Le retour d'Adonis

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En ouvrant la porte de l'appartement, je distingue deux voix enjouées et trouve Iban et Bastien, en pleine conversation, sur le canapé.

Tous deux jettent un regard vers moi et Bastien se lève d'un bond, aussitôt confus. Je trifouille mes clés comme anti-stress.

Dans les moindres détails, mes habitudes examinent mon ex. Ses cheveux avaient bien poussé, et dans tous les sens, comme s'il venait de se lever du lit. Une chemise à carreaux rouge ouverte sur un t-shirt gris, le tout retombe sur un jeans bas foncé et décontracté. Du Bastien ! À la fois classe et informel.

— Salut, dit-il, simplement.

— Salut.

Est-ce que la guerre est enfin finie ?

Le petit moustachu prend les devants et s'avance.

— Déjà rentrée ? me demande-t-il.

— Oui. De nouveau des migraines.

— Tu as pris ton traitement ?

— Ça va mieux, ne t'inquiète pas.

Il hoche la tête, soulagé, et se retourne vers Bastien.

— Je peux vous laisser ? J'ai une Chloé qui m'attend de pied ferme et un Pierre-Emile qui devrait venir faire l'inventaire, ajoute-t-il, joyeusement.

— Pierre-Emile ? relevè-je. Les parents ne respectent pas leurs enfants, vraiment.

Bastien baisse les yeux en souriant.

— Qu'est-ce que j'en ai à foutre de son prénom ! Tu verrais son p'tit cul moulé dans son slim, tu accepterais même qu'il s'appelle Adolf.

— Ce n'était pas le chien de M. Lefebvre qui s'appelait comme ça ?

— Si, mais il le surnommait Wachhund, intervient Bastien.

J'éclate de rire.

— Je me souviens encore de ton air étonné quand il l'avait sifflé ce jour-là, ricané-je.

— Qui appellerait son clébard chien de garde ? s'offusque-t-il, indigné.

Nous rions tous les trois aux souvenirs de ce vieux raciste de voisin, décédé depuis deux ans.

Iban m'embrasse sur la tempe et donne une tape dans le dos à Bastien.

— Je vous laisse, pas de bêtises !

Dès que la porte se referme, un silence gênant oppresse le logement. Je dépose mes affaires dans ma chambre en passant devant lui, sans un regard. En revenant dans le salon, il n'avait pas bougé.

Précipitamment, je me dirige vers le bar, toujours sans lever les yeux vers lui.

— Euh, tu as bu quelque chose ?

Bastien bute contre la table :

— Oui, oui, Iban m'a filé une bière.

En attrapant un verre, je me demande ce qu'il fiche ici, bien qu'Iban invite qui il veut, je m'étonne pourquoi maintenant, alors qu'il aurait pu le faire bien assez tôt. Et, pourquoi cet embarras entre nous ? Nous nous sommes fréquentés durant deux ans, vus tous nus et disputés comme des chiens enragés. Qu'avons-nous à nous lorgner comme deux inconnus ?

Bien qu'il ait légèrement maigri, ses épaules carrées et son visage d'ange demeurent inchangés. Un jeune étudiant devenu homme en peu de temps, peut-être par son nouveau maintien, prêt à affronter les raz-de-marée, sa barbe ombrée, ou ses cernes, devinant un travail rude.

— Iban m'a invité, mais je vais y aller aussi. Désolé de t'avoir dérangée, m'avise-t-il en contournant le sofa.

Il attrape son gilet en laine beige et enfonce son bonnet sur la tête. Je lui barre le chemin et lui lance :

— C'est ridicule. On ne va pas faire les effarouchés éternellement, m'écrié-je. Je suis sincèrement contente de te voir. Tu peux rester, ça ne m'ennuie pas. Par contre, j'ai besoin de prendre une douche.

— J'ai toujours aimé l'odeur de la peinture fraîche.

Il a un petit rire comme quelqu'un prit la main dans le sac.

— Enfin, je voulais dire, ça n'est pas dérangeant.

Je souris.

— Très bien... dis-je, lentement. Je ne mets pas d'encens dans ce cas ?

— Peu importe. Tu es chez toi. J'aime les deux.

Il soupire, exaspéré par ses lapsus.

— Bon, je vais me griller une sèche dehors. Je t'attends en bas.

— On va où ?

— On va manger. J'ai la dalle.

Sans un mot, il me conduit vers la Place Blanche. Lorsque nous remontons la rue Lepic, Bastien me demande comment se déroule mes études. Si je m'en sors toujours aussi bien. Dédaignant d'entrer dans des confidences, je survole mes deux derniers trimestres avec enthousiasme. Quant à lui, après avoir retourné la situation pour le faire parler, il m'informe de ses longues journées et interminables nuits à Libération où il tente de se faire une place, en quête d'un scoop qui a du mordant.

En arrivant Place des Abbesses, il prend des nouvelles de mes parents et je lui raconte la tempête Joachim qui a sévi sur les côtes atlantiques, nous amenant à débattre sur le changement climatique.

