Le Perchoir [2/2]

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Alors que cette journée ensoleillée débutait dans un souffle hivernal, le printemps semblait prendre du terrain dans l'après-midi et une fois arrivés au Perchoir, grâce aux douces températures, les sixième et septième étages, sur les terrasses, sont déjà bondés de monde. À vingt-et-une heure, la musique influence les fêtards à se divertir. Au bar, Mathieu avec qui nous avions passé la soirée au Carmen, soir où j'ai rencontré James, administre ses cocktails et Clara le rejoint. Toni, quant à elle, se pose sur un tabouret, non loin de son amoureuse, attendant vingt-trois heures pour faire tourner les platines. Iban, lui, se faufile dans la foule pour y trouver quelques connaissances et - comme à son habitude – partir en quête d'un jeune étudiant pour la nuit.

Bastien m'entraîne vers une table haute et part nous commander nos verres. Pendant ce temps, je discute avec deux ou trois accoutumés du terrasse-bar. Peu à peu, je reprends mes habitudes de fêtarde, des fêtes délaissées depuis quelques mois simplement pour partager des morceaux de vie avec James.

Tous deux penchés sur nos verres sans décrocher un mot, nous scrutons les alentours et je constate que derrière Ferroni deux jeunes filles le dévisagent en gloussant. Puis, elles croisent mon regard et s'arrêtent.

Je me penche alors vers lui :

— Je crois que tu as deux touches.

Il ne se retourne pas et prend une gorgée de son rhum.

— Ça ne m'intéresse pas.

De nouveau, il explore le monde autour de nous et alors, je lance la conversation avec une certaine appréhension :

— J'ai entendu dire que les femmes défilent depuis notre rupture.

— Oh ! Un défilé ! Qui sont tes commères ? Des marseillais ? ricane-t-il en continuant de regarder sur la piste. Ah ! Ça aurait été trop beau un harem rien que pour moi, mais désolé de te décevoir...

Il se tourne vers moi, ses longs cils clignent une fois :

— Ce n'est que deux plans culs réguliers.

— Plan cul régulier, c'est quoi ça encore ? demandé-je, surprise.

— Sans attache, ni amour, ni déclaration. Que du sexe. Sauf qu'on peut se voir souvent.

Il vient de donner la définition même de ma relation avec James.

— Ce n'est pas un peu réducteur pour la femme ? m'intéresse-je, alors. D'avoir un homme comme ça, juste pour le plaisir ?

— Que tu es psychorigide ! Tout le monde n'a pas envie de se retrouver embourber de nouveau dans une relation où on va souffrir.

La réflexion m'est directement associée. Bastien a vécu la rupture comme moi. Plus aucune envie de relation sentimentale, remplie de petites attentions amoureuses et de tendresse. Peine perdue pour moi, je me suis attachée à mon plan cul régulier. Quelle tâche !

— Excuse-moi, je ne voulais pas remettre ça sur le tapis, s'excuse Bastien, en me prenant par la main.

— Remettre quoi?

— Notre rupture, annonce-t-il en se tortillant sur place avant de reprendre de l'assurance. Même si ça a été difficile, je vais beaucoup mieux, et je n'y crois pas que je puisse te le dire avec autant de détachement, yeux dans les yeux.

Il boit cul sec son verre et je le dévisage, pleine d'affection. Le seul homme qui m'ait aimée - hormis mon père.

— Je sais, je sais, Bastien. Ça n'a pas été facile pour moi non plus, tu sais.

On échange un sourire compatissant. Nous avions souffert tous les deux et notre amour n'a pas résisté aux tentations et aux mauvaises intentions de notre entourage. Et bien heureusement, notre amitié, elle, ne peut être brisée.

— Bon tu me racontes ou tu attends le déluge ?

Il rapproche sa tête de la mienne, comme quelqu'un prêt à faire une énorme confidence.

— Je t'ai un peu menti. Il m'arrive parfois de prendre un petit déjeuner ou dormir avec ces filles. Mais on s'arrête là. Le principe est de s'écrire dès qu'on a des envies. Elles, comme moi.

— Et qui est-ce ? Je les connais ?

— Non. L'une d'elle est Malia, une jolie ivoirienne et collègue de travail. Un peu, comment dire ? Dominatrice.

Nous éclatons de rire.

— Et ça te plaît ?

— Elle est douée ! Et l'autre fille, c'est Audrey, une sublime vendeuse en puériculture avec qui j'ai sympathisé dans un bar. Elle est rigolote.

— Je vois qu'on aime la diversité.

— J'aime les femmes, que veux-tu ! Tant qu'elles me plaisent, je m'en fiche du genre.

— Je vois ça. Je suis contente alors si ça se passe bien pour toi. Cependant, j'espère qu'elles ne tomberont pas amoureuses.

— Si l'un de nous s'attachent, on arrête. L'histoire est simple.

Rien à voir avec ma relation avec James. C'est bien plus compliqué que cela.

Face à Bastien, l'imaginant avec ses femmes, mon imagination s'égare quelques peu et je reviens à nos débuts, complices et amoureux. Je pense qu'à ce moment précis, James ne me manque plus, sans aucun doute. Il n'était qu'un tremplin pour - peut-être - repartir dans une nouvelle histoire d'amour, après avoir connu mes fantasmes et prendre plaisir avec mon corps. James n'était qu'un homme mature, uniquement bon pour un passe-temps. Ni plus ni moins.

