La Naissance de Vénus [2/2]

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— Passons alors à la symbologie et à la composition de la toile. Déjà avec quoi est-elle peinte ?

Je reste spectatrice, griffonnant les réponses sur mon calepin.

— Selon la technique de la tempera, euh je crois c'est à l'œuf, à la colle de peau de figue, tente Jérôme.

— Oui, c'est une technique de peinture basée sur une émulsion, qu'elle soit grasse ou maigre : peinture « a tempera ». Effet de papier décollé sur un fond peu en perspective. Botticelli ciselle ses figures au lieu de masquer les contours, contraire à la manière de peindre durant la Renaissance. Il recourt aux styles encore au goût de Florence et des Médicis fin XVème comme les tapisseries médiévales du Nord. Botticelli avait une formation initiale d'orfèvrerie, très utilisée dans les œuvres médiévales et qu'il recréa dans sa toile. Ce qui explique le dessin viril et tranchant. Parlons maintenant de la nudité de la déesse.

Personne ne lève la main, pas même moi. J'attends de l'entendre interpréter cette Vénus.

— Personne ? Bien, s'impatiente-t-il en revenant devant nous. Durant des siècles, la nudité était un signe d'humiliation ou de vice, la beauté était suspecte. La voici, là, idolâtrer sous les traits de la déesse de l'amour. L'éloge même de la grâce féminine. L'homme humaniste de la Renaissance entre dans la modernité. Mais alors icône ou cliché ? Déesse de la Renaissance ou Madone médiévale ? Symbole d'émancipation ou idéal masculin stéréotypé ?

Adossée contre mon siège, j'arrête ma rédaction et croise les bras sous ma poitrine, attentive.

— La coquille représente son sexe. Dès sa naissance, sa beauté est illustrée, cachant sa nudité. Son cou et son visage étirés, ses épaules moins larges, son ventre plus rond ne donnent aucune proportion de la Renaissance. Elle est même déséquilibrée. Cacherait-elle ses véritables origines ?

Une œillade furtive vers moi et un rictus apparaît sur la commissure de mes lèvres. C'est qu'il est audacieux cet homme, ironise une voix interne.

— Le nu n'est pas antique, mais gothique. Longue chevelure, corps plus étiré, des hanches plus larges et une poitrine qui diminue. Néo-médiéval ? Par la forme oui, mais pas sur le sujet. Une conciliation entre les dieux païens et la religion catholique, qui débouche sur l'astrologie, le culte de Vénus. La déesse dominant les hommes qui sont comme hypnotisés, est un genre nouveau. Mais alors, qui est cette femme ? Le modèle de la Naissance de Vénus ?

Je connais la réponse et instinctivement, je plisse les yeux. Non, pas d'interprétation sur elle ni sur ce tableau. Il a une valeur sentimentale, une approche avec mon père. Une allusion aussi du peintre Dimitri Stein à mon égard.

— Simonetta Vespucci ?

— Exact. Simonetta Vespucci était la femme de Marco Vespucci et la maîtresse de Julien de Médicis, et considérée comme la plus belle femme de son époque. Botticelli, lui-même en était amoureux et a souhaité qu'on l'enterre au pied de sa muse. Car la malheureuse mourut à vingt-trois ans d'une pneumonie. Elle avait envoûté toute l'aristocratie, tous les hommes florentins et au-delà de ses frontières.

— Mourir aussi jeune, c'est triste, non ? entendis-je celle derrière moi parler à sa copine, dans un murmure.

— De qui s'est-il inspiré ? Oui ?

— Dans un des livres de Pline L'Ancien, qui décrit une fresque peinte par Apelle, le plus grand peintre de l'Antiquité pour Alexandre Le Grand. Celui-ci même inspiré par la Vénus de Praxitèle, certifie Valentin.

— Ça ne vous rappelle rien ? Cette statue ne vous remémore pas un cours en amphithéâtre ? Celle que les hommes s'arrachent, jusqu'à s'enfermer avec pour copuler. Celle qui a inspiré la Vénus d'Urbin du Titien ou la Vénus de Dresde de Giorgione, s'exclame James, faussement surpris.

