Un dernier au revoir

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Sur le trajet du retour, Bastien et moi seulement convenons de rentrer ensemble. Clara et Toni travaillent et Iban est en train de conclure avec « un carrossier aux bonnes grosses mains » en reprenant ses paroles.

Je me ronge les ongles tandis que Bastien me jette de temps en temps des regards suspicieux. Il s'arrête au feu rouge et se grille une cigarette, acte normalement interdit dans sa voiture et qui, je suppose, n'est conforme que pour Iban. Un vieux jeu entre eux, une raillerie qui leur est propre. En ouvrant la fenêtre, il pose son bras sur le rebord et ne dit pas un mot, comme en pleine réflexion.

À la vue de son expression lors de notre échange, à James et moi, je sais qu'il se doute de quelque chose. Bastien me connaît lorsque je balance mes répliques cinglantes, identique à un poing en pleine face.

Il avait précieusement mis une playlist sur CD, évoquant son côté littéraire et son âme de poète. C'est ainsi que Vesoul de Jacques Brel atteint nos êtres, réclamant notre dissimulant lyrisme, pendant que Bastien démarre direction le 32 rue Ballu. Il chantonne gaiement, les doigts pianotant l’extérieur de la portière :

« T'as voulu voir Vierzon, et on a vu Vierzon

T'as voulu voir Vesoul, et on a vu Vesoul

T'as voulu voir Honfleur, et on a vu Honfleur

T'as voulu voir Hambourg, et on a vu Hambourg

J'ai voulu voir Anvers, on a revu Hambourg

J'ai voulu voir ta sœur, et on a vu ta mère

Comme toujours »

Il se tourne vers moi, en haussant la voix comme crier à une foule :

« Mais je te le dis, je n'irai pas plus loin

Mais je te préviens, j'irai pas à Paris

D'ailleurs, j'ai horreur de tous les flonflons

De la valse musette et de l'accordéon.»

Dans de grands gestes, prit par l'émotion, il chante avec ardeur, laissant les riverains en profiter quand nous roulons ou quand nous sommes à l'arrêt.

Il tourne son volant, cigarette entre les doigts et continue sa sérénade de plus en plus fort en me donnant parfois des coups d'épaule pour m'inciter à le suivre. Il me décroche un sourire puis un petit rire.

Au feu rouge, dans le quartier de la Chaussée-d'Antin, dans le 9ème, deux femmes dans une voiture le klaxonnent.

— Salut, toi ! On était au Perchoir derrière toi. Ça te tenterait de venir boire un verre chez nous ? On n'habite pas très loin.

Je me penche en avant pour apercevoir la jeune fille qui était à la table près de nous, accompagnée par sa copine, la glousseuse.

— Oh ! Je n'avais pas vu ta petite amie, s'étonne-t-elle en effaçant son sourire.

Sentant ma présence, encore plus proche de lui, Bastien se réjouit fièrement.

— Je ne suis pas tentée, les filles.

Et le feu passe au vert.

En bas de l'immeuble, je me recroqueville sur mon siège, ne sachant pas quoi faire. Lui demandé-je de monter ? Pour faire quoi ? Ou un simple au revoir sec et froid suffit ? Il continue de fumer à la fenêtre sans me regarder.

Au bout de quelques minutes de silence, Eddy Mitchell chante Couleur menthe à l'eau dans son poste de radio. Cette chanson est un hymne à l'amour. Nous l'adorions, Bastien et moi.

Sans réaction de ma part, il entame la discussion après avoir écraser son mégot dans le cendrier :

— Ça m'a fait du bien aujourd'hui de passer cette journée, et cette soirée avec toi.

— Moi aussi. Tu m'avais manqué.

Ni une ni deux, il m'embrasse sans me laisser le temps de protester. Il y a de l'affection, de la tendresse, un réel sentiment d'amour dans sa manière de me bécoter, qui me font frémir. Sur ces entrefaites, je lui rends son baiser avec plus de fougue, le repoussant au fond de son siège afin de me blottir contre lui et l'enjambe. À califourchon sur lui et avec ambition, je plonge ma main dans son pantalon. Il gémit. Ses mains attrapent mes cuisses puis finissent par se perdre sous mes cheveux. Après qu'il est pu se protéger convenablement, j'enlève mon string comme une bonne contorsionniste, soulève ma jupe et m'empale sur lui. Il soulève ses hanches et un gémissement m'échappe. Je recule pour pouvoir bouger sur lui et mon dos s'appuie contre le klaxon. Bruit qui me fait sursauter. Un temps d'arrêt où nous éclatons de rire, conscients qu'on s'envoie en l'air dans sa voiture, dans la rue.

— Attends, m'ordonne-t-il.

Il tente de me mettre sur le siège passager mais le levier de vitesse manque cruellement de s'enfoncer là où il ne faut pas.

— Aïe ! crié-je avant de me frotter les fesses.

— Oh merde ! Pardon.

Nouveau fou rire.

— On va se mettre derrière, ça sera mieux, m'indique-t-il.

Le pantalon baissé aux genoux, son soldat au garde à vous, il sort du véhicule au moment où, je passe par-dessus les sièges, tête la première. C'est une catastrophe, et nous n'avons rien de romantique dans notre précipitation. Un sketch digne de Benny Hill. En se faufilant sur les sièges arrière, nous reprenons là où nous nous sommes arrêtés quelques seconds avants, en excluant les derniers moments pittoresques.

