Chapitre 1 : Alterzoologie

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— Il ressemble presque à un chat.

La voix du garçon, mêlée aux chants des grillons qui installent une ambiance estivale, se perd dans l'air de fin de printemps d'un petit village de Normandie. Le ciel, un camaïeu de bleu traversé par des hirondelles joueuses et des avions lointains, est tacheté de quelques nuages blancs, çà et là.

Une main paresseuse se lève et un doigt pointe vers l'un d'eux.

— Tu trouves pas ? demande Joshua, allongé dans l'herbe, ses cheveux châtains en bataille se mêlant au gazon. La lumière du soleil, que ses yeux marrons reflètent avec un éclat ambré, lui fait froncer les sourcils.

— Lequel ? répond une autre voix, plus fluette et discrète.

— Celui-là, juste au-dessus. D'ailleurs, c'est quoi comme type ?

La main reste en l'air. Joshua ferme un œil puis trace du doigt les contours du nuage nonchalant. La masse blanche se déforme imperceptiblement au rythme lent du vent mou.

— Je crois que c'est... un altocumulus, répond Ariane, sa petite sœur, visiblement concentrée.

— Ah oui ? Je croyais que c'était un nuage.

Joshua peut quasiment sentir les yeux de la fillette rouler dans leur orbite. Elle lâche un idiot, va avant de se replonger dans sa lecture. La main change de cap. Le doigt touche un autre nuage plus bas. Il descend encore un peu, effleure la cime des arbres de la forêt au fond du jardin, suit la pente du toit de la maison des voisins puis arrive sur la chevelure blonde d'Ariane. La fillette aux yeux verts et aux lunettes rondes est happée par son livre. Le doigt toujours tendu, Joshua vise la joue. Ou l'oreille. Non, le nez. Le doigt s'approche, silencieusement. Ariane le remarque mais ne bronche pas, la menace n'est ni nouvelle, ni suffisante pour la faire sortir de son paragraphe. Elle est habituée.

La collision est imminente, le nez n'est plus qu'à quelques centimètres, mais au dernier moment, le doigt vire. Il se pose sur le verre gauche des lunettes d'Ariane avant de redécoller et laisser une empreinte digitale du plus bel effet.

— Maiiis ! Josh ! C'est super dur à nettoyer, des lunettes !! lance-t-elle en posant son livre par terre.

La fillette prend le temps de placer son marque page, une languette de carton plastifié représentant un chat noir aux yeux verts, avant de refermer l'ouvrage soigneusement. Si Joshua avait été à sa place, il ne se serait pas soucié de cela et aurait balancé le livre sans réfléchir. Et il se serait aussi plaint de ne plus savoir où il en était dans sa lecture une fois la crise passée. Mais Ariane ne fonctionne pas comme lui. Elle prévoit les choses.

Elle se lève, retire ses lunettes, inspecte le verre souillé et entreprend de le frotter avec son t-shirt en soupirant. Joshua, immunisé par son statut de grand frère de bientôt quatorze ans, baille et s'étend. Il ne se sent ni coupable ni désolé d'avoir encore une fois commis ce crime de lèse-majesté pour les porteurs de lunettes.

— Patate, dit-elle en le frappant légèrement du pied dans les côtes.

— Boudin, répond-il.

— Crotte de nez.

— Grognasse.

Ariane fait mine d'être choquée et remet ses lunettes en vitesse. Puis elle se laisse tomber de tout son poids sur le grand frère malpoli. Joshua lâche un râle de douleur exagéré qui se transforme en rire. Il essaye de la repousser mais elle s'accroche à lui fermement. La dépassant facilement de vingt centimètres et quelque quinze kilos, il la soulève sans trop d'efforts. Il décide de la faire tournoyer autour de lui. En apesanteur, la fillette de neuf ans se met à rire à plein poumons, ou hurler à la mort selon leur mère qui intervient :

— Joshua, pose ta sœur ! C'est pas un sac à patate !

