J’attends. Il n’y a pour l’instant rien d’autre à faire. J’espère qu’on aura le temps de parler un peu avant que mon père n’arrive. J’essaie cependant de ne pas me faire trop d’illusion. Si ça se trouve il reçoit de nombreux messages et il ne répondra au mien que dans quelques jours. Si ça se trouve il est en train de dormir. Je me rends compte que je tremble, c’est sûrement dû au stress.

(dessin voyant vert)

Oh ! Le voyant à coté de son nom vient de passer au vert, il vient de se connecter. Cependant, je ne peux toujours pas savoir s’il a vu mon message, je ne le saurais que quand il commencera à écrire.

Pour m’épargner un peu je décide de poser mon téléphone et de le reprendre dans deux minutes.

Quand je le reprends je vois que Damien est encore en train d’écrire. Ça a l’air d’être un long message.

(Heure : 22h51, date mardi 21 janvier)(message Damien : Bonjour. Non tu ne me déranges pas ne t’inquiète pas, je suis là pour ça.

Il n’y a pas de soucis tu peux tout me dire.)

Un soupir de soulagement m’échappe, je ne pensais pas qu’entamer la discussion me stresserait autant. Je me lance donc et lui réponds :

(heure 22h53, date mardi 21 janvier)(message Angel : Alors voilà, je me lance ^^’’

Il y deux ans je me suis fait un piercing, étant donné que j’étais mineur je n’ai pas pu le faire dans un salon de perçage classique. Ces derniers temps j’ai fait des recherches sur les IST et les MST et me suis rendu compte que l’hépatite c pouvait se transmettre dans ce genre de milieux ><

Là où je veux en venir c’est : est-ce que tu pourrais m’aider à trouver un moyen de me faire dépister sans que mes parents ne soient au courant ?) (rajouter smileys ?)

La question est posée, plus de retour en arrière possible. Je ne regrette pas de l’avoir poser mais j’ai peur d’être jugé, qu’il se moque de moi, ou quoi que ce soit dans ce genre. Sa réponse ne tarde pas :

(heure 22h55, date mardi 21 janvier) (message Damien : Je dois pouvoir trouver une solution. Je te recontacte quand c’est le cas d’accord ?

Je pense avoir besoin d’en parler à des bénévoles du Girofard pour qu’ils m’aident, tu m’autorises à leur en parler ?)

J’ai l’impression d’avoir affaire à un adulte, il fait si sérieux et professionnel dans sa façon de parler, je suppose que c’est dû à son statut de bénévole au centre. Je l’autorise évidemment à en parler aux autres membres du centre, c’est la meilleure solution pour trouver une réponse à ma question.

Il va bientôt être l’heure que mon père vienne vérifier si je dors, je remets alors mon téléphone à sa place et me mets en position pour dormir.

Au bout d’une demi-heure je ne dors toujours pas, j’aimerais vraiment reprendre mon téléphone et continuer de lui parler, il a l’air vraiment sympa. J’espère que ça pourra se faire une autre fois.

Le lendemain

La matinée s’est passée comme d’habitude. Le temps passait lentement, j’ai cru que ces cours n’allaient jamais se finir. Et encore, je n’ai pas fini ma journée, je dois encore faire des cours particuliers avec Monsieur Rubard.

Dès mon inscription au lycée mon père a voulu combler tous les moments où je n’avais pas cours avec d’autres activités. Pour lui, il est inimaginable que je n’aie ‘’rien à faire‘’, et comme ça il sait où je suis, ce que je fais, encore une histoire de contrôle.

Et disons que M. Rubard n’est pas des plus sympathiques, c’est un professeur très strict, de plus, il est lui aussi sous le contrôle de mon père. Il le respecte tellement, je pourrais même dire le vénère, qu’il fait tout ce qu’il lui dit. Je pense qu’il voit mon père un peu comme un dieu, ou quelque chose dans ce genre.

Il s’est aussi occupé de mon frère et de ma sœur avant moi. Il ne reste plus que moi maintenant, ce qui rend ces cours encore moins supportables. Louise a réussi à y échapper je ne sais comment, et Elias n’a plus le temps d’y participer avec ses cours à l’université.

C’est en traînant les pieds que j’arrive chez moi, je me dépêche de manger et me dirige ensuite vers la salle à manger, lieu où se déroulent les cours particuliers.

M. Rubard est déjà là et m’attend de pieds fermes, comme si j’étais en retard, ce qui n’est pourtant pas la cas, mais je ne dis rien. Le cours commence à la seconde où je m’assois. ‘’Allez, tu peux le faire, ce soir tu pourras sûrement discuter avec Damien.‘’, me dis-je pour me motiver. Cet espoir de discussion est un peu la carotte qu’on met devant l’âne pour qu’il avance.

(dessin âne avec carotte)

La torture ne s’est pas arrêtée après le cours, il y avait encore le dîner à supporter. Celui-là a été encore pire que d’habitude. Mon père et mon frère n’ont pas cessé de parler des problèmes que l’entreprise familiale rencontre ces derniers temps.

Même si ma mère en fait partie elle aussi, et qu’elle a un rôle important dans l’entreprise, elle n’a pas dit un seul mot. Cela m’a paru bien étrange, je me demande ce qu’il se trame réellement là dedans.

Je me plains que le dîner ait été insupportable mais en réalité à aucun moment ils ne m’ont adressé la parole, petit répit que j’ai dégusté, sachant que ça ne se reproduirait pas de sitôt.

