À la piscine Drigny [1/2]

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Les jours d'automne s'installent : pour les plus amoureux de la nature, une promenade en forêt pour ramasser des châtaignes et des champignons est une journée idéale. Pour les plus pantouflards, un bon moment cinéma en couple ou avec des amis sous un temps pluvieux est plus conviviale.

Dans notre cas, à Iban Kavlinsky, Toni Belhadj, Clara Carberra et moi-même, la piscine Georges Drigny est un endroit tout à fait contradictoire avec la saison.

Sans discuter, nous avons donc traversé Pigalle, emmitouflés dans nos manteaux, mais aussi nos écharpes légères et nos chapeaux feutrés pour les frimeuses telles que Clara et moi.

Sur le chemin, nous avons rencontré Kasia Dabrowska. La polonaise du salon Délices d'Est près de chez nous, allait aux emplettes dans le quartier. Il ne faut pas une grande imagination pour savoir ce qu'elle avait acheté, en sortant du sex-shop.

Par ailleurs et pour une première, je la découvre sans un masque de maquillage et il n'y a pas à dire, bien que des cernes se dessinent sous ses yeux et quelques marques se dévoilent sur son visage - effet de la nicotine -, c'est une belle femme. La brune aux grands yeux noirs me reconnaît rapidement et je fais les présentations.

Toni reste bouche bée, ne pouvant pas détacher son regard, ce qui a pour effet d'offusquer Clara, plus en retrait. Quant à Iban, il ne bronche pas. Silencieux, il l'a simplement examiné durant la conversation que nous échangions elle et moi, avant de repartir chacun vers nos destinations.

Dès lors, dans le bac à chlore de la piscine Georges Drigny, Clara et Iban débattent sur sa profession. De mon oreille gauche, Iban peine à expliciter ses pensées et de mon oreille droite, les vociférations de son interlocutrice tentent de le désarçonner. Au milieu de leur affrontement, les coudes sur le rebord, je secoue mes jambes sous l'eau avec espoir de me les muscler un peu.

— Et ? Iban, tu me déçois, conteste Clara. Toi qui viens d'une communauté souvent montrée du doigt et discriminée à torts et à travers, tu penses que ces filles-là ne devraient pas se montrer dehors ?

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, insiste-t-il en s'accrochant d'une main et s'avançant vers elle. J'ai entendu des mères de famille se plaindre de les voir dans la rue devant leur salon érotique, alors qu'elles rentrent avec leurs enfants. Moi, je m'en tape qu'elles soient là à fumer leur clope. Je ne suis pas leur client et un peu de luxure ne m'a jamais dérangé.

— Imagine un monde sans cow-girls, ni prostituées, ni de masseuses érotiques. Que se passerait-il ?

— Dix fois plus de viols, réponds-je à la place d'Iban, les yeux rivés sur le plafond.

— Eh oui, tout ça pour soulager ces pauvres hommes et leur plus grande faiblesse : la femme.

— Je ne me sens pas concerné, ricane le moustachu.

— Les deux femmes de ta vie, c'est ta mère et Charlie, fait remarquer la brunette. Quand celle-ci fera sa vie, j'ai hâte de voir ce que ça va donner !

Je me redresse pour pouvoir changer de position. Mes mains sous le menton, appuyé sur le carrelage, mon ventre flottant sous la surface. Toni m'imite et lève les yeux au ciel en échangeant un regard avec moi.

— Je ne vois pas du tout le rapport avec le sujet, là ! s'exclame-t-il d'une voix mal assurée.

— Ne parlons pas faiblesse, alors, change-t-elle de sujet, bien parti pour en découdre. Un autre exemple, Moussier Tombola ne vendrait pas de disques si personne ne les achetait, tu es d'accord ? Les zoos n'existeraient pas si les gens ne dépensaient pas leur argent pour regarder des animaux en cage ? Ce que j'essaye de t'expliquer c'est que ce ne sont pas ces femmes qui sont à blâmer, c'est un commerce. On les insulte de filles faciles, de putains mais les grosses salopes dans l'histoire : ce sont ces hommes, mariés, divorcés, célibataires... Elles n'existeraient pas s'ils ne devaient pas se vider les couilles !

Un ange passe. Toni est la seule femme avec qui Clara soit sortie. Le reste n'était que des hommes. Aujourd'hui, je comprends mieux son choix. Bien que je sois d’accord sur certains points avec elle, il y a heureusement encore des hommes loin d’être ainsi.

Les grands éclats de rires des gosses du cours de natation, plus bas dans le bassin, se prolifèrent, coupant ainsi le débat exacerbé des deux jeunes gens. Des coups de frites claquent contre la surface de la piscine, devinant comment le cours est en train de se prolonger.

Des nageurs suivent le couloir de nage délimité par des rangées de petites bouées.

En examinant bien la scène, nous devons être les quatre seuls imbéciles à être venus par loisir. Après avoir passé une belle heure sous les jeux enfantins comme faire couler l'autre, concourir avec un majestueux plongeon et rester le plus longtemps possible sous l'eau, faire des bombes explosives et tenter de nager le dos crawlé, nous nous sommes installés près du bord et c'est ainsi que la discussion a débuté - je ne sais comment.

En y réfléchissant, je crois que c'est parti sur la remarque « je t'avais bien dit que Camille c'était une pute. » d'Iban. Ce que j'ai répondu par la négation. Puis, il a poursuivi « Ah ! Et bien, maintenant je te le dis ! » ce qui a dérivé sur la définition de l'adjectif assimilé à mon ancienne amie.

— Et toi, comment t'es devenue proche avec cette Dabrowska ? relance Iban en s'adressant à moi, cette fois-ci.

— Proches, c'est un grand mot ! rétorqué-je, le menton toujours sur les mains. C'est une connaissance. Ça m'arrive de temps en temps de m'arrêter discuter avec elle en échange d'une petite cigarette. Après les longues journées de cours, elle me détend.

— Elle te fait des massages aussi ? ajoute-t-il avec un petit rire.

— Elle n'a pas la vie facile, marmonné-je, l'esprit ailleurs. J'ai remarqué plusieurs fois des marques de strangulation. Elle m'a montré discrètement quelques bleus sur le corps, les bras, les jambes.

— Le patron ne doit pas apprécier ça, dit Clara.

— Il s'en tape. Le client est riche.

Comment s'appelait-il déjà ? Un truc finissant par -ston. Livingston ? Oui, c'est son nom. Elle l'a divulgué sans s'en rendre compte.

— Quel sale type ! s'écrie Toni.

— Elle m'a raconté que beaucoup d'hommes ont des fantasmes très violents, mais ne peuvent pas l'appliquer avec leurs femmes donc, ils viennent les voir, elles, pour les assouvir. Vous imaginez ? C'est écœurant.

— Le plaisir va avec la douleur, lance Iban avant de grimper et sortir de l'eau.

— Il y a des limites à tout, conclus-je, fermement.

Pour pouvoir prendre de l'élan, je replis mes jambes contre la paroi et pousse ardemment avec mes genoux, suivant du regard le gringalet qui part vers notre emplacement - c'est-à-dire de l'autre côté de la piscine, dans le coin. Son slip de bain qui lui rentre dans une fesse, il rouspète sur le sol glissant. Toni et Clara se bécote sous les yeux des plus choqués ou des plus avides de partage.

Et, scrutant les alentours, je vois James, assis, qui ne paraît pas dans son élément, contrairement à son collègue Frank Mollet, près de lui. Comment se fait-il que je dois le croiser maintes et maintes fois en-dehors de l'Université ?

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