La soirée étudiante

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Dès que je franchis l'appartement, je remarque la foule chauffée à l'alcool et à la drogue en sautant sur Bingo Players Rattle.

Bienvenue dans l'appartement d'Emmanuel Lombardi !

Il faut savoir que celui-ci n'échappe pas à la règle des étudiants blindés d'oseilles à la Sorbonne, vivant dans un quartier riche : le 7ème arrondissement de Paris, en l'occurrence. Néanmoins, lui, n'habite pas chez ses parents. Manu figure dans le top un des mecs les plus riches de la capitale. Enfin, sa famille. Un trois-pièces pour lui tout seul d'environ 85m2 au Faubourg Saint-Germain, dit le « quartier des ministères » entre le quai d'Orsay et les Invalides. Pour faire court, lui n'a pas de Mamie Renée avec des chats infestant la pisse, ni d'un Sumo qui vous observe à travers son judas quand vous sortez de l'ascenseur, près à vous venir en aide en cas d'une baguette trop lourde sous votre bras. Il n'a pas les salons de massages érotiques au coin de la rue, ni les vendeurs de drogues qui vous arrêtent à la nuit tombée. Sa garçonnière attire les femmes les plus vénales de la capitale - les plus grosses michetonneuses dans mon jargon.

Tête basse, je me fraye un chemin jusqu'au balcon pour me griller une sèche. C'est appuyé sur la rambarde, le regard sur la ville, que les jumelles Katane me saluent gaiement en me sautant au cou.

— Aure, Ava ! Ça va les filles ? les salué-je à mon tour.

— Ouais ! On est trop contente que tu sois là ! s'exclame Ava. T'es encore en beauté ce soir ! Cette combinaison a été cousue sur mesure pour toi !

— Merci beaucoup. Et la soirée, elle est comment ?

— Dingue, s'exclame Aure, en saluant de la main un mec. Oh ! Charlie, tu as vu il y a Bastien.

Elle le pointe du doigt, au cas où, je ne saurais pas le reconnaître parmi la foule. Sa tête blonde cendrée dépasse celles des autres avec son mètre 90. Je l'ai reconnu en rentrant, mais pas sûre que lui, en retour, m'ait aperçue.

— Tu ne trouves pas qu'il s'est embelli ? dit l'une des jumelles, en échangeant un regard avec sa sœur. Bon, il a toujours été l'un des plus beaux hommes de la fac de Lettres.

Comment ne pas l'avoir remarqué ? Ses joues moins creusées, ses kilos en plus lui vont plutôt bien et un début de barbe parsème le contour de sa bouche jusqu'à la mâchoire. Ses cheveux, auparavant, bouclés sont coupés à la militaire et il semble ne pas être à l'aise, comme s'il se demande ce qu'il fout dans une soirée étudiante alors qu'il a quitté le campus depuis juillet, Master en poche. Il m'aperçoit à son tour sans me saluer, le sourire effacé, puis tape sur l'épaule de Lombardi en quittant la terrasse. C'est l'effet d'un coup de poing en plein sur la tempe. Ça en dit long sur les sentiments qu'il a à mon égard. Gaël le rattrape dans un coin et discute avec lui tandis que Camille, déjà bien pompette, bouscule son ex d'un coup d'épaule. Elle va être agréable cette soirée, je le sens.

Lombardi s'approche de moi, en tapant la bise et en serrant des mains. Je pousse le plus long soupir de ma vie.

Comment décrire Emmanuel Lombardi ? Il ressemble à l'un de ses américains gominés dans les feuilletons d'Outre-Atlantique : toujours dans l'excès, quand il pause sur les photos - la bouche en cul de poule comme les gonzesses -, quand il parle comme un aristocrate alors que la majorité de son vocabulaire est à vomir ; quand il marche comme John Travolta dans Grease ; quand il doit baiser sûrement aussi. J'imagine le type en train de se mater devant un miroir durant une levrette molle et l'entendre gémir bien fort par-dessus les cris sûrement quasi inexistants de ses partenaires.

Maintenant, cette image-là me reste alors qu'il est en face de moi, exposant un projet pharamineux, tout en se reluquant dans la baie-vitrée derrière moi. Espère-t-il que cela marche avec moi cette drague ? Il n'y a qu'Ava et Aure pour être pendues à ses lèvres. S'il y avait eu Iban, je crois que le fou rire aurait été interminable. Je ne manquerai pas de le lui raconter, le pauvre, il travaille tard ce soir.

Pour envenimer cette ambiance merdique, Constance débarque à minuit avec une horde de glousseuses bien entamées à l'alcool et sur lesquelles les puceaux se jettent comme des vautours.

Durant une heure, j'ai dû recaler quatre mecs tous plus lourds les uns que les autres. Inintéressants, je les ai congédiés dès l'instant où ils se sont permis d'ouvrir la bouche. Pour le premier, poliment, le second, moins poliment, le troisième par un ton plus sec et le dernier par une réplique cinglante qui l'a sûrement poussé à questionner sa propre existence. Du coin de l'œil, Bastien avait dû assister à la scène, car il a souri.