Nous nous installons, affamés, au Petit Montmartre, une brasserie-café sur les pavés du quartier. La grande terrasse est arborée près du Mur des Je t'aime, sous les cris des enfants qui s'amusent dans le manège à quelques mètres de nous, non loin du métro. Même si, aujourd'hui, le soleil peine à percer les nuages blancs, le temps est agréable pour une fin de saison d'hiver. N'empêche que je garde tout de même mon manteau sous les chauffages de la terrasse.

Sur ma gauche, Bastien colle sa chaise à la mienne.

— On brise la glace ? annoncé-je d'un ton rude.

— Commence, se tourne-t-il vers moi.

— Réellement, pourquoi Iban t'a fait venir à la maison ?

Il secoue, un rictus sur ses lèvres.

— Comment l'as-tu su ?

— Iban est un piètre menteur et a un visage très expressif. Alors ? insisté-je.

— Il m'a parlé de tes crises d'angoisses à répétition. Persuadé que j'étais le seul à les calmer, il m'a demandé de venir et d'essayer de rester avec toi, aujourd'hui.

— Sans te poser de questions ? Parce que tu avais l'air de t'être rendu compte, seulement à mon arrivée, que je pouvais me braquer.

— C'est vrai, je n'ai pas réfléchi. Iban avait besoin de moi... et bon... enfin, je m'inquiète pour toi. Je t'ai connue sous ces crises, ça n'a rien de drôle.

Longtemps, mes yeux le fixent, émue par ses dernières paroles. J'ai envie de me blottir dans ses bras pour le remercier de sa gentillesse. Mais, je me contiens. A contrario, j'étire mes lèvres en un sourire sincère.

— Mes deux protecteurs. Ça a toujours été ainsi.

Une moue timide se lit sur sa bouche et il baisse les yeux, sourcils haussés.

— Je ne sais pas. C'est normal pour moi. Nous avons été une belle équipe d'amis.

— On peut toujours l'être, Bastien, lui confié-je en lui prenant la main. Viens ce soir, on va au Perchoir avec Toni et Clara.

Tout d'un coup, ses cernes semblent disparaître. En se redressant, il explose de joie :

— Mais, carrément ! Bien sûr que je viens ! Sauf que je prends la voiture. Je vous récupère, alors ?

— J'en parle aux trois autres, mais ça devrait être bon.

Passer une nouvelle soirée tous ensemble comme à l'époque, m'aspire une bouffée d'oxygène, une électrisante envie de faire la fête sans prise de tête.

— Avant, on doit mettre quelques règles claires et nettes, maintient-il, devenu sérieux.

— Dis-moi ?

— Tu ne me sauteras pas dessus. Et si je rentre avec une fille tu ne diras rien ?

Je le tape sur le bras.

— Encore heureux que non ! Je t'ai perdu une fois, je ne souhaite pas recommencer, m'exclamé-je, faussement vexée.

— Ça me fait penser, commence-t-il à dire. Gaël m'a dit qu'il t'avait avoué pour Selena.

— Je ne préfère pas en parler, Bastien. Histoire classée.

Soulagé, il est coupé par le serveur qui nous propose le menu du jour. On accepte volontiers.

Lorsque les plats sont amenés, nous faisons fi des bonnes manières et parlons tout en mangeant :

— Alors, Camille et toi, la rupture est définitive ?

— Belle et bien, claironné-je en découpant ma galette de sarrasin.

— Elle a fait courir une rumeur sur un nouvel enseignant et toi. Un professeur en symbologie ?

— Ah ! Euh... oui, balbutié-je, toujours bataillant avec ma nourriture. Des conneries. Elle aimerait se le faire.

— Quel est le rapport alors de lancer cette rumeur ? interroge-t-il, sourcils froncés.

— Je m'entends bien avec.

— C'est-à-dire ?

— C'est-à-dire, que je connais bien le sujet et les débats sont très intéressants durant les cours, m'exaspéré-je. Puis, j'ai de bonnes notes.

Il hausse les sourcils, pas convaincu. Je dépose mes couverts, brusquement.

— Tu vas la croire ?

— Non. Je ne comprends pas pourquoi elle invente de tels mensonges dans l'unique but de vouloir se le taper. Ça n'a pas de sens.

— Parce qu'elle en a ? Du sens ?

— Non.

Je reprends mon découpage et, lui, avale sa première crêpe au poulet avant d'ajouter :

— Et tu ne comptes jamais me dire qui était le type avec qui elle a passé son temps à l'hôtel ?

Je suis si surprise que j'en lâche ma fourchette.

— Hein ?

— Hey ! Je ne suis pas tombé de la dernière pluie, Lily.

Pour m'appeler ainsi, de l'eau à couler sous les ponts.

— D'accord. De toute façon, je n'ai plus rien à cacher, vu qu'elle s'amuse à me rabaisser. C'est Frank Mollet.

— Ah ! Elle est bonne celle-là, elle te dénonce sur ta fausse aventure avec ton professeur alors qu'elle, elle est vraiment passée à l'action. C'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité.

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