Joshua cherche du regard la source de la voix maternelle et la trouve à travers la fenêtre de la cuisine : elle provient d'une femme aux cheveux châtains attachés en queue de cheval. Ses yeux expriment une fatigue chronique épicée d'un soupçon d'exaspération qui ne suffisent pas à éclipser son amour maternel.

— Oui, mère, répond-il avec un accent aristocratique qu'il a un jour entendu dans un film terriblement ennuyeux sur la vie de Louis XVI. Il lâche sa sœur qui pousse un petit cri strident et s'écrase mollement sur l'herbe épaisse. Joshua défie du regard la matriarche, visiblement peu amusée.

La tension est brisée par le rire d'Ariane. Un sourire pour la mère, un sursis pour Joshua. Stoïque devant l'autorité parentale qui s'évanouit dans les tréfonds de la maison, il est cependant soulagé de voir qu'il n'a pas cassé sa sœur en deux. Cette petite sœur qui n'arrive plus à s'arrêter de rire.

Il s'assied, essoufflé par l'effort d'avoir fait tournoyer la fillette, plus lourde qu'elle n'y paraît. Ariane se relève, ajuste ses lunettes et retire les brins d'herbe de ses vêtements à l'aide de revers de la main maîtrisés. Elle attrape son livre et retrouve sa page, gardée par le chat noir aux yeux verts. Alors elle s'adonne à cette drôle de chorégraphie pour constater l'état impeccable de ses verres : profitant de la lumière du soleil, elle ferme un œil puis l'autre, et inspecte, à la recherche de la moindre petite trace.

— Tu lis quoi, au fait ? lui demande Joshua.

Ariane lui montre la couverture : Alterzoologie – Monstres d'Europe.

— C'est le dernier ?

— Oui. Papa l'a acheté hier, répond-elle.

Ariane et leur père partagent une chose, en plus d'une ressemblance physique et de lunettes rondes, l'amour des livres. Joshua, lui, n'aime pas lire. Il préfère écouter et n'apprend que ce qu'on veut bien lui enseigner. Et il retient tout ce qu'on lui raconte. De fait, il se débrouille plutôt bien au collège. Quand il est attentif. Ce qui arrive parfois.

— Tu veux que je te fasse un quizz ? demande Ariane, enthousiasmée par sa propre idée.

— S'tu veux..., répond Joshua en s'allongeant sur l'herbe.

Ariane est ravie. Elle adore faire la leçon. Joshua ferme les yeux et attend que l'interrogation commence.

— On va commencer par quelque chose de facile, commence-t-elle en fouillant les chapitres.

Elle se racle la gorge et Joshua l'imagine se redresser et prendre un air sérieux.

— Equus monokeros , énonce-t-elle.

Joshua ne réfléchit même pas. Equus : cheval en latin. Monokeros : corne unique en grec.

— Licorne.

— Oui !! Un point ! répond Ariane, ravie. Soigneusement, elle énonce les informations qu'elle estime importantes :

— Equus monokeros, équidé d'environ un mètre soixante au garrot... Poids estimé à quatre cent cinquante kilos... Habitat : Allemagne, région de la Schwa... Chwa...

La fillette hésite.

— Comment ça se prononce, ça ?

Elle montre à son frère le mot qui lui pose problème.

Joshua ouvre un œil, lit le nom Schwarzwald couché sur le papier et lui invente une prononciation exotique car il n'a jamais appris à parler l'allemand. Ariane a l'air satisfaite.

— Un autre, dit-elle. Quelque chose d'un peu plus difficile.

Joshua entend les pages tourner à toute vitesse et un aaah de satisfaction provenant de la fillette.

— Capra dextroderus.

— Le Yéti.

— Non. Indice : c'est un animal mythique français ! ajoute Ariane.

— Cousteau ?

— Josh ! se plaint Ariane. Elle ajoute, tout bas : Je sais même pas c'est quoi un cousteau...

Joshua ricane et énonce sa réponse d'un ton sérieux :

— Capra dextroderus : le Dahut !

