Chapitre 2 : Collision

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Ariane et Joshua sont assis sur le canapé du salon. Leurs parents leur font face, chacun sur un fauteuil. Ils attendent. Dehors, le soleil matinal illumine la rosée sur le gazon. La forêt se réveille. Les enfants et leur père sont prêts pour leur journée de travail. Chaque tenue est impeccable. Le rituel examen matinal peut commencer. La matriarche brise le silence.

— Vos devoirs ? demande-t-elle dans son peignoir rose.

— Faits, répond Ariane.

— Ouais pareil, ment Joshua.

La mère acquiesce, satisfaite de la réponse.

— Petit dèj ? demande le père.

— Dégusté comme une princesse, répond Ariane.

— Englouti comme un porc, répond Joshua.

— Et les dents ? Vous les avez lavées ?

— Bien sûr ! s'indigne Ariane.

— Oui, le mois dernier, répond Joshua.

Le père exulte de fierté. Il regarde sa femme qui prend le relai.

— KIT ? demande-t-elle.

— Dans mon sac, répond Ariane.

— Euh..., hésite Joshua.

Sa mère, les cheveux en bataille, fronce les sourcils. Joshua se lève, court dans sa chambre et attrape une petite besace en toile blanche. Il l'ouvre et vérifie que tout y est - traceur GPS, téléphone satellite, trousse de premiers secours, pulvérisateur blanc marqué d'un grand C, néon AZAm de poche et boite d'anti-histaminiques. Il referme le tout, redescend, se jette sur le canapé, et enfourne le KIT dans son sac à dos, entre son trieur et son livre de maths.

— Dans mon sac, rectifie Joshua, essoufflé.

— Je t'ai déjà dit de toujours l'avoir sur toi, commente sa mère. Elle ajoute, de façon cérémonieuse : ''N'oublie pas que Claudia est là pour nous protéger.

Joshua, Ariane et leur père la fixent du regard pendant quelques secondes avant qu'elle n'éclate de rire. Ariane l'accompagne.

— Ils auraient pu trouver un meilleur slogan, franchement, dit-elle en ajustant son peignoir. — C'est d'un ridicule... Claudia est là pour vous protéger gnah gnah gnah...

— Surtout que c'est faux pour moi, ajoute Joshua, pas forcément amusé.

Ariane roule des yeux, comme souvent quand son frère ouvre la bouche.

— T'es juste allergique, Josh, lui dit-elle. Elle te protège quand même !

— Ouais mais après j'ai la tronche tellement enflée que je ressemble aux bourrelets d'une vieille peau prête à clamser !

— Hé, surveille ton langage ! intervient le père avant d'ajouter :

— On dit décéder, et non clamser.

La mère regarde son mari, cet idiot qui la fait rire. Elle lui prend la main en souriant niaisement puis fusille son fils du regard. Elle lève les sourcils et tend le cou, attendant quelque chose de la part de son fils. Joshua se lève en soupirant et met une pièce dans un pot rouge posé au-dessus du réfrigérateur.

L'AZAm retentit. Un. Deux. Pause. Trois.

La famille se lève. Dernières vérifications, les chaussures des enfants sont lacées, les cheveux du père sont à peu près peignés et tous trois sont parés pour le dernier jour de la semaine.

Ariane et Joshua embrassent leur mère et sortent de la maison, suivis de leur père, retardé par un dernier baiser conjugal.

Joshua regarde les maisons des voisins se vider dans la rue. Rapidement, les trottoirs sont bondés. Tout le monde sort à l'heure dictée par l'AZAm. Les enfants sont escortés vers les bus scolaires, eux-mêmes accompagnés des Brigadiers, alors que les parents, ayant le choix entre covoiturage et transport en commun militarisés, partent de leur côté.

Ariane et Joshua montent dans un bus après avoir souhaité une bonne journée à leur père, qui partira avec quatre de ses collègues dans un mini-van.

Le bus est plein. Comme chaque matin, Joshua espère que les places du fond sont libres, mais il n'en est rien. Il se rabat sur un double siège quelque part au milieu du véhicule et s'y installe avec sa sœur. De la fenêtre, il aperçoit leur mère qui leur fait signe de la main avant de retourner dans la maison, certainement pour jouer à la console de jeux vidéos jusqu'au commencement de sa journée de télétravail. Depuis l'avènement des monstres, beaucoup d'entreprises ont recours au travail à domicile. Le télétravail, une évidence pour beaucoup d'employés grâce à internet, était impossible à mettre en place selon la majorité des employeurs. Mais quand, pour des raisons de sécurité, les gouvernements européens encouragèrent leurs ressortissants à rester chez eux pour éviter tout contact avec les alterbiotes, des solutions miracles furent trouvées en quelques jours.

Joshua, même s'il n'est pas rassuré par la possible présence de monstres dans la région, est content de pouvoir aller en cours et n'envie pas sa mère qui, au final, ne sort jamais. Le couvre-feu récent le bride déjà suffisamment comme ça.

— Tiens, mais c'est Joshuanus Bizarrus et sa p'tite soeur...