Mon père arrive enfin, ça fait déjà dix minutes qu’il aurait dû venir, je le sens la tête ailleurs. Ces problèmes avec l’entreprise doivent être sérieux. Bien que je ne l’apprécie pas je m’inquiète quand même pour son entreprise. Elle a été fondée il y a de ça plusieurs générations, c’est elle qui nous apporte tout l’argent dont nous avons besoin. Si nous faisons faillite nous allons avoir de gros problèmes, tout d’abord financiers, mais aussi familiaux. Si mon père ne réussit pas à maintenir cette entreprise ce serait la guerre avec nos grands-parents, nos oncles, nos tantes.

Je lui tends mon téléphone, il le prend doucement, sans même me regarder dans les yeux. J’espère que ces problèmes vont vite se régler.

Dès que la porte se ferme j’attrape mon autre téléphone, un message de Damien m’attend déjà, il a me l’a envoyé il y a quelques heures :

(19h02, mercredi 22 janvier)(dessin messages Damien : Bonjour, j’ai pu demander aux autres bénévoles des conseils aujourd’hui. Voilà ce que je sais :

En temps normal, tu peux passer par ton médecin traitant et lui demander une ordonnance pour une prise de sang. Mais vu que tu ne veux pas que tes parents soient au courant ceci ne me paraît pas la bonne solution. Un autre moyen serait de te rendre dans un centre de dépistage anonyme et gratuit.

Grâce aux bénévoles je sais qu’il existe 4 possibilités à Bordeaux : le Centre Accueil Consultation Information Sexualité, la Maison Départementale de la Santé, le CHU de Bordeaux et le Centre de santé Pavillon de la Mutualité.)

Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de possibilités. Il faut maintenant que je choisisse dans lequel je vais aller, j’élimine d’ores et déjà le CHU de la liste, c’est le lieu où il y a le plus de chances que je croise quelqu’un que je connaisse, et s’il me demande qu’est-ce que je fais là je serais incapable de mentir.

Pour m’aider à choisir entre les trois autres je fais quelques recherches internet. J’opte finalement pour le CACIS, il se trouve assez loin de chez moi et il y a vraiment peu de chances que je croise quelqu’un.

(22h49, mercredi 22 janvier)(dessin message Angel : Salut ! Déjà, merci beaucoup d’avoir fait toutes ces recherches pour moi ^^ Et après quelques recherches je pense que j’irai au CACIS.)

Je préfère ne pas lui donner les raisons de mon choix, nous ne nous connaissons pas encore tellement. Il me répond dans la foulée :

(22h50)(dessin message Damien : D’accord. Si tu le souhaites, moi ou un autre bénévole peut t’accompagner.)

C’est vraiment sympa de sa part de se proposer mais, comme d’habitude, je ne peux pas prendre le risque que l’on me voit avec quelqu’un hors de mes camarades de ma classe ou de ma famille, et comme à chaque fois, je reste vague.

(22h52)(dessin message Angel : Merci beaucoup pour ta proposition mais je vais devoir la décliner ^^’’)

J’en ai vraiment ras-le-bol de devoir faire attention à chaque geste que je fais, à chaque parole que je dis, je n’en peux vraiment plus de tout ça.

(22h53)(dessin message Damien : D’accord. En tout cas n’hésite pas à venir me parler si jamais tu as besoin de quoi que ce soit.)

Une petite déception s’installe en moi, ce message veut dire que c’est la fin de notre discussion.

Non. Non je ne vais pas laisser passer la chance de parler à quelqu’un d’autre que ma famille et mes camarades de classe sans agir. Je rassemble tout mon courage et lui envoie le message suivant :

(22h55)(dessin message Angel : Au fait, je me demandais : pourquoi tu t’es présenté ici en tant que bénévole et pas en tant qu’adolescent lambda ?

Bien sûr si tu ne veux pas répondre c’est ok.)

J’attends. J’espère vraiment ne pas être allé trop loin en lui demandant cela. Au bout de quelques minutes sa réponse arrive enfin.

(22h58)(dessin message Damien : J’ai hésité avant de m’inscrire en tant que bénévole du centre, ça n’a pas été une évidence dès le début. Mon choix était le suivant : soit je m’inscrivais en tant qu’adolescent lambda et je me faisais de nouveaux ami.e.s, soit je m’inscrivais en tant que bénévole et j’aidais les autres. Ça n’a pas été facile mais j’ai finalement opté pour la deuxième option, pour moi il était plus important d’aider les autres tant que j’en avais la possibilité que de me faire des ami.e.s, ça je pourrais toujours le faire plus tard.)

Wow, ses raisons m’impressionnent. Il a vraiment eu un raisonnement d’adulte sur ce coup là, peu de gens dans sa situation aurait fait la même chose je pense. Je lui dis tout ça dans mon message.

Juste après avoir envoyé ce message je me dépêche de cacher mon téléphone et de me mettre en position pour faire croire à mon père que je dors. Il ouvre délicatement la porte et la referme de la même façon. Il a l’air bien calme ce soir.

Après qu’il soit passé je reprends mon téléphone, je ne pense pas qu’il va repasser plus tard alors je prends le risque. En l’allumant je vois un message de Damien, il fait le modeste par rapport à sa décision et me demande les raisons de mon inscription. Je décide de rester, encore une fois, vague et lui dit seulement que c’est le seul endroit où je peux m’exprimer librement.

Je commence à fatiguer et à m’endormir entre chaque message, je lui souhaite donc une bonne nuit et vais me coucher.

Cette discussion, si anodine soit-elle m’a vraiment plu, ça me change de d’habitude, j’ai pu enfin parler librement, dans certaines limites quand même malheureusement, sans la crainte que mon père puisse me surveiller. J’espère qu’on continuera de se parler par la suite, il a l’air de quelqu’un de vraiment sympa.