La Naissance de Vénus [1/2]

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Comme j'aurais aimé revenir en arrière. Ne jamais avoir compris que James soit le mari de Lauren, mieux encore, je regrette aujourd'hui d'avoir connue cette experte en œuvre d'art, ce mentor dans la symbologie. Quitte à ne rien apprendre sur cette étude, j'aurais pu apprendre avec cette option. J'aurais souhaité être une autre personne, avoir son âge, ou qu'il ait eu le mien.

Pourquoi me suis-je tue ce soir du quatorze février ? Pourquoi ne pas lui avoir ouvert mon cœur ? Pour quoi ? Un passé difficile à assumer, à accepter. Parce qu'encore une fois, je fuis mes problèmes, je suis lâche et trop introvertie. Je pensais avoir changé avec les années, grâce à l'aide de Lauren qui m'a fait sentir plus confiante, grâce à Bastien et à Iban qui ont su me protéger durant ces deux ans, grâce à James qui a su m'aider à aimer de nouveau mon corps. À le voir différemment. À aimer mes fantasmes sans en avoir honte. Aujourd'hui, la culpabilité est grande, elle monopolise mon être entier, elle englobe mes pensées et mon corps. J'ai eu peur qu'il réagisse comme il l'a fait et je n'ai pas pu le retenir. Figée face à ses mots tranchants, il n'a plus confiance en moi, je suis indigne et irrespectueuse. Je ne suis pas comme cela et je suis peinée de savoir qu'il me voit ainsi, désormais. Au revoir la belle Vénus allongée, désirable et mystérieuse, qu'il aimait tant contempler.

Bien que mes fautes aient été maladroites, elles ne sont pas impardonnables ni indéfendables. Je lui parlerai à la fin de son cours, et cette fois-ci, j'aurais les arguments fiables.

Malheureusement, en ce lendemain du lundi 18 mars, James est absent et un e-mail nous a confirmé que durant le reste de la semaine, le professeur de symbologie en art ne sera pas présent pour cause personnelle.

Les épaules basses, j'ai poursuivi mon chemin jusqu'à la bibliothèque, puis j'ai mangé seule et ce, durant quatre jours, je me suis retrouvée sans compagnie. Une atmosphère qui me rappelle tant ma Première année à Lorient. C'est sans compter sur le soutien de Camille, Liam ou encore Constance, quand je la croise parfois en-dehors de l'enceinte de l'Institut, et leurs insinuations moqueuses sur James et moi.

Plusieurs fois, j'ai croisé Nathalie Cigliano, le teint blafard. Elle aussi ne me salue plus et, je comprends à son regard, qu'ils ont dû se séparer et que je dois en être la cause. Alors pourquoi ne suis-je toujours pas convoquée chez la proviseure ? Est-ce pour cela que James ne donne plus cours ?

Jeudi 21 mars 2012,

Au Centre Michelet, la Salle F366 foisonne de douloureux souvenirs. Amer par la surprise de la rentrée de cette année scolaire, laquelle où je découvris que James était mon enseignant. Délicieux aux mémorables répliques ludiques de nos interprétations symboliques. Pénible à la pensée de nos échanges brefs lors de ce dernier mois, dû à notre séparation inexpliquée de la Saint-Valentin. À présent, je vais entrer dans cette salle, vide de sens, vide de sa présence. Comme il m'a délaissé ce dimanche.

Camille s'introduit dans la classe en me coupant la route d'un léger coup d'épaule. Pas en état de répondre à ses provocations, j'entre à mon tour avant de constater que James est debout sur son estrade, penché sur ses notes, appuyé sur ses mains. Lorsque je franchis la porte, il redresse doucement la tête, un coup d'œil fugace. Geste qui ne manque pas d'être perçu par Camille.

— Il semblerait que vous ne soyez pas dans votre assiette, M.Taylor, fait-elle remarquer, en jetant un regard dans ma direction.

— Si vous pouviez mieux interpréter les œuvres présentées dans mon cours que mon humeur, je vous en serai reconnaissant, Mlle Durand.

À l'évidence, il se souvient bien du passage avoué sur Camille et la rumeur qu'elle a balancée sur nous. C'est avec un sourire satisfait que je louange cette riposte cinglante.

— Aujourd'hui nous allons étudier La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli.

Un brouhaha d'incompréhension entre étudiants s'élève tout autour de moi. Alors que je lorgne le professeur, Vincent Lazare interfère à le contredire :

— Mais Monsieur, nous ne devions pas continuer sur Les Ménines de Vélasquez ?

— J'ai modifié. Une toile sur Vénus me semble un cours parfait en ce jour imprévisible.

Un sourd silence. En secouant la tête, je sors mes affaires comprenant que l'analyse d'aujourd'hui ne sera pas seulement sur le tableau en question.

— Commençons.

Bien que je ne veuille pas croiser son regard pour y déceler quelques émotions - colère, déception ou admiration - que ce soit, je ne peux m'empêcher de l'étudier. Dans la pénombre, je devine un corps raide, impatient d'en finir avec le cours. Son pull fétiche, noir en laine, au-dessus d'une chemise déboutonnée au col, sculpte ses muscles deltoïdes dont la droiture de sa posture impressionne encore plus. Il est raide, préoccupé. Ses avant-bras à découvert m'arrachent une pulsion de désir. Quel provocateur ! Ses cheveux châtains sont légèrement en désordre et le rend encore plus séduisant. Ses mains, quant à elles, sont quasiment serrées en poing, comme pour se protéger d'une quelconque menace. Sa démarche est à grandes enjambées et pressées. Ses lunettes glissent de temps en temps l'obligeant à les remettre. Une habitude qui me fait fondre, symbole, pour moi, d'une concentration particulière. Mais le plus surprenant c'est que son visage n'exprime rien d'autres que la solennité. Prêt à balancer sa théorie sur la déesse.

Sauf que je décide de ne pas m'en mêler, j'ai assez joué à l'étudiante modèle. Pour une fois, en trois ans, je ne broncherai pas un mot. On verra ce que donnera son cours.

— L'œuvre ? Le courant artistique ? Le peintre ? Je vous écoute.

— C'est la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli, peinte vers 1484-1485 appartenant à la Renaissance, débute Laurianne.

— L'histoire de ce tableau ?

— Et bien, nous ne savons pas qui l'a commissionné, continue-t-elle.

— Nous savons seulement que c'est un membre de la famille des Médicis, affirme le professeur. Qui sont les Médicis ?

— C'est une grande famille patricienne qui détenait Florence par son commerce et son économie, intervient Jérôme.

— Seulement à Florence ?

— Euh...

— La famille des Médicis compta jusqu'à dix filiales bancaires : à Venise, Rome, Naples, Milan, Pise, Genève, Lyon, Avignon, Bruges et Londres, énumère James. Alors, que voyez-vous ?

— La Vénus sur un coquillage, nue, qui se cache le pubis, propose Valentin. À sa gauche Zéphyr, le dieu du vent d'Ouest, de l'Eau, de la Terre et du Feu. Ici, Zéphyr est accompagné de sa compagne Aura, qui se raccroche à lui pendant qu'il souffle à pleins poumons. À sa droite, il y a une Heure, une des trois filles de Zeus, toute de fleurs vêtues, qui s'apprête à revêtir la déesse d'une cape rose parsemée de violettes.

En entendant ses analyses, j'ai envie d'interrompre l'étudiant mais je me tais tandis que James continue sans broncher.

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