— Quelle muse ! réagit un élève à ma gauche, dont le nom m'est inconnu.

— Tout mécène, aimant l'art et la rareté d'une beauté telle que Simonetta Vespucci, ne peut se soustraire à la contempler.

Son regard vrille une seconde sur moi avant de détourner sur le tableau.

— Interprétons par la symbologie maintenant.

On entend une mouche volée. Ça lui fait les pieds, tiens.

Mais il n'en perd pas son contrôle professionnel et ose m'interroger :

— Mademoiselle Mahé, nous ne vous avons pas entendu. Donnez-moi votre irréprochable analyse.

— Oh vous m'envoyez ravie pour ce compliment. Mais dernièrement, je me suis rendue compte que plusieurs de mes analyses se sont retrouvées fausses, à travers divers... tableaux. L'esthétique m'a bien plus interpellé que sa composition et sa symbolique. Et cette toile face à moi, ne me parle pas du tout. Je ne préfère pas m'engager.

— Vous êtes trop modeste, Mlle Mahé. Vos interprétations sont très souvent justes, sans fausses notes. Allez, je vous en prie, lancez-vous. Au cas où ce soit infondé, vous aurez au moins essayé, non ? C'est le principal ? Qui ne tente rien à rien, même si vous portez à faux cette œuvre.

Sale con.

— Que souhaitez-vous que j'interprète, Monsieur ?

— Je laisse libre court à vos hypothèses.

Je lui jette un regard noir et prend une grande inspiration en faisant le vide autour de moi. J'ai neuf ans. Mes parents et moi sommes à Florence à la Galerie des Offices face à La Naissance de Vénus, et mon père m'expose son raisonnement.

— D'après Zéphyr et Aura, Botticelli rend hommage aux éléments, par l'Air, l'Eau, la Terre et le Feu. La puissance à laquelle souffle Zéphyr permet à Vénus, postée sur son énorme coquillage, d'arriver sur la berge où elle est tant attendue. Une autre interprétation dirait que Zéphyr est accompagné de Chloris, un vent également, tous deux symbolisent la passion spirituelle. Ils contribuent à unir l'esprit et la matière. Quant à Horae, à sa droite, est une déesse du printemps, une saison liée à la fertilité et à la naissance. Elle porte sur elle des fleurs du printemps et du myrte, une plante porte-bonheur qui était souvent utilisée dans les cérémonies de mariage. Alors, on sait pourquoi elle a été commissionnée déjà.

Tu es née le 22 mars, Charlène, en pleine saison printanière, ajoute mon père, réjoui par cette nouvelle.

— Les roseaux, dans le coin gauche en bas de la toile, démontrent aussi par leur expansion rapide et leur vivacité toute la fécondité sous-jacente. Quant à la lumière, on constate que celle-ci, aussi éclatante soit-elle, n'est pas vraiment naturelle. D'ailleurs Vénus ne produit aucune ombre... serait-elle finalement LA source de lumière ?

— Oui ! Joie, ivresse et sensualité, voilà ce qui la caractérise. Typique de la Renaissance. Elle inspire la tendresse, la grâce, la décence mais reste un objet masculin. Inassouvi. Célébration de la naissance et de la vie universelle de la beauté, puissance séductrice. Tromperie ?

Son ton est un défi et je fronce les sourcils pour rétorquer :

— C'est ainsi que vous la percevez ? La tête penchée, elle est pensive, mélancolique et absente. Fatiguée peut-être qu'on ne s'arrête qu'à sa plastique ?

— Comment ne pas s'y intéresser quand elle parle peu ?

Des rires résonnent dans la salle, me frustrant davantage.

— Ici, la déesse nue ne personnifie pas seulement l'amour terrestre, mais aussi l'amour spirituel. Certains ont associé son image à celle de la Vierge Marie.

Il me sonde un long moment avant de hocher plusieurs fois la tête par saccade, une moue timidement admirative.

— Vous avez fini ?

— Oui, j'en ai fini pour aujourd'hui.

— Bien. Passons à Vélasquez dans ce cas-là.

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