Joshua se retourne. Devant lui se pavane Karim, son voisin et meilleur ami, qui se trouve aussi être dans sa classe. Il est un peu plus jeune que Joshua mais le dépasse de quelques centimètres et profite de la moindre occasion pour le lui rappeler. Cela n'a jamais vraiment réussi à agacer Joshua. Ils échangent une poignée de main compliquée puis Karim s'assied sur le siège leur faisant face.

— Elle est où, Djam ? demande Ariane.

— Elle a pris un autre bus avec ses sbires. Josh, je peux regarder ton devoir d'anglais ? Juste pour... vérifier si j'ai bien répondu aux questions...

— Ouais, tiens !

Joshua fouille dans son trieur, sort sa copie et la donne à Karim, dont le sourire d'espoir s'estompe lorsqu'il se rend compte que le QCM de son ami n'est pas rempli.

— Josh ! T'as rien fait ?! s'indigne Ariane.

— J'avais pas envie. Je vais m'en occuper là, vu qu'on va encore se taper une heure de bouchons...

Le cortège de bus scolaires suit le même itinéraire chaque matin. L'école d'Ariane se trouve au troisième arrêt. La fillette descend et retrouve ses amies qui hurlent de joie en apercevant Joshua à travers la fenêtre du bus. Karim le charrie et le félicite d'avoir autant de succès auprès de fillettes de CM1. C'est très embarrassant. Surtout que Joshua ne se trouve pas particulièrement séduisant.

En échangeant certaines réponses de son devoir d'anglais contre des solutions aux problèmes de mathématiques avec Karim, Joshua parvient à terminer tous les devoirs en retard. Le bus arrive enfin au collège au bout d'un périple de cinquante-deux longues minutes. Les deux compères descendent et marchent nonchalamment vers une journée plus ou moins studieuse.

Ce matin, Joshua a une heure de Latin, une heure d'Anglais puis un quart d'heure de récréation. Viennent ensuite deux heures d'Histoire-Géographie, qu'il passe à faire la sieste, caché derrière son livre scolaire qu'il a redressé devant lui tel un paravent. Karim le réveille alors que le professeur se promène dans les rangs en parlant des fondations de la France nouvelle pendant la révolution. La sonnerie les libère et ils s'enfuient vers la cantine.

Joshua s'installe avec Karim, sa sœur Jamila - Djam pour les intimes - et trois autres filles à qui il ne parle que très rarement.

— Ils vendent tellement du rêve, les repas au collège, remarque Karim en regardant le contenu peu ragoutant de son plateau repas. Puis son visage s'illumine :

— Tu crois qu'un jour on pourra manger un steak de minotaure ? Ils en ont trouvé un pas loin de Munich la semaine dernière.

Jamila s'enthousiasme.

— Mmmmh ! Oui, je veux goûter ! Tu crois que c'est une viande rouge ? Genre, comme du bœuf ? demande-t-elle.

Ses yeux s'écarquillent. Elle se lève, sautille et regarde ses amies, excitée comme une puce.

— Oh. Mon. Dieu. Je viens d'avoir la meilleure idée du monde. Un CARPACCIO DE LICORNES ! Vous imaginez le truc ?!

Joshua fait une moue de dégoût. Du carpaccio, quelle horreur. Il n'aime pas la viande crue. Il la préfère bien cuite. Sans jus. Occasionnellement, ses parents se préparent des tartares de bœuf. De la viande hachée crue, avec un jaune d'oeuf - cru, lui aussi - et un amas de poivre. Et ils mangent ça comme ça ! Sans rien faire cuire. Comme des animaux sauvages.

— Quoi ? Mais pourquoi tu veux qu'on les mange ? Elles sont trop jolies ! se plaint la copine Numéro 1 de Jamila.

— Ouais, mais c'est trop des idiotes apparemment..., intervient copine Numéro 2 en roulant les yeux.

— Grave, les meufs elles sont que trois sur toute la planète et elles arrêtent pas de se battre, précise Numéro 3.

— C'est à cause de Petrus. Elle est mauvaise et elle s'en prend toujours à Rosette. Du coup, Lasagne la défend et c'est le bordel, quoi..., raconte Numéro 2.

Joshua ricane, amusé par les noms des licornes. Elles sont le sujet de moqueries depuis bien des années. Comme pour tous les autres alterbiotes, c'est l'Académie qui a décidé de leurs noms. Les deux premières se nomment Petrus et Rosette. Il y aurait un rapport avec l'astronomie mais Joshua n'a jamais vraiment pris la peine de se renseigner sur la question. Pour la troisième licorne, un vote en ligne avait été créé. A l'époque, un scandale culinaire concernant de la viande chevaline avait fait le tour du monde. L'opinion publique avait trouvé amusant d'en faire un rappel en nommant la dernière licorne Lasagne. Etrangement, l'Académie n'avait plus jamais proposé de vote depuis ce jour-là.

— On devrait grave les manger, décrète Jamila.

— Mais elles sont si jolies..., se plaint encore Numéro 1.

