Reunion

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La Vénus d'Urbin face à moi, la couleur de sa peau sous mon pinceau, je ne me déconcentre qu'à l'entente de la sonnerie de l'interphone. Les pas d'Iban et son « allô » m'indique qu'il a décroché. Palette en main, je récupère la peinture sur mon pinceau et le pointe sur le cou de la Vénus quand :

— Charlie ! C'est Simon.

Un instant, j'ai une hésitation. Est-il venu avec James ? Que se passe-t-il pour qu'une heure après notre rencontre il débarque chez moi ?

Je dépose mes outils de restauration et sort de l'atelier, proche de la porte d'entrée. Iban, la main sur le combiné pour que Simon ne nous entende pas, m'annonce qu'il s'est embrouillé avec James et qu'apparemment son nez aurait doublé de volume.

— Fais-le monter, ordonné-je avant d'enlever ma blouse et de la ranger dans le placard de mon ancienne chambre.

Je referme la porte derrière moi et ouvre celle de l'entrée lorsque le négociateur d'œuvre d'art sonne.

Le nez tumescent et la main plaquée contre celui-ci, il paraît désemparé, son bagage pour le week-end dans l'autre main. Je m'épaule contre l'embrasure de la porte et lui balance, avec une certaine réjouissance :

— J'espère qu'il t'a pété le nez !

Il hausse les épaules. Je m'écarte et le laisse rentrer.

— Assis-toi sur le canapé, je reviens.

J'entends Iban se présenter et insinuer qu'il n'allait pas lui serrer la main, trop de sang pour un samedi midi.

Dans la salle de bains, je récupère du coton et de l'eau oxygénée. Malheureusement, je n'ai que ça.

Lorsque je reviens dans le salon, Simon avait laissé ses valises près du sofa et lui, est assis, tête rejetée en arrière, toujours deux doigts pinçant son nez. Il tourne ses yeux vers moi, comme il peut. Quant à Iban, serein, est accoudé au bar sirotant un petit café.

Je prends place près de mon patient et lui demande :

— Que s'est-il passé ?

— J'ai dit que Manchester avait perdu son dernier match. Il l'a très mal pris.

Je lui enfonce le coton sur son nez avec un fort appui.

Ouch ! Fuck !

— Et dire que c'est moi qu'on traite de tafiolle... dénonce Iban, sourcils haussés, avant de boire une gorgée de sa boisson chaude.

Je lui jette un regard noir et il lève le menton en détournant la tête.

— Je n'ai pas envie de rire, Simon, répliqué-je, froidement.

— Merci, j'ai bien compris, rétorque-t-il avec une voix étouffée, en montrant son nez. À ton avis pourquoi a-t-il réagi ainsi ? Tu n'aurais pas une idée ?

— Je ne sais pas. Il y en a plusieurs. Par exemple, que tu lui as menti pour qu'il saute son étudiante. Au hasard, hein ?

— Qu'on s'était embrassés l'an dernier.

Exaspérée, je tape sur mes cuisses.

— Mais, alors là ! C'est la chose la plus inutile à lui dire dans toute cette histoire.

— On est bien d'accord. Mais pas pour lui, car il nous a vus chez Julien, ce matin. Et aussi il sait que... commence-t-il à dire, hésitant.

— Dis-le ! Sinon, c'est une cuillère à soupe que je t'enfonce dans le nez ! m'exclamé-je.

Iban rit derrière nous.

— Excuse-moi, Charlène, je lui ai balancé le journal dans la gueule, déclare Simon, désolé.

La respiration accélérée, je le fixe intensément comme l'envie de l'étouffer avec ce coton.

— Donc, il sait ?

— À moins d'avoir réussi à lui péter ses lunettes. Mais, j'en doute.

En pleine réflexion, je parcours le salon de long en large.

— Ok. Donc, ces deux choses-là il le sait. Il reste plus que Lauren et moi, puis...

Je me mords la lèvre et jette un œil à Iban et Simon, qui vient seulement de le rejoindre, tous deux face à moi.

— Quoi ? disent-ils en chœur.

— J'avais juré de ne pas le dire, certifié-je, avec une tête de chien battue.

— Ecoute, je préfère tout savoir aujourd'hui vu qu'on y est, balance Simon, en croisant les bras.

— Lauren étudiait une recherche sur la mémoire.

Simon cherche le regard complice avec Iban, mais ce dernier, ne réagit pas, toujours bloqué sur moi.

— D'accord... dit mon colocataire, lentement. Et ça consiste à quoi cette étude ?

— Des scientifiques souhaitaient expérimenter leurs hypothèses sur des personnes détenant la mémoire eidétique.

— Et qu'est-ce que tu viens foutre là-dedans, toi ?

— J'ai la mémoire absolue, Iban.

Surpris, Iban ouvre grand la bouche alors que Simon reste de marbre.

— Tu étais au courant de cette recherche ? m'adressé-je à lui, yeux plissés. Et de mon don ?

— Non.

— Ne me mens plus !

Okay ! J'en ai entendu parler, mais je ne savais pas pour toi. Bien que je ne sois pas étonné.