Ariane applaudit, ravie.

— Oui ! Encore un point !

— Franchement, on a pas des monstres sexy en France, se plaint Joshua. Les autres pays ont des dragons ou des loups-garous et nous on a une pauvre chèvre avec des pattes plus courtes d'un côté que de l'autre.

— Des dragons ? Pfff tu dis des bêtises, lance la fillette.

— Non, je te jure.

La fillette fronce les sourcils, à la fois incrédule et inquiète à l'idée de reptiles géants cracheurs de feu.

— Allez, un autre. Je suis chaud, là, dit Joshua.

— D'accord, attends, répond Ariane en fouillant de nouveau dans son livre. Attention, celui là est un peu plus dur à trouver : il est nouveau.

Oh, un défi. Joshua aime les challenges.

— Agnatha felibus.

Agnatha felibus... Joshua ne se souvient pas en avoir entendu parler. Il demande un indice.

— Il est originaire de la schwa... chwa... De la Forêt Noire. Comme la licorne.

— Ouais, ils viennent tous de là-bas. Ça m'aide pas..., se plaint Joshua.

Il demande un autre indice.

— Il est quadrupède, tout noir, gros comme un labrador...

Joshua réfléchit, mais bloque.

— Tu trouves pas ? demande Ariane.

— Non, je le connais pas, celui là...

— T'es nul. C'est un...

Elle est interrompue par un bruit terrifiant.

Une symphonie stridente, phénoménale. Les vitres et les arbres vibrent, les oiseaux qui nichaient s'envolent de panique. Ariane sursaute, ferme les yeux et se couvre les oreilles. Pas le temps pour le marque page. Joshua fait de même, la surprise faisant place à l'agacement au bout d'une demi seconde. Il compte les tons insoutenables dans sa tête.

Un.

Deux.

Pause.

Trois.

Puis silence et acouphènes. La forêt est muette alors que l'écho de la sirène se meurt dans ses feuillages.

Joshua ouvre les yeux et se découvre les oreilles.

— Les enfants, quinze minutes ! crie leur mère de l'intérieur de la maison.

— Ouais, on a entendu, mère..., répond Joshua en s'asseyant sur le gazon.

Joshua soupire. Il n'a aucune envie de rentrer. Il fait bien trop beau pour passer la fin de la journée à l'intérieur. Il fixe des yeux la machine coupable, l'AZAm, au fond du jardin. Il fait signe à Ariane, les oreilles encore couvertes, que l'alarme est passée. Timidement, elle dégage une oreille et écoute.

— Je comprendrai jamais pourquoi ils ont fabriqué ce truc si près de notre maison... On va devenir sourds à force..., dit-il.

— C'est à cause de tes..., commence Ariane.

— Oui je sais que c'est à cause de moi. Et de Claudia, la coupe-t-il. J'avais juste envie de râler...

Semblable à un lampadaire, l'AZAm (Alter Zoo Abwehrenden Maschine de son vrai nom) se compose d'un poteau métallique d'environ trois mètres de haut. A son sommet, un réverbère circulaire émet une lumière blanche bleutée qui vrombit discrètement. Et juste au-dessus trônent la sirène électromécanique et son rotor, responsables de la surdité de la moitié de la ville. Le tout est peint en bleu et blanc et porte le numéro 024.

Dans un quart d'heure, l'alarme retentira de nouveau. Les citoyens seront invités à rentrer chez eux. Et dans une demi-heure, un dernier signal : les rues devront être vides et les maisons verrouillées jusqu'à l'alarme du lendemain matin. Quatre alarmes journalières composées chacune de trois signaux sonores – deux longs et un court. Le rythme des deux derniers mois dans cette région française. Et des dix dernières années dans une grande partie de l'Europe Centrale. Jusqu'à maintenant, la Normandie avait été relativement épargnée, mais les mesures de sécurité s'étaient étendues petit à petit depuis le nord-est du pays.