— Faut les bouffer, j'vous dis ! En plus, y'en a une qui s'appelle déjà Rosette ! Comme le saucisson ! Et une autre, Lasagne !

Numéro 2 et 3 émettent des rires aigus insupportables. Djam reprend sa place, se répétant qu'elle va devenir trop riche grâce à l'alter-boucherie-charcuterie.

Joshua n'est pas enchanté par l'idée, mais il se dit qu'au vu du nombre d'espèces animales qui s'éteignent chaque année, les monstres deviendront certainement un jour une source de nourriture. Si on arrive à les approcher, à les domestiquer et à les élever en masse. Durant un instant, il est écoeuré par sa propre espèce. L'heure du repas passe assez vite. Joshua et Karim abandonnent Djam et ses amies, dont la conversation a dérivé vers les produits cosmétiques à base de graisse d'Aurelia pedica, un alterbiote décapode au corps huileux et gluant. Très collante, cette étrange méduse qui flotte à l'air libre a tendance à emprisonner dans ses nombreux tentacules tout ce qui a le malheur de s'en approcher.

L'après midi commence par deux heures de SVT. C'est le cours préféré de Joshua. Le sujet l'intéresse mais c'est surtout le professeur, Monsieur Bataille, un trentenaire qui se dégarnit, hyperactif et passionné qui rend le cours si agréable. Joshua et Karim arrivent à la porte de la classe et se joignent à la file d'élèves qui attendent le professeur avant d'entrer. Monsieur Bataille arrive, tout sourire, ouvre la porte et fait signe aux premiers élèves d'aller prendre place. Les adolescents défilent devant lui, lui lançant divers bonjour, comment ca va ? ou autres mais pourquoi vous êtes jamais absent ? qu'il reçoit avec sa bonne humeur caractéristique. Karim entre dans la salle de classe, Joshua le suit mais il est arrêté par l'enseignant.

— Joshua, il faut qu'on parle, lui dit Monsieur Bataille.

Il croise les bras et lui barre l'accès à la salle de classe.

— Ah... On dirait que le chauve est de retour ? répond l'adolescent en soupirant.

— Oui, et tu en dis quoi ?

Joshua le fusille du regard.

— J'en dis que le chauve devrait faire comme ses cheveux et disparaître une bonne fois pour toute.

Plusieurs petits cris de surprise retentissent dans la salle. Monsieur Bataille lance un regard à ses élèves, puis à Joshua. Il sort un carnet de la poche de son veston, sur lequel est attaché un crayon à papier et y écrit quelque chose.

— Et disparaître... une bonne fois... pour toute, répète-t-il.

Sérieux comme un pape, il range son carnet, puis son visage s'illumine du plus grand des sourires.

— Excellent ! Mon beau-père la verra pas venir celle-là ! dit-il en tapotant l'épaule de Joshua pour le diriger dans la salle. Je sais pas où tu trouves tout ça, mais je suis fan.

Le chauve, c'est le père de la fiancée de Monsieur Bataille. Un gradé de la Brigade qui arbore un crâne dénué du moindre cheveu et qui mène la vie dure à l'homme qui lui a volé sa fille chérie.

— C'est toujours un plaisir, Bat' Man ! lui répond Joshua en rejoignant sa place à côté de Karim. Il sort son trieur et le pose sur la table, recouverte de carrelage blanc. Monsieur Bataille, fier de ce nouveau surnom, se pavane vers son bureau et commence son cours.

Le sujet du trimestre, la reproduction chez l'humain, provoque des réactions différentes chez les élèves, allant du rire gêné à la fascination, en passant par l'indifférence totale. Joshua passe la première heure du cours à recopier méticuleusement les schémas et croquis que le professeur dessine sur le tableau. Satisfait par sa première double page de notes terminée, il la range dans son trieur. Il en sort une seconde et jete un œil sur la copie de Karim, mais n'y voit qu'un sommaire dessin d'organes reproducteurs humains encastrés l'un dans l'autre. Joshua étouffe un petit rire avant de reporter son attention sur Bat'Man. L'enseignant explique les cycles d'ovulation et captive l'attention de toutes les adolescentes de la classe. Toutes sauf Jessica car elle prend déjà la pilule, ce qui lui vaut le titre de meuf la plus mâture de la classe. Ça, et le fait qu'elle ait trois ans de plus que ses camarades de classe.

Monsieur Bataille demande à la classe s'ils ont des questions. Quelques mains se lèvent.

— Les bébés mettent toujours neuf mois à se développer ?

— On peut tomber enceinte quand on a nos règles ?

— Si Jamila et moi sommes nés, c'est parce que mes parents ont... ?

— Est-ce que les alters se reproduisent ?

La dernière question retient l'attention de Monsieur Bataille.

— Aaah, une question compliquée ! dit Monsieur Bataille, les yeux grands ouverts. Les mains levées devant lui, il fait signe aux élèves de rester silencieux.

— Est-ce que les alterbiotes se reproduisent ? demande-t-il en entretenant un certain suspense. Quelqu'un a une réponse ?

— Bah si ce sont des animaux... Ouais, ils se reproduisent, répond Karim.

