Damien

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Comme tous les matins en semaine, je prends le train de 7h41. Si je le prends aussi tôt, alors que les cours ne commencent qu’à 9h, c’est pour être sûr d’arriver à l’heure. On ne sait jamais ce qu’il peut se passer avec la SNCF.

D’autre part, cela me permet de vagabonder seul dans le lycée. Enfin, peut-être pas seul mais entre personnes qui n’ont pas vraiment d’autres choix que d’arriver aussi tôt. A cette heure-là, le lycée a une aura spéciale : il est frais, calme, encore endormi.

Mais dès 8h30, il devient une véritable fourmilière et alors je longe les murs en tentant de passer inaperçu, tactique qui marche plutôt bien si on la combine avec mon style vestimentaire très sobre et sombre. Je suis un véritable caméléon, je me fonds dans les murs, je me fonds dans la masse. J’ai parfois l'impression que je pourrais me mettre à danser au milieu du couloir que personne ne le remarquerait. Évidemment, je ne tenterais jamais l’expérience, j’ai bien trop peur d’avoir des ennuis.

A midi, tout le monde se jette sur les portes, comme si on leur permettait enfin de sortir de leur cage. Ceci dit, c’est en partie vrai. La sonnerie sonne la fin de la torture qu’ils ressentent durant les cours. Personnellement, j’aime beaucoup étudier, apprendre de nouvelles choses, mais je dois bien avouer que certains professeurs ne donnent pas envie.

Malgré tout, j’évite de sortir de la moyenne au niveau des notes pour, encore une fois, éviter de me faire remarquer. J’ai connu le harcèlement scolaire par le passé et je mentirais si je disais qu’aujourd’hui c’est fini. La plupart du temps, mes harceleurs me laissent en paix. Mais si je fais le moindre faux pas, ils débarquent en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et ne me lâchent plus pendant des semaines.

Leur dernier sujet de moquerie étant mon homosexualité. A la minute où ils l’ont appris, je me suis retrouvé à toujours être suivi à tout instant dans les locaux du lycée. Ils observaient mes moindres faits et gestes, me faisaient des remarques sur des choses aussi bêtes que ma façon de marcher par exemple. Bref, ça leur a pris des semaines pour se désintéresser. A croire que je suis plus intéressant que notre prof d’espagnol Mme Rojas.

Comme nous sommes mercredi, nous n’avons pas cours l’après-midi et j’ai bénévolat au Girofard. Je me demande toujours pourquoi ils ont choisi ce nom pour le centre LGBTI+ de la ville. Peut-être pour signifier qu’il serait comme un gyrophare, ou encore pour signifier qu’il serait le phare de la Gironde, qui guiderait les personnes dans le besoin jusqu’à eux. Je n’en ai aucune idée, je ne leur ai jamais demandé. Et je ne pense pas le faire un jour, j’aime garder cette part de mystère, j’aime imaginer comment ils en sont arrivés à ce nom.

La permanence du mercredi ne commençant qu’à 16h, je décide de rentrer chez moi. Il m’arrive parfois de traîner en ville, dans des magasins de livres ou de vêtements. Mais aujourd’hui la pluie me décourage, je n’ai pas très envie de rester des heures sous ses griffes.

Quand j’arrive chez moi, il est déjà presque 13h. Vive les trains toujours en retard. Ma mère étant encore au travail, je me retrouve seul dans notre appartement. Je décide de manger vite fait et d’aller faire mes devoirs. A l’heure à laquelle je rentrerais ce soir je n’aurais sûrement pas le temps de les faire.

Au bout de deux heures, je m’accorde une pause goûter avant d’aller au bénévolat. Il faut encore que je prenne le train pour rejoindre Bordeaux centre, heureusement que j’ai un abonnement par mois sinon cela nous reviendrait beaucoup trop cher.

En arrivant au centre, je fais la bise à tout le monde et vais voir un des bénévoles de l’association qui me donne à chaque fois ma ‘’mission‘’ du jour, Loïc. Aujourd’hui il me dit :

– Ta mission du jour est d’aider à gérer la permanence. En gros tu prépares le café et l’eau pour les thés et tisanes, et bien sûr tu t’occupes de distribuer des biscuits. Oh ! Petite différence par rapport à d’habitude : tu vas t’occuper de distribuer ces tracts que l’on vient de recevoir.

Il me tend les tracts en question et reprend :

– C’est pour un groupe de discussion entre adolescents LGBTI+. Donc dès que tu vois une personne qui te semble être un adolescent tu peux aller lui parler du groupe et lui donner le tract. Compris ?

– Mission reçue cinq sur cinq mon capitaine , je réponds en faisant le salut militaire.

Quand j’ai demandé à être bénévole ici j’ai dû passer un entretien avec plusieurs bénévoles, Loïc était l’un d’entre eux. Il était celui qui paraissait le plus enthousiaste à l’idée d’avoir un jeune membre dans l’équipe. Depuis le début, c'est lui qui s’occupe de moi et je pense que l’on s’entend plutôt bien.