Malheureusement, dans la position d'Andromaque, ma nuque risque le coup du lapin et pour celle du missionnaire, plus conventionnelle, Bastien a les genoux repliés et un des bras se retrouve à pendre dangereusement en-dehors des sièges. Ce qui nous donne sans arrêt l'envie de se remettre droit, de changer de position sans prendre assez de temps pour notre plaisir. Las, nous nous asseyons en soupirant. Je remets dans l'ordre dans mes cheveux et abaisse ma jupe. Bastien, lui, ne cherche même pas à enlever son préservatif.

— Je maudis Iban ! Il avait raison, cette bagnole est trop petite.

Je me cache la bouche pour rire. Je lui caresse la joue de mon pouce.

— Ce n'est pas plus mal, non ?

— Parle pour toi ! Je suis extrêmement frustré.

— Désolée.

Dans un lourd silence, je replis mes jambes sur le côté et Bastien enlève le petit bout de plastique, puis remonte seulement caleçon et jeans, sans le boutonner. Il pousse un soupir en rejetant la tête en arrière. Je me sens coupable de ne pas lui avoir donner du plaisir, alors je me resserre près de lui et pose ma main sur son torse :

— Ça va ?

— Pourquoi on fait ça ? Tu m'expliques ?

— Je ne sais pas. Nous sommes célibataires et apparemment, notre façon de dire que notre rupture nous a affectée, c'est de la consommer.

Il rit et sa joue s'enfonce dans le siège, ses yeux rencontrent les miens.

— Il n'y a pas plus ?

Je soutiens son regard, lisant une étincelle d'espoir. Je vais lui briser le cœur dans une seconde.

— Non, pas plus.

— Alors, tu ne m'aimes plus ?

— J'aurais tellement voulu... commencé-je avant que les mots se brisent dans ma gorge, les larmes me montent aux yeux.

— Hé ! s'exclame-t-il en se redressant. Viens là.

Il m'enlace et mon oreille droite entend chaque battement de son cœur, paisible.

— Tu es tombée amoureuse de quelqu'un d'autre ?

— Bastien, je ne sais même pas ce qu'est d'aimer.

— Bien sûr que si. Tu m'as aimé, non ?

— Oui, sûrement. Mais j'ai tout gâché parce que je suis plus passionnée par une matière, par mon travail...

— Et tu as le droit, Lily. Ce n'est pas parce que je t'aime encore que tu dois te forcer pour moi. Ne fais pas l'amour avec moi pour mon plaisir.

Je me recule en tapant son pectoral de mon index.

— Ça ! Ce n'était pas pour toi, mon grand ! J'en avais envie. Envie de te dire aurevoir, envie de passer notre dernière nuit ensemble.

Il se penche et effleure mes lèvres des siennes.

— D'accord. Mais après cette nuit-là, il va falloir que je t'oublie un peu.

Mon menton tremble et mes yeux se noient de chagrin. Encore une personne à qui je tiens, qui devra sortir de ma vie.

— Je fais fuir les gens ! m'accusé-je.

— Non. Tu les attires beaucoup trop et on se protège. Je l'ai vu ce soir dans le regard de ton professeur.

Je m'arrête soudain de pleurer.

— Quoi ?

— C'est lui, l'autre ?

Dois-je lui dire la vérité ? Lui mentir ?

— Qu'est ce qui te fait dire ça ?

— Mme Cigliano est peut-être aveugle, moi non. J'ai été avec toi, et la manière dont il te dévisageait, c'était moi qui le faisais auparavant. Tes réflexions à abattre n'importe quel homme, c'était pour moi qu'elles étaient... bon... et Iban, mais ça, c'est tout à fait normal.

Je ris.

— Quoiqu'il en soit, et je ne veux pas savoir toute ta vie, toi aussi protège-toi. N'essaye pas d'être une autre personne. Tu es sensible et fragile. Tes crises d'angoisse doivent cesser et pour cela, il faut que tu acceptes... je ne sais quoi que tu n'assumes pas. Charlène ?

— Oui.

— Assume tes actes, tes sentiments et surtout, qui tu es, dit-il d'une caresse sur mon visage.

Je me lance dans ses bras, prise par trop d'émotions. Il est extraordinaire. Durant ces deux dernières années, j'ai appris à lire chez les autres en oubliant de le pratiquer sur moi. Et je n'avais pas remarqué que Bastien m'avait observé et me connaissait si bien que cela. Comme quoi, quand on est proche de moi et qu'on apprend à me connaître, on me lit facilement. James n'a pas essayé. Ou ai-je tout fait pour qu'il ne le fasse pas ? Bref, c'est de l'histoire ancienne. Il vit pleinement sa relation amoureuse.

Soudain, on entend toquer à la vitre, réalisant que nous n'étions pas dans une bulle privée, mais dans un lieu public. Cependant, notre appréhension de se faire prendre, redescend quand on constate que c'est Iban et son énorme sourire d'abruti qui nous salue :

— Ça va ? Pas trop petit pour des folies ?

— Va chier ! crions-nous en chœur, Bastien et moi.

En fin de compte, Bastien finit la nuit avec moi, dans mon lit et pour cette dernière fois, nous faisons l'amour pour dire adieu à notre ancienne vie. La fin d'un premier amour.

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