— Je salue ta logique, Karim. Mais la vérité est que nous n'en savons rien !

Son visage irradie d'une passion qui captive les étudiants.

— On ne les a pas encore observés en train de se reproduire. Mais on suppose qu'ils le font, car s'il y a une chose que la science nous a démontré, c'est que la génération spontanée est impossible.

Les élèves n'ont pas l'air de comprendre l'idée véhiculée par le professeur. Monsieur Bataille décide d'attaquer sous un autre angle et explique :

— Les animaux n'apparaissent pas comme ça, d'un seul coup ! Ils ont une origine !

— Aaaaah, dit la classe entière, à l'unisson.

— Il y a quelques siècles, on ne savait pas trop d'où venaient les mouches. On pensait qu'elles n'avaient pas d'ascendants - de parents si vous préférez - car on ne leur trouvait pas de bébé leur ressemblant. À l'époque, on n'avait pas encore fait le lien entre la mouche et... l'asticot. C'est à travers l'observation que l'on a pu définir les différents stades du cycle de vie de la mouche : la mouche pond un oeuf, qui donne une larve ou asticot, qui donne une pupe...

— Fils de pupe, dit Karim tout bas à Joshua qui se retient de rire.

— Karim. Une heure de colle, lance Monsieur Bataille.

Karim ouvre la bouche pour se plaindre mais le professeur l'ignore avant de continuer : Une pupe, ou cocon, qui donne enfin un adulte. La mouche dans notre cas.

Joshua note. Il est sûr qu'Ariane ne connaît pas ce mot. Pupe.

— Les alterbiotes ont un cycle de vie que l'on n'a pas encore pu observer. Peut-être ont-ils des petits qu'ils cachent et qui ne sortent de leur terrier qu'une fois adulte. Ou peut-être qu'ils ont un stade larvaire, qui peut nous paraître si différent de l'imago - l'adulte - que nous n'avons pas encore fait le lien entre les deux.

Joshua note. Imago.

— Qui sait si d'ici quelques années on va se rendre compte qu'un Mishipeshu - vous savez, la panthère aquatique que l'on retrouve dans la mythologie algonquienne d'Amérique du Nord - en grandissant, se change en fait en Kraken, dit-il. Cela expliquerait pourquoi ils sont si souvent vus ensemble dans le Lac de Constance à la frontière germano-suisse...

— Comme ce jeu vidéo avec les petits monstres qui évoluent, dit Karim encore plus bas pour ne pas ajouter une autre heure de colle à son palmarès.

Monsieur Bataille s'assied sur son bureau. Comme à chaque fois qu'il se laisse porter par le sujet qu'il aborde.

— C'est un sujet fascinant et j'adorerais vous en parler durant des heures. Malheureusement, on ne peut pas encore inclure l'alterzoologie dans le programme scolaire à cause du manque d'informations, continue Monsieur Bataille.

— Pourtant, la Collision a eu lieu il y a déjà quinze ans, intervient un élève Belge arrivé il y a peu.

La Collision. C'est ainsi que l'arrivée des alterbiotes a été surnommée. Parmi les pays les plus touchés, la Belgique, aujourd'hui presque entièrement évacuée, a vu ses citoyens migrer vers les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France. Joshua sait que dans le collège, il y a une trentaine d'élèves de familles belges et allemandes.

— Ils connaissent sûrement suffisamment les Monstres pour pouvoir nous enseigner quelque chose, non ? continue l'élève.

Monsieur Bataille l'écoute attentivement puis fronce le nez. Ses épaules haussées et sa tête qui se penche de droite à gauche laisse comprendre que la réponse n'est pas si simple que ça.

— On en connaît beaucoup, oui, mais la masse d'informations recueillies depuis des années - grâce à une observation plus ou moins organisée et validée - présente bien trop de lacunes. Surtout que le monde de l'Alterzoologie est un territoire inconnu qui a bousculé la communauté scientifique. Par exemple, vous avez tous certainement vu les vidéos de la bête d'Ulm, Ursa clamoris ?

Les élèves remuent la tête de haut en bas à l'unisson et l'effet est assez comique. Le professeur fait une recherche rapide sur son téléphone et montre à la classe une vidéo de mauvaise qualité. Seuls les élèves du premier rang parviennent à la voir en plissant les yeux.

— C'était la toute première vidéo diffusée de l'apparition des alterbiotes alors que la Collision était en train d'avoir lieu. Au milieu de la ville d'Ulm, qui allait par la suite devenir le cœur de la Zone. Au début, on n'y a pas cru. Ce sont des images de synthèse, sûrement, non ? Une espèce d'ours géant à la peau noire et gluante qui détruit tout sur son passage en hurlant ? Mais bien sûr que ça n'existe pas ! Puis sont venues d'autres vidéos dans les heures qui ont suivi. Des vidéos d'animaux étranges, dont certains ressemblaient trait pour trait aux monstres que nous connaissions des mythes et des contes. Ulm a rapidement été submergée de créatures qui crachaient du feu, changeaient les gens en pierre ou traversaient les murs. Et il a fallu se rendre compte que c'était vrai. Comment peut-on expliquer, avec les connaissances scientifiques que les humains ont assemblées durant des siècles et des siècles, qu'un animal puisse traverser la matière ? Ce phénomène n'avait jamais été observé sur la planète avant ce jour-là et a remis en question tout ce que nous connaissions des lois de la physique !

