A la piscine Drigny [2/2]

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Coudes sur les genoux et vêtu d'un simple t-shirt et boxer de bain, il cherche à être serein. Lunettes toujours à leur place sur son nez droit, il lance quelques réponses laconiques au professeur d'archéologie antique. Je le sais en examinant scrupuleusement ses lèvres bouger, un court instant.

Tandis que son confrère a les yeux rivés vers le cours de natation, je profite qu'ils ne me voient pas pour admirer cet homme qui a bouleversé ma vie.

C'est avec tendresse que je constate ces nombreux tics, quand il ne remonte pas ses binocles, il se gratte le nez. Il miroite l'image de la bonté. Comme à chaque fois, je remarque qu'il ne prête aucunement attention à ce qui l'entoure. À moins qu'il le fasse discrètement, avec pudeur, comme une interdiction à entrer dans la vie intime des quelques personnes environnantes.

Ce candide enseignant ne peut être sous les griffes d'une fauve telle que Camille, qui ne pense qu'à s'amuser avec son jeu d'échecs. Faire tomber tous les pions. Et Constance qui le considère comme un trophée. Que t'est-il passé par la tête, James ? Pourquoi avoir succombé à une vipère pareille ? Ne serais-tu pas différent de tes homologues masculins ? Me serais-je trompée à ton sujet ? Je ne peux pas le laisser entre leurs mains. Il est temps d’appliquer l’Art de la séduction apprise par Lauren.

Ambitieuse, je nage jusqu'à l'échelle et m'y accroche. Doucement, je prends le temps de calculer les simples gestes acquis pour paraître séduisante. Quelle plaie ! Je crois que mon maillot de bain me rentre dans les fesses et que mes cheveux me collent partout.

À ma grande surprise, ses yeux vrillent sur moi et James se redresse en frottant ses mains sur ses cuisses. Est-il nerveux ? Un éclat d'espoir aspire tous mes membres. Un regain de confiance en moi.

— Bonjour, Messieurs ! les salué-je en me dirigeant vers eux, consciente que ce maillot mouillé peut faire son petit effet sur James.

— Bonjour Mademoiselle Mahé, répondent-ils en chœur.

Beurk ! Je crois aussi qu'il fait son petit effet sur Mollet. Comment font les séductrices pour aimer ces réactions, surtout d'hommes qui ne vous plaisent pas ? Paraître enjouée, sûre de moi et... quoi déjà ?  L’Art de la séduction disait Lauren. J’ai envie de lever les yeux au ciel.

— Vous passez de bonnes vacances ? demandé-je en m'attardant sur l'Anglais, qui évite mon regard.

Les vacances ! Bientôt on attaque la météo, non ? Pire ! Leur sortir « Alors, comme ça on vient à la piscine ? ». Ne pas sortir cette ânerie ! Je m'en rendrais ridicule.

Mais, ça semble fonctionner sur mon professeur de symbologie. Bien regarder ses gestes et ses expressions.

Je suis prête à parier qu'il m'a déshabillé de la tête aux pieds. Je le ressens d'ici le mal qu'il a à se retenir. Pudique ? Réservé ? Exaspéré ?

— Oui, merci et vous ? décide de répondre Frank, trop aimable.

— Oui ! Même si le professeur Taylor nous a donné un devoir très instructif et long à souhait. Tout se passe bien, déclaré-je avec le plus beau de mes sourires.

— Sur quoi ? demande Mollet à James.

— La Vénus d'Urbin de Titien, répond-il.

Notre chère toile de la Renaissance, qui nous aide à chaque fois que nous devons discuter de notre soirée. Cette allusion insinue aussi l'e-mail que je lui ai envoyé dernièrement, priant qu'il comprenne à nouveau le sous-entendu - inconvenant - mais qui, évidemment, l'invitait à repenser à notre théorie et à la possibilité de craquer face à cette désirable femme. En l'occurrence, j'espérais que celle-ci soit moi.

