Depuis la piscine Drigny, ce désir incessant me pousse vers lui. Cependant, je décide de transformer cette attraction - en bonne étudiante que je suis - pour converser avec, après les cours. Poursuivre l'apprentissage de symbologie est le seul sujet qui m'occupe l'esprit sans penser à ses mains sur mes hanches ou ses lèvres contre les miennes avec fougue, m'attrapant par la nuque... Ni de le voir en action avec Constance.

Il est prodigieux, courtois et d'une éloquence à en désarmer mes incontestables arguments. Aucun de ses confrères ne peuvent lui arriver à sa cheville et Lauren aurait donné du fil à retordre en entrant dans un débat avec lui.

James est un homme distingué et réservé. Il salue gentiment les femmes de l'Université qui lui sourient, hoche la tête quand les hommes l'interpellent. Une carapace dure à percer, une apparence parfois froide bien qu'il soit respectueux et poli. Il n'a pas besoin de hausser le ton pour réclamer le silence. Il brille simplement par l'irréversible connaissance dont il dispose. Pendant nos brèves conversations dans les couloirs, avant de nous quitter, je reste la seule à qui il administre ses rares sourires et ses rires mesurés pour ne pas se donner en spectacle. Nos deux mondes se rejoignent par le choix de nos mots, par l'extravagance de mes gestes et par ses yeux qui, eux seuls, s'expriment.

Nous sommes conscients de la rumeur qui court, moi bien avant lui, sachant qui en est l'investigatrice. On chuchote alors que nous débattions vivement, presque à jurer pour ma part, et lui à souffler un bon coup. On nous regarde curieusement tandis que nous nous séparons d'un simple au revoir, sans sourire ni sous-entendus de quelques natures qu'elles soient. Nous n'avons rien à nous reprocher.

Peu avant le cours de TD avec lui, au Jardin du Luxembourg, là où j'ai l'habitude de me réfugier pour y lire, il dessine, cigarette à la bouche. Je n'ai pu m'empêcher de lâcher une petite insinuation sur le ton de l'humour. Après son accord, je me suis assise près de lui. Ma nuque avait besoin d'être massé et instinctivement, ma main me procure ce bien-être. Il n'en faut pas plus pour qu'il s'arrête de dessiner pour m'observer et je ne suis pas longue à constater que son trouble est autant partagé que le mien. Il y avait quelque chose d'explosif dans son regard, si étincelant sous les rayons du soleil, un peu comme un éblouissement.

Pour ses yeux-là, j'ai succombé. Pour son incroyable intelligence. Pour cette exquise saveur de l'interdit et du tabou que je dois purger. Ce manque de l'homme rencontré à Montmartre.

Le grincement de son bureau et son claquement contre le mur ne nous a pas redonné la raison. Au contraire ! Bien meilleur que la dope, l'alcool et l'herbe. Plus exaltant que l'eau turquoise des étés brûlants et les soirées à lire sous un plaid devant la cheminée. Plus fort que le hurlement déchirant d'un bébé qui vient de naître et que les fous rires entre amis.

C'est le nirvana. Le septième ciel. Je suis transportée dans une nouvelle dimension. Je ne suis ni Charlène Mahé ni au Centre Michelet. Nûment qu'une femme prenant du plaisir grâce à un maître dans l'art.

L'embrasser ? Cela m'a traversé l'esprit. Goûter à ses fines lèvres tout aussi décentes et légères que sa personnalité. Sucer sa langue pour connaître sa soif et son appétit. Si la déontologie insiste sur l'impossibilité entre un enseignant et son élève, même aux insupportables tentations, il me reste encore ce contrôle-là. En effet, si fougueux que sont nos rapports sexuels, nos baisers déclencheraient un brasier passionnel tel que je ne saurais me contenir.

Embrasser, c'est aimer. C'est passé de l'Amour profane à l'Amour sacré.