Il attend la fin de la vidéo et range son téléphone dans la poche arrière de son pantalon.

— C'est pour ça que le sujet n'est pas encore enseigné car les connaissances sont incomplètes. Il existe de nombreux ouvrages qui répertorient les découvertes. Le site de l'Académie d'alterzoologie - que je vous invite à aller voir - partage ses nouvelles découvertes chaque semaine, mais c'est un savoir encore en construction.

Joshua fronce les sourcils et réfléchit à ce que dit le professeur. Un savoir en construction. Quelque chose de nouveau qu'il découvre en même temps que le reste du monde. Il imagine qu'aux débuts de l'exploration spatiale, les enfants de son âge devaient ressentir la même chose.

— Vous êtes nés dans un monde incroyable, les enfants. Dans un monde de monstres mythologiques et d'animaux nouveaux qui ont des capacités impossibles !

— Moi je suis née avant les Monstres. C'était la bonne époque.

— Tu avais 2 ans, Jessica, je doute que tu t'en souviennes, répond Monsieur Bataille. Alors c'est vrai qu'avant, on n'avait pas d'AZAm, de Claudia ou de Zone... Mais aujourd'hui, nous sommes en train de découvrir quelque chose de nouveau. Quelque chose de majeur qui défie nos connaissances de la zoologie, de la biologie et des sciences physiques. Quelque chose que personne sur la planète n'arrive encore à expliquer !

Une main se lève.

— Personne ne sait d'où ils viennent alors ? demande Joshua.

— Personne, Joshua. Absolument personne, répond-il, visiblement excité. On a émis des tas de théories mais dernièrement le consensus serait que les alterbiotes ont toujours été là.

Certains élèves, dont Joshua, sont frappés par l'idée.

— Ce qui expliquerait pourquoi on retrouve certains d'entre eux dans la littérature mythologique du monde entier, continue l'enseignant. Ceux que l'on appelle aujourd'hui les Mythobiotes - les êtres mythiques - pour faire la distinction avec les autres alterbiotes dits nouveaux, que l'on a nommé les Kainobiotes.

Joshua se souvient avoir entendu parler de ces deux termes. Quand il était plus jeune, il avait du mal à faire la différence. L'idée que certains de ces nouveaux animaux étaient présents dans des mythologies du monde alors que d'autres non lui semblait obscure. Il lui avait déjà fallu faire la différence entre les animaux et les alterbiotes. Un chien, lui avaient dit ses parents, est un animal. Pourtant, Joshua avait répondu, on voit des chiens dans la mythologie grecque, c'est donc un mythobiote. Non, avaient alors expliqué les adultes, car les chiens existaient avant la Collision. Un sacré bazar, se dit-il en repensant à ces années de confusion. Même si aujourd'hui il parvient à discerner alters et animaux, il lui arrive de douter lorsqu'on lui parle d'une bestiole dont il n'a jamais entendu parler. Et qui a une forme bizarre. Comme les girafes, dont il a longtemps cru qu'elles étaient des alterbiotes. Mais on lui a expliqué que ce n'était pas le cas. En plus, on en trouve en Afrique alors que les monstres n'existent qu'en Europe. Ses parents l'avaient gentiment taquiné quand il avait alors décidé d'aimer les girafes. Ce ne sont plus des monstres, avait-il rétorqué.

Plus des monstres...

Comme si la dénomination monstre ou alterbiote suffisait à définir entièrement un être. Qu'est-ce qui faisait de ces girafes des monstres avant qu'il ne sache qu'elles n'en étaient pas ? Joshua réfléchit. Le manque de connaissance ? Peut-être. La peur de l'inconnu liée au manque de connaissance ? Très certainement. Mais il ne veut pas apprendre à connaître les alters, il veut juste être loin d'eux. Pourquoi aller confronter l'éventualité du danger quand on peut rester à distance ?

Mais d'un autre côté, c'est bien la connaissance qui l'a fait apprécier les girafes, lui rappelle une petite voix quelque part dans son cerveau. Joshua grogne de frustration. Oh, il sait ce qui le dérange chez les monstres ! Des milliers de personnes périssent à cause d'eux. C'est ça : les monstres sont dangereux. Les gens meurent aussi à cause des requins, des serpents, des moustiques... Encore cette petite voix qu'il aimerait pouvoir faire taire. Oui, mais ces animaux peuvent être restreints. Par des filets, des barrières ou des moustiquaires. Alors que les monstres, eux, continuent de s'éparpiller. La preuve avec les nouvelles mesures qui sont venues perturber le petit monde de Joshua. La petite voix s'apprête à intervenir mais le garçon l'arrête. Il a un cours à suivre. L'introspection et la résolution des conflits internes sera pour plus tard. Il fera ça quand il sera grand.

