Arthur

7 minutes de lecture

 Il y a trois ans, je pensais déjà à m’acheter un téléphone secret, dont personne à part moi n’aurait connaissance. Un téléphone que mon père ne me prendrait pas tous les soirs à 22h30 précise, un téléphone que mon père ne pourrait donc pas fouiller pour trouver quelque chose à me reprocher.

 Je me sentais déjà en danger à l’époque, mon père me faisait peur. Une fois il a trouvé les vêtements que je venais de m’acheter, vu qu'il était très pris par l'entreprise, j’espérais qu'il ne les remarquerait pas, mais ça n’a pas marché. Quand il les a vus il s’est mis dans une colère noire. Selon lui, je bafouais encore une fois son autorité, j’avais acheté quelque chose sans qu’il ait son mot à dire. Il ne supporte pas de ne pas avoir le contrôle sur tout, et en particulier sur moi.

 C’était la première fois que je faisais quelque chose sans lui, sans qu’il puisse avoir le contrôle sur moi. C’était la première fois que je faisais quelque chose en autonomie, j’avais adoré, mais je l’ai vite regretté.

 Ce n’était pas grand-chose, pourtant ça lui a suffi pour me frapper. Aujourd’hui j’en ai encore des marques sur le corps. Aujourd’hui j’ai encore peur dès qu’il lève son bras vers moi. Aujourd’hui, et à jamais, je suis encore traumatisé.

 Depuis cette fois-là, je fais très attention à mes recherches internet, aux photos que je prends, aux noms de mes contacts, aux mots que j’utilise dans mes messages. Je ne laisse plus rien au hasard. Comme ça, il n’a plus aucune raison de me frapper. Non pas qu’il ne veuille pas le faire. Mais s’il le fait sans donner de raison valable à ma mère, c'est lui qui se retrouverait dans une position délicate.

 Après cet épisode, j’ai pensé à m’acheter mon propre téléphone, au cas où j’aurais besoin de contacter quelqu’un, de m’enfuir, ou quoi que ce soit. Mais je n’ai pas eu la force, le courage, de le faire.

 Ce n’est qu’un an après, quand je me suis rendu compte de mon homosexualité, que j’ai sauté le pas. Je ne pouvais pas rester dans cette maison qui a toutes les raisons de me faire du mal sans moyen de protection.

 Un scénario me revient souvent en tête. Ma mère découvre que je suis gay à cause de d'un livre qui parlerait de romance entre deux hommes que j'ai emprunté à la bibliothèque, ou tout autre petit détail suggérant mon homosexualité. Elle en parle à mon père, elle a la manie de toujours tout lui dire. Il entre dans une colère noire, encore pire que la dernière fois. Il m’enferme dans ma chambre sans mon téléphone en attendant de décider de ce qu’il va faire de moi, de ce fils abominable qui ose être gay et vivre sous son toit. Il sent qu’il ne peut pas laisser son fils vivre comme ça en toute impunité. Soudain, une idée lui vient à l’esprit, il va m’envoyer en thérapie de conversion, car oui malheureusement ça existe toujours.

 Voilà le scénario qui me trottait dans la tête avant que je me procure ce précieux téléphone qui pourrait me sauver. Aujourd’hui encore, j’y repense souvent. La seule chose qui m’empêche de m’enfuir de cette maison où règnent des diables prétendant être ma famille, c’est de savoir que j’ai ce téléphone, dont personne ne connaît, ni ne soupçonne, l’existence.

 Je me suis donc acheté mon propre téléphone avec l’argent de poche que j’économise depuis que mes parents ont commencé à m’en donner. C’est bien la seule chose bien qu’ils font pour moi, me donner un peu d’argent tous les mois. Je ne sais pas pourquoi ils font ça, peut-être espèrent-ils que je le mette de côté et que, dès ma majorité atteinte, je parte avec.

 Quand je l’ai enfin eu entre mes mains, j’ai senti le poids que cet objet aurait, le poids de la liberté. Aujourd’hui encore j’en prends grand soin, pour qu’il soit prêt quand j’en aurais besoin. Pour l’instant je ne m’en sers que pour me renseigner sur des sujets que mon père et ma mère ne veulent pas que je connaisse ou que j'approfondisse. Disons que s’ils voyaient des recherches sur les événements qu'organise le centre LGBTI+ de Bordeaux sur mon vrai téléphone, je me ferais frapper sans relâche pendant quelques heures je pense. Je l’utilise aussi pour avoir des comptes plus « vrais » sur les réseaux sociaux, des comptes avec lesquels je peux suivre le compte Instagram du centre LGBTI+ de Bordeaux par exemple. Bien sûr, pour ne pas éveiller les soupçons, j’ai aussi un compte plus « correct », aux yeux de mon père, avec des photos de famille et des abonnements plus « sérieux ».

 Plus récemment, je me suis mis à suivre des comptes de personnes LBGTI+ plutôt que des associations. Je me suis dit que je pourrais les contacter et me faire des amis qui me ressemblaient plus. Malheureusement je ne l’ai toujours pas fait, par peur sûrement. Peur que ma famille ou que mes camarades de classe ne le découvrent. Peur de paraître ridicule. Peur de me faire rejeter.

