49, mercredi 22 janvier)(dessin message Angel : Salut ! Déjà, merci beaucoup d’avoir fait toutes ces recherches pour moi ^^ Et après quelques recherches je pense que j’irai au CACIS.)

Comme je sais que ça la première fois qu’il va y aller et qu’une première fois ça fait toujours un peu peur je lui propose de l’accompagner, moi ou un autre bénévole. Il me répond quelques minutes plus tard, il a dû hésiter.

(22h52)(dessin message Angel : Merci beaucoup pour ta proposition mais je vais devoir la décliner ^^’’)

Je n’insiste pas et lui rappelle que je suis toujours là s’il a besoin de parler de quoi que ce soit. J’espère vraiment que tout ira bien pour lui, pour le dépistage et même après. Je pose mon téléphone sur ma table de nuit et me met en position pour dormir, même si je sais que je ne vais pas trouver le sommeil maintenant.

Soudain, mon téléphone émet un « ding ». Je viens de recevoir un message, je me demande qui c’est. En allumant mon téléphone je vois que c’est un nouveau message d’Angel.

(22h54)(dessin message Angel : Au fait, je me demandais : pourquoi tu t’es présenté ici en tant que bénévole et pas en tant qu’adolescent lambda ?

Bien sûr si tu ne veux pas répondre c’est ok.)

Je suis surpris, je ne m’attendais pas à ce que notre conversation aille au-delà de conseils ou de choses dans ce genre.

Je lui explique ma décision, le choix cornélien qui me tiraillait. Sa réponse ne tarde pas :

(22h59)(dessin message Angel : Wow, tu m’impressionnes. Tu as vraiment eu un raisonnement d’adulte sur ce coup là, peu de gens dans ta situation aurait fait la même chose je pense.)

Je rougis, seul dans ma chambre. Personne ne m’avait jamais dit ce genre de choses, je me sens flatté mais je sais que je n’ai pas tant de mérite que ça, ce n’est pas comme si je faisais quelque chose de vraiment extraordinaire.

(23h00)(dessin message Damien : Ouh là, ne me donne pas tant d’honneur. J’ai juste fait cela parce que ça me paraissait être la suite logique à mon bénévolat au Girofard.

Et toi, pourquoi t’es-tu inscrit sur ce groupe ?)

Au bout de quelques minutes je n’ai toujours pas de réponse, peut-être s’est-il endormi ? Ou qu’il ne voulait pas répondre à la question ? Je commence à m’inquiéter réellement quand j’entends mon téléphone m’annoncer un nouveau message.

(23h05)(dessin message Angel : Disons juste que je vois ce groupe comme le seul endroit où je peux vraiment m’exprimer sans craindre des représailles.)

Je vois bien qu’il reste évasif sur les représailles en question, je suis curieux de savoir mais je ne vais pas insister, il m’en parlera quand il le souhaitera, ça ne sert à rien de forcer, à part à le braquer encore plus et voire à perdre la confiance qui règne entre nous. Je me dois d’être à l’écoute, patient et compréhensif, ça fait aussi partie de mes compétences en tant que bénévole du centre.

Dans son message suivant il me dit qu’il est fatigué et qu’il va se coucher. Je lui souhaite bonne nuit et vais me coucher moi aussi. Il commence à être tard et il ne faudrait pas que demain je m’endorme pendant les cours.

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