— Dans les mythologies, il y des gens avec des pouvoirs, dit alors une élève dans le fond de la classe. Y'en a dans la Zone aussi ?

— Ah, tu parles des héros et autres surhumains, répond le professeur. Pour le moment, nous n'en avons pas encore observés. Mais j'imagine que s'ils existaient, ils se cacheraient bien mieux que des animaux mus par leurs instincts. Et s'ils existaient, cela bousculerait encore plus les religions du monde entier. Déjà que beaucoup crient à la fin du monde... Car, selon certains mythes, les monstres ne sont que des messagers. Les annonciateurs d'un changement. Ils apparaissent quand la fin est proche.

Certains élèves écarquillent les yeux. D'autres baillent, nullement impressionnés par l'apocalypse. Une main se lève. C'est celle de Karim, étrangement. Joshua s'étonne de le voir participer. Il va sûrement dire une ânerie qui va lui coûter une ou deux heures de colle...

— J'ai deux questions. La première : pourquoi ils n'apparaissent que quand le monde va bientôt exploser ? Et la deuxième : quand est-ce que le monde va exploser ? Juste pour savoir si je dois faire mes devoirs ce weekend ou si ça sert à rien.

Des ricanements étouffés parcourent la classe.

— Le monde ne va pas exploser, Karim. Donc tu vas devoir travailler ce weekend, désolé. Je ne parle ici que de croyances, de mythes, de métaphores... Dans certains textes, on pense que l'apparition d'êtres difformes, laids, imparfaits était un signe de l'instabilité grandissante d'un monde. Si le monde commence à se briser, à se déformer, il est normal que les êtres qui l'habitent subissent le même sort, vous voyez ?

— Aaaah, d'accord ! répond Karim en s'asseyant, satisfait. Puis il se penche vers Joshua et dit qu'il n'a rien compris à la réponse. Les deux garçons ricanent en silence.

— Encore une fois : ce ne sont que des mythes... Mais !

Le mot, accompagné d'une main levée et d'un index tendu, annonce une nouvelle problématique. Les élèves sont prêts.

— Tout cela soulève une autre question, continue le professeur. Pourquoi le dispositif, naturel ou artificiel, qui a servi à cacher les monstres aux yeux du monde durant des siècles, a-t-il alors soudainement échoué ? Et pourquoi maintenant ?

La classe est silencieuse. Joshua laisse son regard passer d'un camarade à l'autre, guettant une main qui se lèverait pour donner la réponse. Mais personne ne bouge.

— Quelque chose est intervenu à un moment donné, conclut le professeur. Un cycle ne se brise pas de lui-même.

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Les deux heures de cours restantes, Français et Musique, passent rapidement alors que les mots de Monsieur Bataille résonnent encore dans l'esprit de Joshua. Un cycle ne se brise pas de lui-même. Il n'arrive pas vraiment à comprendre ce que l'enseignant entendait par cycle, et le fait que Karim lui dise de se presser pour essayer d'avoir les places à l'arrière du bus ne l'aide pas vraiment à se concentrer sur la question.

Il suit son camarade qui grimpe dans le dernier bus - généralement le plus vide car le plus loin de la sortie du collège - et court vers deux fillettes assises au fond. Il les effraie et elles libèrent les cinq sièges tant convoités. Karim s'installe sur le siège le plus à droite, contre la fenêtre, Joshua se met au milieu et Djam les rejoint pour se placer à gauche. Il reste deux places libres : une pour Ariane, et une dernière qui restera vide pour narguer les autres élèves. Le bus, escorté par la Brigade, démarre et ferme la marche du cortège qui va défiler devant tous les établissements scolaires de la ville.

Joshua décide de s'allonger. Il s'approche de Djam qui, sans quitter des yeux son téléphone, retire son sac à dos de ses genoux afin qu'il puisse y poser sa tête. Il enlève ses chaussures pour ne pas salir le siège et s'étend de tout son long, ses pieds occupant le siège à côté de Karim.

De la fenêtre, il regarde le monde défiler à l'envers. Les cimes des arbres caressent les nuages et, à intervalles réguliers, les AZAm se succèdent sur un fond azur. Il voit aussi les narines de Djam mais ne s'attarde pas trop dessus.

Une quarantaine de minutes est déjà passée lorsque Ariane les rejoint.

— Han mais c'est ma chouchoute, hurle de joie Jamila. Alors, prête pour le weekend ?

— Djam !! répond Ariane, ravie. Elle se faufile pour atteindre l'adolescente et lui faire un câlin. Puis elle fait signe à Joshua de bouger pour qu'elle puisse s'asseoir. Il soulève les jambes, la laisse passer et les repose sur la fillette. Ariane sort l'encyclopédie d'alterzoologie de son cartable, le pose sur les tibias de son frère et s'en sert comme support pour commencer ses devoirs.