Mais il a fallu que je pense à lui et à mon deuil sentimental pour que le destin en choisisse autrement.

Nous entendons hurler vers le bar sans réellement comprendre ce qui se passe. Bastien soulève la tête pour mieux voir. Curieux comme un journaliste.

— Je crois que c'est une femme qui vient d'asperger un homme...

Je hausse les sourcils et tire sur ma paille.

— Putain ! s'exclame-t-il tout d'un coup. C'est Mme Cigliano ! Regarde, regarde...

Il me secoue l'avant-bras pour que je jette un coup d'œil, certaine de découvrir James près d'elle.

— Elle essuie le visage de ce type... oh ! Je crois que c'est son mec. Le veinard. Nathalie Cigliano, quelle belle milf !

Le cœur battant, je lève les yeux au ciel, le maudissant de cette contre-attaque. Je retente un regard vers eux et soudain, mon ancienne enseignante nous surprend à les épier. Quelle merde !

— Bastien, arrête de la regarder s'il te plaît, dis-je en le tirant à son tour. Fais comme si nous n'avons rien vu, ça va la mettre mal à l'aise, tu la connais.

En vain. Aussi taquin qu'Iban, Bastien ne peut s'empêcher de lui faire signe. Quel abruti ! Il n'a jamais rien écouté à ce que je lui conseillais.

— Viens, on va lui dire bonsoir, ça fait longtemps que je ne lui ai pas fait du gringue, plaisante-t-il en m'agrippant par le bras, en direction du couple.

J'aurais aimé un coup de théâtre pour éviter la catastrophe qui va suivre.

Et voilà, comment se retrouver coincée entre Bastien, Nathalie et James. Tandis que nos deux compagnons discutent, James et moi, nous nous évertuons à nous observer. Ses yeux brillent intensément au contact des miens. J'ai l'impression de ne pas l'avoir vu depuis une éternité. En fermant ses paupières, je le savoure du regard, de sa barbe toujours mal rasée, qui râpait aux extrémités de mes doigts, à son long nez grec qui s'harmonise avec la forme de son visage. Ses lèvres, puis ses mains et à nouveau ses yeux bleus quand il les ouvre, nourris d'amertume. Je lui souris tristement, comme une excuse. D'une tenue sobre, ses cheveux mouillés, souvenirs d'une nuit torride, d'un après-midi à la piscine, il est toujours autant attirant. Bon Dieu ! Pourquoi m'infliger ça ?

Je n'ai rien oublié de nos moments, absolument rien, en fait. Je cherche à me mentir à moi-même, continuellement. Le sentiment est ancré au plus profond de moi, fort et incontrôlable.

— Hey ! Vous êtes là ! Ça fait quinze plombes que l'on vous cherche ! hurle Iban derrière nous en nous entourant les épaules.

Toni et Clara sur ses talons, elles s’arrêtent net.

Je sens l’angoisse monter, devant Bastien et surtout Mme Cigliano, si l’un d’eux faute, on est mort.

— Monsieur Taylor ! Je vois qu'on est toujours de bonne compagnie, ajoute-t-il.

Je lui flanque un coup de coude dans les côtes. Le couple lesbien pouffe de rire. Seul Bastien fronce les sourcils :

— Vous vous connaissez ?

— Ouais... On l'a rencontré à la piscine avec un pote à lui à monosourcil. Et croyez-moi les amis, mais là-dessous c'est un trésor de masculinité...hein Charlie ? s'amuse Iban à caqueter avec sa voix lente.

Je vais l’étriper dans son lit et l’étouffer avec son oreiller !

Il faut sauver les apparences et vite !

— Il n'y a que toi pour mater. Je ne regarde pas les hommes plus âgés, réponds-je.

— C'est ce qu'elles disent toutes. Puis il suffit de flatter l'ego et elles en redemandent, réplique James, froidement.

On entend seulement la musique, et l’écho de la réplique directe adressée à mon égard.

La colère monte.

— Les vieux, ça bande mou. C'est ennuyeux.

— Et les jeunes, ça n'a pas d'expérience. C'est lassant.

— Ok ! Il commence à y avoir du sang partout sur les murs. On se calme, lâche Iban, les mains levées en signe de paix.

Bastien regarde la scène, dubitatif. Quant à Nathalie, elle, n'a pas décroché un mot tandis que James et moi réglons nos comptes. Soudain, consciente que je ne sauve en rien les apparences, mais que nous nous enfoncions, j’éclate de rire :

— C'est un jeu entre nous. En cours, c'est insupportable. C'est à celui qui aura le dernier mot.

James répond du tac au tac, le visage bienveillant.

— Oui, ça crée un certain débat dont les élèves raffolent.

— Ah ! Parce qu'on ne comprenait pas très bien, se soulage Nathalie.

Seul, Bastien reste incrédule.

— Nath' on va y aller, ils nous attendent, s’empresse mon professeur.

— Euh, oui. Bon et bien, bonne soirée les jeunes. Pas trop de bêtises !

— On y compte bien, rétorque Bastien..

— Bonne soirée, conclut James, fermement, en défiant mon ex du regard.

Bastien a très bien compris l’ambiguïté.

Iban s’approche de moi et me souffle à l’oreille, hilare :

— Œil pour œil, dent pour dent.

L’histoire de sa patronne avalée de travers.

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