Étant moi-même intrigué par cette histoire de groupe de discussion, je jette un œil au tract avant que l’on ouvre les portes et que la permanence ne commence.

(dessin d’un tract pour un groupe Discord pour adolescents LGBTI+)

Durant toute la permanence, je n’arrête pas de penser au fait de rejoindre ce groupe. Je me demande quel rôle je voudrais y avoir : être en quelque sorte le représentant du centre ou être simplement un adolescent comme les autres ? Le centre ne m’a rien demandé mais je me sens quand même investi d’une mission : aider les adolescents qui n’auraient pas accès au centre et qui auraient refuge dans ce groupe.

Le temps du trajet retour j’y repense encore et me décide finalement : je jouerais le rôle du « représentant » du centre. D’autant plus qu’étant un adolescent moi-même, les membres de ce groupe seront certainement plus enclins à me parler à moi plutôt qu’à des adultes du centre s’ils avaient la possibilité d’y aller.

J’envoie donc un mail à l’adresse inscrite sur le tract. Je n’en ai pas encore parlé aux autres bénévoles car je me disais que je me prendrais plus longtemps à me décider et que les gérants du groupe seraient submergés de mails et ne répondraient pas au mien avant plusieurs jours. Le « ting » m’indiquant un mail entrant me contredit. Ce dernier contient le lien permettant d’accéder au groupe Discord. Je décide d’attendre ce soir pour cliquer sur ce lien, je veux avoir encore un peu de temps de réflexion.

Quand je rentre à la maison c’est déjà l’heure de manger. Comme tous les mercredis, il est 19h30 et ma mère m’attend dans la cuisine. En se racontant nos journées, je lui parle du groupe et elle me dit :

– C’est une super initiative je trouve ! Peut-être que pour une fois au lieu de voir ça comme du travail tu pourrais en profiter pour te faire des amis ?

– Mamaaan, je râle.

Je sais bien que cela lui fait de la peine de me voir tout le temps seul, renfermé dans mon coin. Mais ça me va très bien à moi, je ne ressens pas le besoin d’être avec les autres. Je lui réponds tout de même que je le ferai, si des gens m’intéressent, pour la rassurer.

On va ensuite s’installer sur le canapé pour regarder la suite de notre série tout en bavardant. Une scène me refait penser au fait que je n’ai pas d’amis proches, je me tourne vers ma mère et me dis : « Tant que je l’ai elle je n’ai besoin de personne d’autre. ». Et c’est vrai, elle a toujours été là pour moi et je veux faire de même, être là pour elle, et avoir des amis risqueraient de m’éloigner d’elle.

Puis de toute façon personne n’a jamais voulu être mon ami, peut-être parce que je n’ai jamais montré d’intérêt envers les autres cela dit. Bref, tout cela ne change rien. Je vais m’inscrire sur ce groupe en tant que bénévole du centre LGBTI+ de Bordeaux et c’est tout.

A la fin du deuxième épisode que nous regardons, ma mère se met à bailler, elle est sûrement fatiguée de sa longue journée de travail.

– Va te coucher maman, je m’occupe de ranger, lui dis-je en souriant pour lui assurer que ça me va.

– Tu es sûr mon ange ? me demande-t-elle d’une voix déjà endormie.

– Mais oui, ne t’inquiète pas, va dormir, je m’occupe de tout.

Elle hoche la tête et se lève, emportant avec elle son plaid. Après avoir entendu sa porte se fermer, je me lève à mon tour et commence à ranger tout le petit bazar que nous avons fait en seulement une soirée. Quand j’ai enfin fini, je me dirige vers ma chambre pour aller me coucher moi aussi.

En allumant mon téléphone je repense au mail que j’ai reçu. Je l’ouvre de ce pas et clique sur ce fameux lien. L’application me demande de choisir un nom, je mets évidemment mon prénom, et elle me demande aussi une photo de profil, j’opte pour la même image que sur mon badge du Girofard :

(dessin de la photo de profil Damien)

Je tombe ensuite sur la page où doivent se présenter les nouveaux arrivants. Avant que mes doigts n’atteignent le clavier pour écrire mon message j’arrête mon geste, j’hésite, je repense à ce que m’a dit ma mère. Finalement, j’opte pour ce que j’avais décidé avant de lui en parler. Ces personnes ont plus besoin de quelqu’un qui travaille déjà dans une association et qui pourrait les aider que d’un ami.

Listes de message en dessin

- message quelqu’un

- message Arthur

- message Damien :

Bonjour. Je suis un lycéen de 17ans et je suis homosexuel. Je vis seul avec ma mère et je fais du bénévolat à l’association LGBTI+ de Bordeaux, le Girofard. Si vous avez besoin de parler, de conseils pour quoi que ce soit n’hésitez pas à m’envoyer un message. Damien.

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