— Salut ! fait Gaël au bout d'un long moment à se croiser l'un l'autre. Je cherchais le répit où Camille serait occupée à ne pas me surveiller.

— Bastien t'a autorisé ? répliqué-je, en me servant un verre de soda.

— Il sait qu'on est amis, il ne m'empêchera jamais de te parler.

J'aurais aussi apprécié qu'il passe au-dessus de notre ancienne relation. Sans Iban, ni Toni, ni Clara, je me sens désarmée, à nue. Et Bastien faisait partie de notre équipe. Un allié m'aurait bien aidé à supporter cette soirée. Pourquoi étais-je venue déjà ? Heureusement que Gaël, mon ex beau-frère, reste un peu à mes côtés. Durant deux heures, j'ai dû me défaire de Lombardi et de sa drague lourde.

À une heure du matin, lasse, je trouve Camille pour lui dire que je souhaite partir. Constance avec elle, elle me certifie, d'un ton froid, qu'elle préfère rentrer avec sa pote. Je tourne les talons, agacée, et Lombardi revient à la charge, en me coinçant dans un coin.

— Tu ne rentres pas tout de même ?

— Si je suis crevée. Merci pour l'invitation, dis-je en tenant une éclipse vers la sortie.

— De rien. Mais, viens, on va se mettre au calme, toi et moi, essaye-t-il en m'agrippant par le cou.

Je retire sa main. Il m'attrape de nouveau.

— Tu sais, Charlie, tu m'as toujours plu..., s'approche-t-il de moi, si proche que je peux sentir son haleine alcoolisée.

— Manu, lâche-moi, tu me fais mal.

— D'accord, mais seulement si tu me suis. J'ai du champagne dans ma chambre.

— Non, merci.

Il resserre plus fort. Je grimace et mes jambes commencent à être secouées de spasmes. Je ferme les yeux pour y trouver la force de le repousser sauvagement.

— Allez, ça ne sera pas long, continue-t-il d'une voix faussement douce.

— Elle t'a dit non. Combien de fois va-t-elle te le répéter pour que tu comprennes ?

J'ouvre les yeux. Bastien se positionne entre nous deux en attrapant la main de Manu.

— Je crois que tu as trop bu et tu deviens un peu trop entreprenant, lui affirme-t-il, une main posée sur le torse du locataire.

— M'emmerde pas, Ferroni. Vous n'êtes plus ensemble et elle fait ce qu'elle veut.

— Et ce qu'elle veut, c'est se barrer. Alors, fous-lui la paix.

— Ecoute-moi, le journaliste, précise-t-il en le poussant du doigt. Tous les mecs ont leur chance ici avec elle. Elle t'a largué parce que tu ne devais plus valoir un clou, alors laisse-la découvrir ce qu'est un homme. Hein ? Charlie ? Ma beauté, viens je vais te faire connaître le plaisir, ricane-t-il en défiant Bastien.

Ce dernier le chope par la gorge, et quelques têtes qui ont entendu Lombardi crier, se tournent.

— Soit tu fermes ta putain de gueule, soit je te mets en miette devant toutes tes futures conquêtes et tu ne baiseras plus jamais de ta vie, fils de pute.

J'interviens, en essayant de faire lâcher sa prise sur Lombardi.

— C'est bon, Bastien. Tu vas l'étrangler.

Il lui chuchote un dernier conseil avant de le lâcher et Manu se frotte le cou.

— T'es un sacré psychopathe ! Tu ne voyais pas que je plaisantais, bordel !

Bastien m'attrape par le poignet et m'entraîne vers la sortie.

— Prends ton manteau et casse-toi, me brusque-t-il.

— Ecoute, Bastien...

— Va-t'en, s'il te plaît, Charlène. C'est toujours une source d'embrouilles avec mes potes quand t'es dans les parages.

— Tes potes ?

Pour la première fois de la soirée, il me regarde dans les yeux. Un sentiment de nostalgie me parcourt face à ses yeux de biche, ceux qui deux ans auparavant, une soirée de fin d'octobre comme ce soir, m'ont fait fondre. Et aujourd'hui, plus rien. Juste une énorme affection due à notre passé aux souvenirs heureux.

— Je...je suis désolée, Bastien.

— D'accord. Maintenant, rentre chez toi... s'il te plaît. Va rejoindre Iban.

— Très bien, dis-je sur le seuil de la porte.

— Rentre bien.

— Hé, l'interpellé-je avant qu'il ne ferme derrière moi. Merci.

Un instant, il hoche la tête puis referme la porte. La voiture de Camille, garée en bas, sans sa propriétaire, il ne me reste plus qu'appeler un taxi ou rejoindre le métro le plus proche. Il y a des soirs où il vaut mieux se coucher tôt.

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