— Ah ! intervient Iban. Je comprends mieux pourquoi tu te souviens encore de la date et l'heure où je t'ai oubliée à la gare Montparnasse.

— Non, Iban. Ça tout le monde s'en rappellerait, il faisait -5 et la neige me frigorifiait.

— Tu vois ! Tu es incapable de passer à autre chose, s'exclame-t-il avant de se tourner vers Simon. C'est ça, les prodiges, ils s'arrêtent sans arrêt sur des choses futiles.

Je lève les yeux au ciel et m'approche de Simon.

— James est au courant ?

— De quoi ? Pour Lauren et cette étude ? Je n'en sais rien.

Je me gratte le menton et repars m'asseoir sur le sofa où ils me suivent, Simon près de moi, Iban, assis en face de moi sur la table basse.

— Il faut aussi que je lui parle de Mark Livingston...

— Oh bah oui ! Annonce-lui aussi que tu es enceinte et séropositive tant qu'on y est... exagère mon ami.

— Il a raison. Ça fait beaucoup de choses à lui dire. Et d'ailleurs, pourquoi voudrais-tu parler de ce type ? On ne sait même pas qui c'est !

— Je ne sais pas... je crois que c'est une double identité, dis-je, le regard dans le vide.

— Pourquoi il t'intéresse tant ?

— Je trouve son histoire louche. Tu sais quand un nom inconnu revient en permanence dans ta vie...

Je réfléchis un temps.

— Je suis persuadée maintenant d'avoir lu son nom quelque part, mais où ?

Dans mes souvenirs, depuis quelques jours, je revois son nom écrit sur un papier, mais lequel ? Quand ? Ça me trotte et m'empêche même, parfois de dormir.

— Bon, tu racontes où t'attends que je m'endorme ? insiste Simon.

— Bin ! Ça a commencé avec sa pute de copine, déclare le petit moustachu, face à moi.

— Iban !

— Appelons un chat, un chat, dit-il en se penchant vers moi. Je suis pédé, il est noir, t'es bonne, c'est une pute. C'est bon on a crevé l'abcès ?

— Je vais regretter ce que je vais dire : mais j’apprécie ton franc-parler, complimente Simon.

— Merci.

Iban hoche la tête et poursuit :

— Près de chez nous, il y a un salon de massage érotique. Et sa copine-là, a un drôle de client : Livingston, il s'appelle. Il aime les blondes et lui demande de mettre une perruque. Jusque-là rien de bien grave.

— Ouais, parce que là le fantasme est assez courant, intervient Simon. Comment elle est ?

— Pourquoi tu voudrais te la faire ? ricane Iban.

— Non, si elle n'est pas très jolie peut-être qu'il l'arrange.

Je le foudroie du regard avec dégoût.

— Je peux te cracher dessus ? demandé-je, sérieusement.

— Désolée de te faire redescendre de ton petit nuage, certifie-t-il avec un petit sourire. Mais les hommes ont de drôles de pratiques, et crois-moi les femmes aussi ! C'est même peut-être un jeu entre eux. Et qu'est-ce que ses pratiques sexuelles ont avoir avec ton affaire ?

— Elle pense que c'est James, conclut Iban.

Le négociateur explose de rire un long moment avant de se calmer et m'interroger de nouveau :

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? T'es parano comme fille.

— Kasia m'a dit qu'elle avait vu le prénom Lauren s'afficher sur son portable il y a deux ans, affirmé-je, nez pincé.

— Il n'y a pas qu'une Lauren dans le monde que je sache.

— C'est un Anglais expert dans la vente d'œuvres d'art.

— Et comment tu sais ?

— À Noël, j'ai rencontré un ami d'enfance à mon père près de Quiberon, lui confié-je. Marcel Fuller...

— Un riche hôtelier, oui, m'interrompt-il, attentif. Je sais qui il est. Il a fait une bonne affaire pour un Friedrich, il y a environ dix ans.

— Et tu sais qui lui a vendu ?

— Non. Anonyme.

— Et bien à nous, mes parents et moi, il nous l'a dit : Mark Livingston. Le restaurateur de cette œuvre est un certain Helmut, rencontré à Dresde, en Allemagne.

— Il n'a pas de nom de famille cet enfoiré ! s'écrie Williams.

— Tout ça pour dire qu'il y a trop de coïncidences.

— Bon, au risque de te décevoir Sherlock, poursuit-il avec moquerie. James a peut-être des pratiques sexuelles bien dosées, mais jamais il n'irait aux putes.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Tu sais tout sur lui, peut-être ?

— Quasiment. On ne se cache rien, encore moins sur ça. Je suis déjà allé aux putes, et il le sait, pourquoi me le dissimuler ?

— Parce qu'il en a honte.

— Ce sont des conneries. James est trop honnête pour avoir une double identité, en plus c'est un très mauvais menteur. Et pour en finir avec toutes ces accusations, l'expertise Botticelli que tu penses être une couverture pour une vente de faussaire, n'en est pas une. Le tableau était une copie et en Grande-Bretagne, c'est autorisé. Est-ce clair ? Alors, concentre-toi plutôt sur tes petits secrets de Polichinelle.

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