— Bon, je vous laisse en vous souhaitant une bonne journée, Messieurs, lancé-je en lui jetant un dernier clin d'œil.

— Bonne journée à vous, Mademoiselle, me saluent-ils ensemble.

Iban apparait soudainement dans mon champ de vision, et il n'aurait pas loupé une miette de ce que je venais de faire.

— Pourquoi tu tortures ce pauvre homme ?

— Qu'est-ce que tu en sais que j'le torture ?

— Est-ce que tu as vu comme tu es roulée ? Même moi j'aurais envie de coucher avec toi... bon ok ce n'est pas vrai ! Mais scrute-le ! Il pourrait remplir de nouveau la piscine, rien qu'avec sa bave.

— Ça devient écœurant.

— Je te jure.

— Qui est-ce qui m'a parlé de l'interdit et de l'excitation que cela engendre ?

— Sûrement un abruti.

— Je confirme.

— En septembre, il n'y avait pas Camille ni Constance dans l'histoire. Et encore moins, Pascal Durand.

— Qu'est-ce qu'il vient faire là, lui ?

— Il est le lien entre vous. Tu es restauratrice de ce Delacroix et James, l'œil qui doit venir l'expertiser. Durand en est l'investigateur, certifie mon coloc' en se positionnant devant moi. Qui plus est c'est le père de Camille. Toi qui lis les signes du destin, tu ne trouves pas cela bizarre ?

— Si tout nous unit, oui, ce n'est pas un hasard. On est d'accord, assuré-je en me mettant sur la pointe des pieds afin de voir mon enseignant par-dessus son épaule.

— Laisse tomber, tu es trop aveuglée par ton rosbeef.

Iban souffle et abandonne de me donner un nouvel argument. Aujourd'hui, il n'aurait pas eu le dernier mot ni avec Clara ni avec moi.

James a enlevé son haut et entre dans la piscine. Ni une ni deux, je plonge à mon tour pour le retrouver.

Si Iban n'avait pas sauté dans l'eau près de nous, je ne sais pas ce qu'il se serait passé. Aurais-je osé l'embrasser devant les nageurs indiscrets, le risque d'être aperçu par Frank Mollet ? Ma main a encore le toucher de sa barbe mal rasée sur ma paume. Et je respire encore sa douce odeur qu'aucun homme ne puisse porter. Il est unique. À la fois, audacieux et embarrassé, ambitieux et prudent. Je suis née indécise et James semble l'être tout autant. L'est-il qu'en ma présence ou est-ce son caractère ?

Après être sortie de la piscine, j'ai foncé droit dans les vestiaires. Je voulais mettre une imperméable distance entre lui et moi. La frustration qu'il a ressentie en tapant d'une main ferme sur la surface de l'eau, m'a mise dans l'effroi. Il est dans mes filets, cela ne fait aucun doute, mais surtout, je réalise que je suis dans le même filet que lui. Nos deux corps ne demandent qu'à être satisfaits l'un de l'autre, insatiables ils en deviennent tortures et tensions. Quelques larmes m'échappent sous les rires des enfants et les brasses des parisiennes, sous les réprimandes de mes amis et la consternation de mon enseignant. Paris m'afflige un choix tordu : vivre de passions, celles dont on se remémore avec un sourire, vieille dame, ou vivre raisonnablement sans remords. Une raison pour laquelle on se souvient aux derniers instants de sa vie, pleins de regrets. Je n'ai jamais transgressé de règles, et tout en lui, dès mes yeux posés sur sa silhouette, m'ordonne de pécher. Car la rancune n'est pas de nature chez moi. Que faire ? Le rejeter après ce que j'ai su ? Continuer ma vie, bien qu'il y apparaisse sans cesse ? À mon tour de taper contre la porte. Je ferme les yeux et me masse les tempes. Ces migraines ne cesseront donc jamais ?

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