— Ca m'a fait sursauter. Je ne pensais pas qu'il était si tard, dit Ariane en se grattant l'oreille.

— Je pourrais être d'accord avec toi si j'avais encore des tympans pour t'entendre. Donc, tu disais ?

Ariane le regarde, interrogative.

— On parlait de l'Agnatha felibus, non ?

— Ah oui ! se souvient-elle en récupérant son livre encore ouvert. Ses doigts pianotent sur la page jusqu'à trouver l'information désirée.

— Il vient d'Allemagne, il est quadrupède, tout noir, gros comme un labrador, lit-elle. Utilisant sa main comme marque page, elle ferme le livre et regarde son frère.

— Alors ? Ta réponse ?

Joshua hausse les épaules.

— Quoi ? S'étonne Ariane. Mais... pourtant c'est à cause de lui qu'on a le couvre-feu.

Joshua se redresse, honnêtement surpris.

— Mais Karim m'a dit que c'était à cause d'un troupeau de Chupacabras.

— Bah non... Ça c'était en Autriche, le réprimande Ariane.

— Ok... Fais voir à quoi il ressemble !

Il arrache le livre des mains de sa sœur et son regard se pose sur l'illustration qui prend la moitié de la page. On y voit un quadrupède dont la peau noire et luisante paraît huileuse. Ses pattes antérieures, plus courtes que les pattes postérieures, supportent un corps fin déséquilibré vers l'avant et hérissé de pics courts. Pas de queue, mais de petites ailes dénudées, malingres et si fines qu'elles en sont transparentes à certains endroits. Elles semblent bien trop fragiles pour pouvoir lui servir à s'envoler ou même planer.

La tête, allongée et sans yeux, est posée sur un cou si court qu'il en paraît inexistant. L'absence de regard donne la chair de poule à Joshua. Comment connaître les intentions d'une créature si l'on ne parvient pas à voir ses yeux, se demande-t-il en grimaçant. Sur l'illustration, la bouche de l'Agnatha felibus, toute ronde, est ouverte. Elle laisse entrevoir de rares dents acérées orientées vers l'arrière. Joshua remarque les deux trous en guise d'oreilles et les narines toutes fines, semblables à celles d'un serpent. Vers le bas de la page, deux photos plutôt nettes montrent la créature. Le tout est grotesque, mal formé, caricatural. Joshua sent un frisson lui parcourir l'échine.

— Il est bizarre... mais mignon, je trouve, décide Ariane.

— J'aurais pas mieux dit moi même, lance-t-il avec un dégoût non dissimulé.

— Il a été aperçu pour la première fois il y a 8 ans - en Allemagne comme quasiment tous les autres - puis en Belgique.

— Et il est en France depuis deux mois, ajoute Joshua froidement. Il s'assied, ferme le livre et fixe l'AZAm des yeux.

— Deux mois qu'on doit se taper ces alarmes stupides à cause de ce monstre stupide et de sa gueule stupide alors que personne n'en a encore aperçu dans la région...

— C'est pas un monstre, c'est un alterbiote, lui rappelle Ariane en pointant du menton l'encyclopédie d'Alterzoologie. Joshua connaît le terme mais refuse de l'employer.

— Pour moi, un animal moche qui aime se cacher dans les poubelles ou les placards pour bouffer les mains des gens qui ne font pas attention, c'est un monstre, s'énerve Joshua.

Il se souvient de cette pauvre dame au Luxembourg l'année passée. En cherchant une boîte de pâtée pour chat sous son évier, elle avait eu à faire à cette créature. A la télévision, elle avait dit que la terreur qu'elle avait ressentie avait rapidement été étouffée par la douleur de la morsure. La bestiole était repartie avec un gros morceau de sa main dans l'estomac.

— En plus il bouffe les chats ! ajoute Joshua, se souvenant qu'en effet la luxembourgeoise avait été amputée d'un ou deux chats en plus de ses doigts. Puis, d'un ton espiègle :

— Tu crois qu'il a mangé Lézard ?