 Il est 22h30, mon père entre dans ma chambre, sans frapper évidemment. Donner de l’intimité à ses enfants ? Concept inimaginable pour lui. Je lui tends mon téléphone, il le prend d’un geste brusque en me lançant un regard haineux. Avant qu’il ne sorte, j'attrape un livre pour lui faire croire que c’est ce qui va m'occuper après son départ. Il me dit : « Quand je reviens à vingt-trois heures tu as intérêt à dormir. ». Je lui réponds par un hochement de tête, geste qui, je le sais, ne lui plaît pas. Cependant il ne fait pas de remarque. Tout au long de ma jeunesse, lorsque je faisais ce geste, il me disait : « Parle au lieu de hocher la tête, tu n’es pas un animal. ». Je ne me souviens plus à quel animal il me comparait, il me semble que c’était le mouton.

 Après quelques minutes d’écoute attentive de ses pas, je suis sûr qu’il est assez loin de ma chambre. Dans tous les cas, je garde le livre près de moi pour avoir le temps de l’attraper et de ranger mon téléphone secret si jamais j’entends ses pas se rapprocher.

 J’attrape vite mon téléphone, je n’ai pas de temps à perdre, je n’ai qu’une demi-heure et peut-être encore un peu de temps après 23h si je suis pas trop fatigué et s'il est d’assez bonne humeur pour ne pas revenir toutes les cinq minutes s’assurer que je dorme vraiment. J’ouvre Instagram en premier, le réseau social où je suis le plus.

 Je commence par regarder les stories des personnes que je suis. Grâce aux celles du centre LGBTI+ de Bordeaux, je sais quels seront les ordres du jour de la prochaine permanence qui aura lieu samedi. J’ai pensé à y aller mais je trouve ça risqué de sortir en mentant à mon père sur ma destination. Il tient absolument à savoir où je sors, avec qui et à quelle heure je rentre. De plus, si je croise quelqu’un que je connais cela pourrait me mettre en danger.

 Dans la story suivante je vois ça :

(dessin de la story présentant une affiche/un tract pour un groupe Discord pour adolescents LGBTI+)

 Je me souviens ! La personne avait parlé il y a quelques mois de son initiative de créer un groupe Discord pour adolescents LGBTI+. Depuis, elle en n’avait pas reparlé donc j’avais totalement oublié.

 L’affiche que l’on voit dans sa story indique que c’est un lieu de rencontres, de partage d’expériences, d’échange de conseils ou encore que c’est un endroit où l’on peut parler de nos problèmes, de tout et n’importe quoi, en toute sécurité. L’aspect partages et échanges m’attire beaucoup. Je n’hésite pas une seconde et envoie un mail à l’adresse email indiquée dans la story pour m’inscrire.

 La raison qui me pousse à m’inscrire est toute simple. Ce groupe me permettrait de rencontrer des gens à qui je pourrais pas besoin de cacher le fait que je suis gay, des gens devant qui je n’aurais pas à avoir honte de ma sexualité. De plus, ce n’est pas comme le fait d’aller parler à des gens individuellement par messages privés ou encore comme le fait de me déplacer au centre, ce qui me ferait prendre bien trop de risques, l’initiative fait moins peur.

 En attendant la réponse, qui j’espère arrivera bientôt, je fais les cent pas dans ma chambre, tout en faisant attention bien sûr à ne pas faire de bruit pour ne pas éveiller les soupçons de mon père. En effet, il trouverait ça bizarre que je tourne en rond dans ma chambre en lisant.

 Au bout de dix minutes je n’ai toujours pas de réponse. Je me dis que j’ai peut-être placé trop d’espoirs dans ce groupe, peut-être qu’il y a une sélection. Au moment où je me dis ça, je reçois une notification m’invitant à rejoindre le groupe. Un sourire s’étend instantanément sur mon visage. Je serre fort mon téléphone contre moi. Je suis content, je vais enfin rencontrer des gens avec qui je vais pouvoir discuter sans avoir à penser chaque mot pour ne pas faire un pas de travers.

 Je me dépêche de cliquer sur le lien pour rejoindre le groupe. Je dois choisir un pseudo, je choisis Angel, le nom que j’utilise dès que je ne veux pas mettre mon vrai nom. Puis, je dois choisir une photo de profil. J’opte pour une photo de moi portant ma chemise préférée, je trouve que je rayonne sur cette photo, et c’est ce que je veux apporter à ce groupe, de la joie, de la bonne humeur :

(dessin PP Arthur)

 Devant moi s’affiche ensuite une page de présentations pour les nouveaux arrivants. N’en pouvant plus d’attendre, j’envoie mon message de présentation et lis ceux des autres :

(dessin)

Liste des messages en dessin

- message quelqu’un

- message quelqu’un (pareil que 1er quelqu’un de Damien)

- message Arthur :

Bonjour ! Moi c’est Angel, je suis gay et j’ai 17ans. Je suis encore au lycée ><

Ma famille est plutôt conservatrice et homophobe, ainsi que les gens de mon école ^^’’

Je me suis donc dit que je pourrais ici rencontrer des gens sympas ^^

N’hésitez pas à m’envoyer un message !

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