Le Perchoir [1/2]

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Kasia Dabrowska a refusé de m'en dire davantage, par peur de perdre son travail ou simplement par peur d'avoir des ennuis. Elle paraissait effrayée.

Mark Livingston est-il James ? Ou était-il l'amant de Lauren ? Était-il dans la vente d'œuvre d'art ? Savait-elle qu'il côtoyait les salons érotiques ? Je remarque que Lauren et moi avions eu une relation mentor-apprentie, et non amicale. Les amis ne se cachent rien, si ? Elle avait mis une part d'ombre dans sa vie et, un an après, les morceaux du puzzle me revenaient. Souhaitait-elle que je décrypte les signes pour y trouver la vérité ? La solution ? Le complot ? Le message ? Ne m'avait-elle pas entraîné pour un but ? Était-ce seulement pour son étude sur la mémoire eidétique ? Remettons de l'ordre dans mes idées.

Réfléchis. Fais abstraction du bruit qui t'entoure.

Lauren m'inculque la symbologie, afin de savoir si j'ai la mémoire absolue, comme James. Puis, elle me laisse – ou pas - écouter sa conversation avec Maria sur l'expertise Botticelli, incriminant son mari et me met en lien avec la seule personne qui puisse connaître le secret. Clairement, elle voulait que je finisse son travail. Mais lequel ? Ce Mark Livingston est-il une réelle identité ou un leurre ? Un Anglais, expert dans le domaine de l'art, habitué d'un salon « next-door » et, de surcroît, lié à des ventes de tableaux rares comme James et sa découverte à la National Gallery, faisant affaire avec la mafia. Lauren avait découvert quelque chose, elle avait mis le doigt sur un secret, un mystère sur lequel elle n'a pas pu lever le voile, une affaire qu'elle n'a pas pu finir.

Sa lettre ? Tu es sans pareille, écrit en italique et ...

— Tu penses encore à Lauren et ce que t'as dit Katarina ?

— Hein ?

Le poste de radio est au volume élevé, mais je pouvais entendre Bastien m'interpeller, à côté de moi. Concentrée par les dernières informations sur Mark Livingston et Lauren, je m'étais à nouveau absentée. Bastien, au volant, avait dû le voir. Je crois comprendre qu'il tentait à maintes reprises d'ouvrir la conversation entre nous.

Clara, Iban et Toni, assis à l'arrière, chahutent. Par intermittence, je reçois des coups dans mon siège.

— J'y ai réfléchi aussi, après que tu m'aies partagée tes doutes, avise le conducteur. Lauren avait un cercle de clients, sans doute. Vu sa popularité et son professionnalisme. Si tu me dis que ce Mark Livingston est dans la vente d'œuvre d'art, il est normal qu'ils soient en contact, non ? Elle n'était peut-être pas au courant de ces petits plaisirs, c'est tout.

La Tour Eiffel, grande dame veillant sur la capitale, nous montre le bout de son nez, éclairée dans cette belle nuit de mars.

— Tu te tracasses trop, Lily, continue-t-il, en jonglant du regard entre la route et moi. Ce n'est pas étonnant que tu aies des migraines ! On s'était juré de s'amuser ce soir, tu te souviens ?

Je tente un sourire rassurant.

— J'aime mieux ça, dit-il en me le rendant de toutes ses dents. Hey ! Iban, qu'est-ce tu fous ?

Il jette un regard au rétroviseur où le reflet d'Iban le montre avec un air faussement étonné, cigarette allumée à la bouche.

— On m'a parlé ?

— Éteins-moi cette clope. C'est interdit dans la bagnole.

— Rappelle-moi pourquoi on t'a invité déjà, toi ? l'accuse-t-il, ironique.

— Allez ! Merde, Iban ! proteste Clara, en chassant la fumée de sa main. Y'en a qui ne fument pas ici. C'est étouffant !

— Putain mais c'est quoi cette tire ? grogne Iban en éteignant son arme dans le cendrier du milieu. Tu pouvais nous le dire, qu'à l'arrière fallait être lilliputien pour s'y asseoir ! J'ai les couilles ratatinées.

— Dis au revoir à tes gosses ! fanfaronne Toni, en se penchant pour taper dans la main de Clara.

Iban la scrute longuement, visage fermé.

— Tu fais bien de l'ouvrir, toi, l'attaque-t-il. Pourquoi t'écartes autant les jambes ? Tu prends énormément de place, là ! On t'a greffé des burnes dans la journée ?

— J'en ai plus que toi, vieille folle ! réplique-t-elle en frottant ses cheveux rasés.

Alors on danse de Stromae percute nos oreilles, concédant Iban de répliquer.

— Monte le son, s'il te plaît, Charlie ! Elle est ouf cette musique !

Je m’exécute avec un large sourire, déjà imprégnée par la musique.

Dès les premières basses, de son air entraînant, nous nous joignons en chœur pour chanter – hurler pour Iban. Dans de grands éclats de rires, Clara et moi ouvrons nos fenêtres pour crier notre euphorie et la soirée dingue que nous allons passer au Perchoir. Sûrement, inconscientes, nous nous asseyons sur le rebord des vitres ouvertes, beuglant les paroles de la musique. Je lâche mon sac d'ennuis et de chagrins. Je parle avec le monde, le cœur éclos d'amour pour ces quatre amis, qui accompagnent mes plus rudes épreuves et mes plus beaux fous rires, créant mes inoubliables souvenirs à venir. L'équipe d'antan à nouveau réuni, au complet et indissoluble. Depuis des années, seule et sans amitiés fortes, j'ai enfin trouvé le soutien, la protection et l'affection tant rêvés auprès de cette petite famille d'amis, autant singuliers les uns que les autres, autant paumés que moi, mais qui croquent la vie à pleines dents. Cette bande soudée m'avait manqué.

Les bras en l'air, sans maintien, le souffle de Paris remplit mes poumons d'un nouvel espoir, d'un nouveau changement et d'un soudain pouvoir que m'a légué Lauren dans mon esprit. Je trouverai le message subliminal à travers les signes que l'univers m'envoie.

— Descends de là ! crie Bastien, arrêté au feu rouge.

J'éclate de rire tandis qu'il me tire par le haut afin de m'asseoir à l'intérieur. À cause de la force à laquelle il m'entraîne vers lui, je tombe sur ses genoux. Il me relève par le bras et nous échangeons un sourire complice avant que je surprenne son regard parcourir ailleurs.

Je me recule, un rictus s'étirant au bord des lèvres.

— Quoi ? lâche-t-il, embarrassé.

Je l'accuse, le regard en biais.

— Ah ! Euh... oui, bafouille-t-il. Oui, j'ai maté. Mais j'ai des arguments !

— Lesquels ?

— Tes cuisses m'ont fait un clin d'œil et, pour ne pas te mettre mal à l'aise, je n'ai pas répondu. Je suis en abstinence depuis hier et je m'y tiendrai.

Je croise mes jambes, habillées de mes nouvelles cuissardes, et ma jupe remonte légèrement. Ses yeux glissent malencontreusement vers celles-ci. Il soupire et repose son attention sur la route.

— De vraies allumeuses celles-là, souffle-t-il à voix basse.

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