Ariane écarquille les yeux. Lézard, c'est le chat de la famille. Noir et blanc, un peu obèse, il dort seize heures par jour et ne tolère les humains que quand il est l'heure de manger. Elle se lève et appelle, la voix teintée d'inquiétude. Un miaou pâteux en provenance du salon la rassure.

— Et enfin, pour finir, c'est écrit monstres d'Europe sur ton bouquin, Ariane.

— C'est aussi écrit ALTERZOOLOGIE, Joshua, rétorque Ariane.

— Ouais... C'est juste un joli mot pour dire la même chose. Comme petite soeur et boudin.

Ariane tire la langue à son frère et reprend son livre. Josh lève la tête et ferme les yeux. Il sent le soleil lui chauffer le visage et répète le mot dans sa tête.

Alterzoologie.

Un mot hybride, un mélange de latin et de grec, le tout francisé pour pouvoir entrer dans le dictionnaire. Joshua se souvient de l'analyse étymologique que sa professeure de latin avait faite un jour. Alter, autre en latin. Zoo, de zôion en grec, qui signifie animal. Puis lógos, la connaissance, qui se transforme en logie en passant en français. Alter-zoo-logie.

L'étude des autres animaux.

— J'aimerais bien en voir un en vrai un jour...

La voix d'Ariane fait sortir Joshua de ses pensées.

— Peu de chances que ca arrive... À moins d'aller les chercher directement dans la Zone. Et de ne pas se faire arrêter par la Brigade avant de l'atteindre...

— Karim et Djam ont vu un Cerbère en Croatie, répond Ariane, la voix teintée d'un soupçon de jalousie.

— Oui... Ils m'en ont parlé aussi. Karim m'a dit qu'il aboyait trois fois plus fort qu'un chien normal, répond-il, pas impressionné pour un sou. Il m'a aussi dit qu'il était plus petit que dans les films. Et qu'il avait bloqué le passage vers l'hôtel en refusant de laisser passer qui que ce soit.

Joshua soupire et se demande ce que fait la fourrière quand on a besoin d'eux. Avant sa naissance, ça ne serait jamais arrivé. Malheureusement pour Joshua, quand il est né, les monstres existaient déjà. Vous faites partie de la génération AZ, les enfants, s'amuse à leur répéter leur père, pensant qu'ils s'intéressent au concept des générations X, Y, Z ou autres bizarreries ennuyeuses d'adultes. Ariane fouille dans son livre et tombe sur la page du monstre en question. Elle s'apprête à dire quelque chose mais la seconde alarme de l'AZAm l'interrompt. De nouveau, Joshua compte les tons.

Un. Deux. Pause. Puis trois.

Les deux enfants se lèvent, frottent leurs vêtements pour virer les derniers brins d'herbe récalcitrants et se dirigent vers la terrasse de la maison. Joshua laisse entrer sa sœur, puis la suit en fermant les baies vitrées. Ariane s'assied sur le canapé du salon et troque son Alterzoologie - Monstres D'Europe pour un ouvrage d'astronomie - l'une de ses lubies du moment. Joshua est de corvée de fenêtre ce soir. C'est lui qui doit vérifier qu'elles sont toutes fermées et verrouillées. Il commence par celles de la cuisine et suit le protocole imposé : fermer les battants, vérifier l'état de la serrure à crémone surmontée d'une LED rouge (allumée) et d'une verte (éteinte), verrouiller en s'assurant que les tringles coulissent bien jusqu'aux gâches du montant, appuyer sur la LED rouge, qui clignote deux fois avant de s'éteindre alors que la diode verte s'allume, puis tirer sur la poignée pour confirmer que la fenêtre est effectivement fermée.

La tâche est simple mais ennuyeuse. Et prend du temps.