Le bus repart. Joshua, bercé par le balancement du bus et le vrombissement du moteur, observe Karim ennuyer deux filles assises devant lui en leur tirant des cheveux. C'est son rituel de séduction. Dans le reste du bus, tout le monde discute, se chamaille, rit ou chante. Un bruit de fond que Joshua trouve réconfortant. Son regard se pose sur sa sœur. Joshua veut vérifier quelque chose...

— Ariane, appelle-t-il, tu peux me prêter ton livre de monstres un moment ?

Ariane le lui donne et il le parcourt d'un air absent.

Il regarde les illustrations, dont certaines lui donnent la chair de poule. Jamila lance un œil vers les pages que Joshua tourne lentement.

— Il y a des monstres qui n'ont vraiment pas été gâtés par la nature, observe-t-elle en pointant du doigt une créature laide, ressemblant à une grosse taupe velue à la queue plate et dont les pattes ressemblent à celles d'un canard.

— C'est... un ornithorynque, Djam.

— Aaaah j'suis bête! Elle réfléchit un instant et ajoute : Et les ornithorynques, on est sûrs que ce sont pas des alters ? J'veux dire, t'as vu la tronche ?

— C'est littéralement le sujet de ce paragraphe, lui répond Joshua.

— Ouais, mais ils font pas de trucs magiques genre se téléporter ou se changer en cafetière..., intervient Karim.

— Si ça arrive dans la vraie vie, c'est pas magique. C'est juste normal..., rétorque Joshua en se souvenant d'une phrase qu'il avait lue dans un magazine : la magie est ce que la science n'arrive pas encore à expliquer. Puis il ricane en se souvenant qu'en effet, il existe un alter qui peut prendre la forme d'objets qui l'entourent.

— Euh, les licornes font pas de trucs magiques et pourtant ce sont des alters, remarque Jamila, alors que ce sont juste des pauvres chevaux avec une corne qui sert à rien et...

— C'est pas une corne, c'est une antenne WiFi, dit Joshua.

— Han trop bien, j'en veux une, répond Jamila en retournant à son téléphone qui lui couvre la moitié du visage. Son changement d'expression donne l'impression qu'elle vient d'oublier la discussion d'il y a quelques secondes.

Joshua fait une note mentale de demander à Monsieur Bataille pourquoi en effet la licorne est classifiée comme alter alors que l'Ornithorynque, qui bat des records sur l'échelle de c'est quoi cette chose bizarre n'en est pas un.

Joshua continue de tourner les pages. Il compare les monstres entre eux. Certains ont quelques ressemblances ténues, comme le Mishipeshu et le Feliforma undamortis, qui ont tous deux une apparence féline. Mais la ressemblance s'arrête ici. Il n'ont pas la même couleur, l'un est aquatique et l'autre terrestre, le Mishipeshu a des oreilles pointues et le Feliforma undamortis n'en a simplement pas.

D'autres ont quand même des similarités frappantes : le Lepismasimilis davidi et le Lepismasimilis stansque ont tous deux huit petites pattes, des ailes et la capacité de devenir invisible. L'un est sensiblement plus grand que l'autre, d'une couleur différente et pourrait très bien être son imago, mais... Le Davidi n'a été observé que dans le nord de l'Allemagne alors que le Stansque vit en plein centre de l'Autriche... et les deux créatures n'ont jamais été vues ensemble.

Est-ce qu'ils migrent une fois adultes alors ? Encore une question pour Bat'man.

Joshua se perd de longues minutes dans l'ouvrage d'Alterzoologie avant de se rendre compte que le bus est arrêté.

— On est arrivés ? demande-t-il à Jamila.

— Non, y a un bouchon, répond Karim. Josh se redresse et tend le cou pour essayer de voir quelque chose à travers le pare-brise à l'avant du bus. L'angle ne l'aide pas trop, mais il arrive à apercevoir une légion de Brigades quelques bus plus haut.

— C'est un barrage, dit-il.

Inquiet, il se lève pour mieux voir.

— Pourquoi ils barrent la route ?

Un beuglement lui répond. Les AZAm plantés le long de la route sonnent une alarme que Joshua n'avait jamais encore entendue, mais qu'il connaît. Cinq notes rapides. Alter à proximité. Sa vision se trouble et il sent la vibration de la peur lui parcourir la peau.

Une vague d'inquiétude traverse le bus et soulève les cris de quelques adolescents qui commencent à paniquer. Le conducteur de bus se lève, et d'une voix de baryton, leur demande de se calmer et de l'écouter.

— Restez à vos places, vérifiez que les vitres sont fermées et sortez vos KITs. Interdiction totale d'y toucher avant que je vous en donne le signal !

Chaque élève sort son KIT de son sac, le pose sur ses genoux et attend les instructions. Comme à l'entraînement.

Joshua a les mains moites. Il lance un regard à sa sœur qui ne quitte pas des yeux le chauffeur. Le souffle de la fillette est court et ses sourcils sont froncés. Joshua lui attrape la main et lui demande si ça va.

— On va voir un alter, répond-elle entre excitation et peur.

Il sent Jamila s'approcher de lui et comprend qu'elle essaye de s'éloigner de la fenêtre. Karim, au contraire, regarde dehors avec avidité et ne se rend pas compte que son KIT est tombé par terre.