Il y a trois fenêtres dans la cuisine. Dans le grand salon, deux fenêtres donnant sur la rue, et une grande baie vitrée orientée vers le jardin. Une fenêtre dans les toilettes. Une autre dans le bureau de la mère, qui finit d'envoyer un e-mail important, puis une dernière au fond du couloir. Joshua se dirige vers l'escalier qui mène à l'étage alors que la porte d'entrée s'ouvre. C'est son père qui rentre du travail. Il referme la porte et aperçoit son fils.

— Salut toi, lui dit le quarantenaire barbu, derrière ses lunettes rondes.

— Salut P'pa. Encore un peu et tu arrivais après le couvre-feu...

— Ouais, il y a encore des bouchons. Elle est où, votre mère ? demande-t-il en allant embrasser sa fille sur le front.

— La dernière fois que je l'ai vue, réfléchit Joshua, elle était dans son bureau. Mais c'était il y a au moins trente secondes. Qui sait où elle a bien pu aller depuis ?

Son père lui ébouriffe les cheveux et part rejoindre sa moitié.

Joshua passe à l'étage. Il verrouille la grande fenêtre dans la chambre d'Ariane, les deux dans sa chambre, la baie vitrée donnant sur un balcon dans la chambre de ses parents et une dernière dans la salle de bain.

Toutes les diodes sont vertes. Joshua regarde leur lumière teinter les murs et ricane. Une mesure imposée par le gouvernement pour rassurer les citoyens et leur faire oublier qu'il existe des créatures qui traversent les murs. Au moins, ce système d'alarme fonctionne contre les cambrioleurs. C'est déjà ça. Joshua redescend alors que la troisième alarme et ses trois tons retentissent dans la ville. Jusqu'au lendemain matin, les rues seront vides et seuls les brigadiers seront autorisés à y vadrouiller.

Joshua s'avachit sur le canapé alors qu'Ariane donne à manger à Lézard, qui semble apprécier l'offrande en la gratifiant d'un regard plein de mépris. Il daigne la récompenser d'une tentative de miaulement quand elle lui gratouille la tête en le félicitant d'être un si bon chat.

La nuit tombe doucement. Les parents font la cuisine en se racontant leur journée, et Joshua regarde le jardin d'un air absent. Et l'Azam. Sa lumière, une tache blanche bleutée sur un fond de forêt, vrombit et protège la maison. Si Joshua tend le cou, il peut voir un autre AZAm au-delà de la maison des voisins et s'il se lève et monte à l'étage, une constellation tremblante qui quadrille son village et la ville au loin.

Depuis des années, exit les lampadaires. L'AZAm illumine les agglomérations, villages et autoroutes de cette partie du monde et ses revendeurs sont heureux dans leurs manoirs.

Même s'il déteste les beuglements de cet appareil, Joshua sait que ses néons, pourtant assiégés par des nuées de papillons de nuit, repoussent les monstres. Lors de l'installation de l'appareil, son père lui avait expliqué que le néon émet des ondes qui brûlent l'épiderme des alterbiotes et les repoussent sur un rayon d'une cinquantaine de mètres. Uniquement pour cette raison, il est bien heureux que la machine infernale soit là.

Car Joshua a beau faire croire qu'il ne porte pas la moindre attention aux monstres, la vérité est qu'il en est terrifié. La seule mention d'un alterbiote lui donne froid dans le dos. Même s'il comprend que l'on puisse être fasciné par ces êtres fantastiques, il frémit à l'idée que certaines de ces horreurs ont la capacité de se téléporter, devenir invisibles, ou encore tuer. Et que l'une des seules protections contre cette menace n'est qu'un sommaire néon qui vibre et les tient à distance. Un bouclier de papier.

Ce soir, après avoir mangé et oublié de faire ses devoirs, Joshua passe comme à son habitude plusieurs longues minutes à examiner chaque recoin de sa chambre à l'aide de son néon AZAm de poche. Méticuleusement, il s'assure que rien ne se cache derrière les meubles, dans l'ombre du placard entrouvert ou encore sous son lit. Et secrètement, il jalouse la génération de ses parents pour qui cette menace, à leur époque, n'était rien d'autre qu'une phobie enfantine.

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