Une petite explosion sèche retentit à une cinquantaine de mètres à l'avant du bus et fait sursauter les élèves. Quelques cris. Un brouillard jaune provenant du barrage s'étale mollement dans la rue.

— Ils ont sorti Claudia, prévient Karim. Ils ont sorti Claudia !!

L'information ne ravit pas Joshua car la présence de Claudia signifie deux choses : que Joshua va faire une allergie s'il ne prend pas ses antihistaminiques tout de suite.

Et surtout qu'un alterbiote est tout près.

Joshua sent la panique l'envahir, mais chaque chose en son temps : s'occuper de l'allergie dans un premier temps, ensuite mourir dévoré par un monstre et enfin paniquer.

Joshua ouvre son KIT, en sort une plaquette métallique contenant une demi-douzaine de pilules, et referme la sacoche blanche. Il est en train de dégager l'une des pastilles de son emballage d'aluminium quand il entend un, puis deux, puis tous les adolescents à l'avant du bus se mettre à crier. Joshua lève les yeux et voit les élèves se précipiter sur les sièges de droite du bus. Ils s'amoncellent dans un chaos que le conducteur essaie de contenir en vain. Jamila pousse un hurlement strident et se jette sur Joshua. L'adolescent sursaute, couvre sa sœur et regarde la fenêtre que Jamila tente de fuir.

Tout le monde s'est tu et Joshua entend, entre deux battements de son cœur qui tente de sortir de sa poitrine, des pas secs et rapides sur le bitume. Un claquement régulier qui s'approche de l'arrière du bus. Il ralentit, ralentit encore puis s'arrête. Joshua retient son souffle. Il peut presque entendre la respiration malsaine de l'animal. Il l'imagine affamé, prêt à traverser le bus pour lui attraper les jambes et le traîner jusqu'à sa tanière... Ses yeux se troublent soudainement quand il voit une ombre s'élever et remplir l'espace de la fenêtre du bus.

Et là, Joshua voit les yeux de la bête.

Deux yeux noirs, grands ouverts, posés au milieu d'une tête allongée, un museau noir et humide et des immenses oreilles tendues. Joshua sent son estomac faire une chute libre alors que le cri de Jamila retentit. Il lui faut un moment pour se rendre compte que son amie est en train de rire.

— Hahaaa mais c'est une biche !! C'est une biche !! J'ai eu peur d'une biche, les mecs !!

Joshua reprend ses esprits. La bête maléfique a fait place à un cervidé apeuré. La biche semble paniquée et tourne sur elle-même. Joshua la voit alors déguerpir à l'arrière du bus. Il se redresse et la regarde s'enfuir au bout de la rue, encore tremblant. Les rires des autres enfants l'aident à se calmer, et il ferme les yeux avant de lâcher un soupir de soulagement. Il se concentre sur le rire de Jamila et les insultes de Karim, vexé d'avoir été effrayé par un animal inoffensif. Ariane se rapproche de son frère.

— J'aurais bien aimé voir un alter, murmure-t-elle avant d'ajouter, un sourire dans la voix : Mais ce qui est bien, c'est que je n'avais jamais vu de biche avant. Et là, il y en a au moins cent !

Joshua ouvre les yeux et voit alors une marée de biches, cerfs et faons inonder la rue. Un flot d'animaux sauvages en panique, qui naviguent entre les voitures et font vibrer le goudron au son de milliers de sabots. Une marée de dos tachetés. Le spectacle est hypnotisant et inquiétant. Pendant quelques secondes qui semblent s'étirer, le bus est silencieux. Tous les yeux sont rivés sur l'attroupement de cervidés qui s'amenuise, jusqu'à disparaître enfin. Il ne reste de leur passage que les échos de leurs petits cris apeurés que le bus, en redémarrant, couvre du toussotement de son moteur.

Ariane quitte son frère et rejoint Jamila, encore en proie à un fou rire nerveux.

Le convoi repart et traverse le nuage de Claudia, un voile jaunâtre que le soleil couchant teinte d'or. Joshua se perd un instant dans la brume dorée, les mains encore tremblantes et la gorge serrée. Il se demande quel genre de monstre a bien pu effrayer autant de biches et de cerfs. Certainement pas un Agnatha felibus. Même s'il s'attaquait à des biches, il ne serait pas une menace suffisante pour provoquer un exode aussi important. Il doit y avoir autre chose de plus gros ou dangereux. La Brigade a sûrement vu la bestiole avant de sortir les grenades de Claudia. Joshua frémit. Il regardera le journal télévisé ce soir pour voir s'ils en parlent dans les Alertes.

Enfin, s'il arrive à ouvrir les yeux. Car au creux de sa main se trouve le comprimé anti-allergique que, dans la panique, Joshua a oublié de prendre. Contemplant l'idée de passer une autre soirée à ne plus pouvoir s'arrêter d'éternuer et, s'il est assez malchanceux, à développer un oedème de Quincke, il avale l'antihistaminique en maudissant les monstres et Claudia.

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